Page images
PDF
EPUB

1788. armée, et sans avoir égard aux remontrances

des envoyés des cours de Versailles, de Vienne et de Madrid, il s'avança sur la frontière de Finlande, refusant toute conférence avec les généraux que l'impératrice envoyoit pour négocier avec lui, et répandant partout que les Russes vouloient envahir la Suède et avoient déjà commis des hostilités.

[ocr errors]

Pour rendre l'alarme plus vive, et la nouvelle plus vraisemblable, on prétend qu'il avoit pris à l'opéra de Stockholm des habits de cosaques, en avoit fait revêtir des soldats suédois, et avoit fait sabrer par eux quelques paysans. Un pareil moyen est si blamable qu'on ne rapporteroit pas cette anecdote, si elle n'avoit pas été répandue dans le nord par l'impératrice, par les ministres et généraux russes, et attestée par plusieurs officiers suédois prisonniers. Quoi qu'il en soit, le bruit de ce stratagème, à la fois cruel et puéril, dont l'illusion ne pouvoit pas être de longue durée, contribua, peu de temps après, à favoriser les projets de quelques factieux, à enflammer l'indignation de l'armée suédoise en Finlande, où l'on vit éclater la plus dangereuse révolte.

[ocr errors]

Cependant Catherine, fière de sa puis

sance, et enivrée de l'éclat de son règne, 1788. s'endormoit dans une folle confiance; elle ne vouloit pas croire que le roi de Suède osât l'attaquer; et, malgré les sages conseils de tous ses ministres, et l'importance des nouvelles successives qu'ils lui apportoient, elle s'obstinoit à faire partir son escadre pour l'Archipel. Son aveuglement étoit poussé à tel point que les vaisseaux avoient reçu l'ordre de mettre à la voile, et que si le roi de Suède eût déclaré la guerre quatre jours plus tard, il auroit trouvé la mer libre, Cronstadt sans vaisseaux, et Petersbourg sans défense; mais son ardeur bouillante l'emporta : il fit donner par son chargé d'affaire Schlaf une note menaçante, qu'on trouvera à la fin de ce volume1, par laquelle il demandoit à l'impératrice de désarmer, de le prendre pour médiateur entre elle et les Turcs, de rendre à la Porte tout ce qu'elle lui avoit pris dans la dernière guerre, et de restituer à la Suède la Finlande et l'Ingrie, jusqu'à deux lieues de Petersbourg. Il vouloit un oui ou un non, sans modification, et déclaroit la guerre en cas de refus. Il n'attendit pas même la réponse à cette étrange note pour commettre

Pièces justificatives, no. I.

que

1788. les premières hostilités. C'est ainsi fut allumée, dans le nord, une guerre qui annonçoit les plus grands événemens, et que le roi de Suède commença sans nécessité, et termina sans succès.

Gustave ayant pris le parti téméraire d'attaquer un colosse comme la Russie, ne devoit pas lui laisser le temps de rassembler ses forces dispersées; mais ses opérations furent aussi incertaines et timides que son agression avoit été hardie et prématurée ; il fit une tentative inutile sur le fort de Nislot, défendu par une foible garnison et un officier invalide, et attendit indolemment une artillerie de siége qui ne lui étoit pas nécessaire, pendant qu'il pouvoit s'emparer, sans coup férir, de Frederiksham, ville démantelée, sans munition, et qui ne pouvoit, dans ce premier moment, opposer aucune résistance. Le danger qu'on n'a pas prévu paroît toujours plus grand que celui auquel on s'est préparé autant la sécurité de l'impératrice avoit été aveugle, autant son alarme fut vive. Elle fit armer à la hâte tout ce qu'elle put trouver de paysans et de domestiques en âge de combattre; elle fit passer en Finlande le peu de troupes qui se trouvoient à proximité;

la Livonie fut dégarnie; on n'y laissa qu'un 1788. régiment. Les régimens des gardes sortirent de Petersbourg, plus propres à intimider l'ennemi par leur réputation que par leur nombre. Catherine, qui leur avoit dû son élévation au trône, avertie par le parti qu'elle en avoit tiré dans la révolution, du danger de leur influence, avoit peu-à-peu diminué leurs forces; et, dans cette circonstance, si le roi de Prusse s'étoit déclaré et avoit voulu combattre au lieu d'intriguer, l'empire russe auroit peut-être succombé à cette attaque inopinée.

L'effroi régnoit à Petersbourg; les nouvelles les plus alarmantes et les plus fausses s'y débitoient; on croyoit à chaque instant y voir arriver les Suédois, et l'on regardoit le départ de Catherine pour Moscow comme certain. La lenteur du roi de Suède et l'activité des ministres russes dissipèrent bientôt cette frayeur. On apprit la nouvelle d'une bataille navale entre les deux flottes, dont le résultat fut incertain, comme celui de tous les combats de mer. Les deux partis chantèrent le Te Deum, et s'attribuèrent la victoire. Un vaisseau de guerre fut pris de chaque côté : les deux armées furent maltraitées; mais celle

1788. de Catherine tint la mer, et l'escadre suédoise rentra dans ses ports. Cette bataille donna de la réputation au duc de Sudermanie, qui la livroit, et accrut la gloire de l'amiral Greig, officier anglais, actif, probe et brave, qui commandoit les Russes.

Le général Michelson, apprenant que Gustave étoit débarqué sur les côtes de Finlande, et n'ayant que quinze cents hommes à lui opposer, se servit d'un vieux stratagème, fit intercepter par les postes suédois une lettre dans laquelle il mandoit au gouverneur de Frederiksham qu'il avançoit avec douze mille hommes. Le roi de Suède, trompé par cette lettre, se rembarqua avec précipitation, et cette retraite ranima la confiance des Russes, et diminua celle des Suédois. Aucune affaire importante ne suivit cette entreprise, et le comte Poushkin eut le temps de rassembler à-peu-près quatorze mille hommes, et de se mettre en état de garantir la capitale de l'invasion dont elle étoit menacée.

Peu de temps après, Gustave retourna à Stockholm; on apprit que le Danemarck s'étoit déclaré pour la Russie, et qu'en vertu du traité d'alliance, le prince-royal alloit en Norwège et y préparoit une diversion redoutable.

« PreviousContinue »