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flotte du capitan-pacha, s'empara de quelques 1788. vaisseaux de guerre, mit le feu aux autres, et détruisit entièrement cette armée.

En vain l'anglais Eton s'efforce, dans son Tableau de l'Empire Ottoman, d'affoiblir l'éclat de cette action, en adoptant les observations de Paul Jones qui étoit aveuglé par la jalousie que lui inspiroit cette victoire. Paul Jones ne connoissant pas l'inexpérience des Turcs, s'étoit opposé à cette entreprise, et n'en pouvoit pas pardonner le succès.

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Tandis que l'impératrice rassembloit dans le Midi, à huit cents lieues de sa capitale tout ce qu'elle pouvoit réunir d'argent, d'artillerie et de soldats pour réparer les effets de l'indolence de Potemkin, et pour faire repentir les Turcs de leur agression, un nouvel orage, formé par l'active politique des ministres de Frédéric Guillaume et du roi d'Angleterre, vint menacer dans le Nord, et son trône et sa personne. Le danger fut d'autant plus grand, qu'il avoit été moins prévu; et si le nouvel ennemi qui se déclara contre Catherine avoit déployé autant d'énergie qu'il avoit montré d'audace, il est certain qu'il seroit arrivé aussi facilement à Petersbourg qu'il s'en étoit flatté. Mais beaucoup Tome II.

B

1788. d'hommes d'état forment de vastes plans, et peu les savent exécuter.

Gustave III, roi de Suède, tourmenté par cet amour de la gloire qu'exaltent tous les peuples du monde, quoiqu'il soit la cause de presque tous leurs malheurs, n'étoit pas satisfait de la célébrité que lui avoit acquise la révolution qu'il avoit faite dans son pays; son nom sembloit lui imposer d'autres obligations: il avoit souvent dit qu'il falloit une guerre pour caractériser un règne. En vain le grand Frédéric, son oncle, en le complimentant sur la révolution qui avoit augmenté son pouvoir, lui avoit recommandé d'être pacifique, et l'avoit averti que depuis qu'il existoit en Europe quatre monarchies qui pouvoient chacune rassembler quatre cent mille soldats, un roi de Suède avec une ar mée de vingt-cinq mille hommes, ne devoit plus espérer de jouer un grand rôle en Eu rope. Gustave ne pouvoit se résigner au repos, et il vouloit à toute force être conquérant. Ce n'étoit pas le ressentiment des anciennes pertes de la Suède qui l'animoit contre la Russie; il avoit souvent montré à cette puissance qu'il étoit prêt à s'allier avec elle, si elle vouloit lui permettre d'enlever la Norwège

aux Danois; et il promettoit au roi de France 1788. une union indissoluble, s'il consentoit à lui donner les moyens de reprendre aux Russes la Finlande et la Livonie. Toute alliance lui étoit égale pourvu qu'elle fût offensive, et laissåt le champ libre à ses passions.

Jusqu'à l'époque dont il est question, il avoit été de tout côté contrarié dans son vœu; la Russie et l'Angleterre garantissoient le Danemarck de son ambition; et Louis XVI qui aimoit la paix, se servoit de son influence sur ses alliés pour la maintenir.

La guerre des Turcs contre les Autrichiens et les Russes, le refroidissement de l'Angleterre pour la Russie, et la haine de FrédéricGuillaume pour l'impératrice, offrirent enfin à Gustave l'occasion qu'il désiroit le roi de Prusse lui fit promettre des subsides par la Porte; l'Angleterre lui laissa espérer des secours, et ces deux puissances encourageant son ardeur belliqueuse, virent avec joie ce prince impétueux seconder leurs projets, diviser les forcés de la Russie, augmenter les dangers de l'empereur, et déjouer la politique conciliatrice de la France.

Le plus grand embarras de Gustave fut de trouver un prétexte; car, telle est la force

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1788. de la justice, les princes qui en violent le

plus les loix n'osent pas en désavouer les principes, et elle est heureusement si nécessaires à tous les hommes, qu'elle est hypocritement invoquée par eux dans le moment même où ils l'outragent.

Gustave III, quoiqu'il eût augmenté en Suède la puissance royale, étoit monarque d'un peuple fier et libre, ses droits, quoiqu'étendus étoient limités, et la constitution qu'il avoit lui-même rédigée et jurée, lui donnoit tout le pouvoir nécessaire pour défendre ses états, mais lui refusoit expressément celui d'entreprendre une guerre offensive sans le consentement des quatre ordres du royaume. Or, Catherine étoit certainement fort éloignée de vouloir et de pouvoir l'attaquer, ses frontières septentrionales étoient dégarnies, et elle prévoyoit si peu une rupture avec la Suède qu'elle étoit au moment d'envoyer tout ce qu'elle avoit de forces navales dans l'Archipel, comme elle l'avoit fait avec tant de hardiesse et de succès dans la guerre précédente.

Dans une parcille position, Gustave ne pouvoit trouver que des prétextes frivoles; aussi ceux qu'il saisit furent si invraisemblables

qu'ils ne trompèrent personne, et ne furent 1788. adoptés quepar ceux qui favorisoient ses vues.

Toute l'Europe savoit le but de l'armement de Catherine, et vit avec surprise le roi de Suède affecter des alarmes qu'il ne ressentoit pas, et implorer des secours dont il n'avoit aucun besoin. Le comte Rasoumowsky, ministre de Russie en Suède, fut accusé par lui d'intrigues tendantes à exciter des factions. Cet envoyé, dont les instructions étoient alors très-pacifiques, fit une note pour dissiper les inquiétudes du roi, et l'assurer de l'amitié de l'impératrice pour le monarque et pour sa nation. Gustave feignit d'être choqué de cette expression; il prétendit que lui seul étant chargé du

gouvernement, aucune note ministérielle ne devoit parler de la nation suédoise, que ce langage étoit factieux, et qu'il ne pouvoit souffrir près de lui un ministre qui respectoït si peu son autorité.

Il étoit assez singulier que le chef d'un peuple libre reprochât de pareilles formes à un souverain despotique; mais Gustave, sans s'embarrasser de cette inconséquence, renvoya Rasoumowsky, et, sur son refus de partir, il le fit embarquer d'autorité. Il se mit ensuite promptement à la tête de son.

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