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1790. commencer les hostilités et à profiter des em barras d'un nouveau règne; mais cet événe ment qui devoit hâter sa décision, la suspendit. Joseph II, jugé sévèrement comme les princes que la fortune abandonne, et puni plus rigoureusement du bien qu'il avoit fait que de ses fautes, laissoit à son successeur un trône chancelant environné d'écueils. On ne doutoit pas que Léopold, effrayé de sa position, et plus habitué au travail du cabinet qu'à l'exercice des armes, n'abandonnât tous les plans de son prédécesseur, et l'on croyoit qu'il se résigneroit aux plus grands sacrifices pour conserver la paix.

Il la vouloit en effet, mais il la demanda avec dignité, et la négocia avec adresse. Il prêta l'oreille à toutes les propositions de la Prusse, de la Pologne et de la Porte; mais profitant habilement de la vanité de FrédéricGuillaume pour écarter des dangers réels par une déférence illusoire, tirant parti de la crainte que la révolution de France commençoit à inspirer, rassemblant avec promptitude une armée formidable, il trouva le moyen, par sa modération et sa fermeté, de conclure une paix honorable, qui lui garantit la possession tranquille de ses états,

lui assura l'empire, et fit rentrer dans le 1790. devoir ses provinces rebelles.

Hertzberg, fidèle au plan du grand Frédéric, vouloit profiter de cette circonstance pour abaisser la maison d'Autriche. La fortune sembloit avoir tout préparé pour réaliser ses espérances, lorsque tout-à-coup le sys tème et le crédit de ce ministre, ardent lorsqu'il projetoit, mais trembleur au moment d'exécuter, furent anéantis par les intrigues de ses rivaux, la foiblesse de son maître et l'habile prudence de Léopold.

Il n'est pas nécessaire de rappeler les motifs qui dirigeoient la politique de la cour de Vienne; elle avoit tout à perdre en faisant la guerre, et tout à gagner en faisant la paix. Ses troupes étoient fatiguées, son trésor épuisé, ses sujets révoltés et la mort du célèbre Laudon, qui lui fut enlevé dans cet instant critique, décourageoit plus l'armée que la perte de trois batailles.

Il est aussi facile d'expliquer la disposition de la Porte à terminer la guerre; elle devoit profiter de l'embarras des Autrichiens pour recouvrer Belgrade, pour se délivrer d'un ennemi dangereux, et pour être en état de réunir toutes ses forces contre l'armée victorieuse de Catherine.

1790. Ce qu'il faut développer, ce sont les rai

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sons qui déterminèrent le roi de Prusse à changer de politique, à renoncer aux espérances d'agrandissement qu'il avoit conçues, à perdre tout le fruit de ses intrigues, toutes les dépenses de ses préparatifs, à se contenter du rôle de pacificateur, après avoir voulu jouer celui de conquérant, et à ressusciter la puissance de l'Autriche, sa rivale constante et son ennemie naturelle.

Bischopfverder, les courtisans et les illuminés voyoient avec chagrin Frédéric-Guillaume à la tête de ses armées; ils sentoient qu'au milieu des orages militaires leur crédit tomberoit et feroit place à celui des ministres et des généraux dont l'expérience et les services seroient alors nécessaires et appréciés.

Le négociateur autrichien Spielman, agent confidentiel du prince de Kaunitz, et aussi délié en politique qu'Hertzberg étoit systématique et hardi, profita avec habileté de cette disposition des favoris du roi de Prusse, et fut parfaitement secondé par eux. On représenta à ce prince qu'Hertzberg vouloit lui faire sacrifier le bonheur à l'éclat; que le grand Frédéric s'étoit plus d'une fois repenti de son ambition, et que ses ennemis

avoient porté leurs armes jusques dans la 1790. capitale. Les Turcs vaincus et effrayés, pouvoient d'un moment à l'autre faire la paix avec l'impératrice. Il étoit d'ailleurs trop évidemment injuste et immoral que le roi de Prusse s'agrandit en faisant la paix aux dépens de l'Empire Ottoman, dont il s'étoil déclaré le soutien, et qu'il avoit luiméme excité à la guerre.

Gustave avoit trop peu de troupes pour faire une diversion puissante. Le gouvernement britannique, habitué à ne remplir ses engagemens que lorsqu'il y trouvoit son avantage, hésitoit à commencer une guerre réellement contraire aux intérêts de son commerce. La Pologne, qui sortoit à peine de l'anarchie, loin d'offrir des défenseurs utiles, 'avoit elle-même besoin d'appui; et il étoit probable que si Frédéric-Guillaume suivoit les conseils téméraires de son ministre, qu'il supporteroit seul le poids de la guerre, qu'il dissiperoit ses trésors et verroit enfin son pays écrasé par les deux cours impériales.

En pacifiant l'Europe, au contraire, le roi de Prusse ne couroit aucun danger, trouvoit une gloire certaine, acquéroit une in

1790. fluence prépondérante dans l'empire, et assuroit la prospérité de ses sujets.

On joignoit secrètement à ces raisons spécieuses des motifs plus pressans et d'une importance plus générale.

Le peuple français, disoit-on, avoit proclamé des principes qui tendoient à bouleverser l'ordre social et qui devoient alarmer toutes les puissances; le trône et l'autel étoient attaqués, les distinctions de la nais: sance étoient détruites; on déclaroit la guerre des pauvres contre les riches, et des chau'mières contre les châteaux.

Ces principes contagieux trouvoient partout des apótres et des partisans ; l'étendart de l'égalité rallioit dans tous les pays les intrigans, les ambitieux, les hommes las de leur obscurité ou avides de s'enrichir, et tous ceux qui avoient perdu leur fortune et qui vouloient en acquérir.

Le manteau de la philosophie, qui couvroit d'un voile respectable ces innovations dangereuses, les faisoient adopter facilement par les hommes lettrés, dont aucune expérience n'éclairoit la théorie, et par la multitude dont elles flattoient les passions. Déjà les révolutionnaires français ne se con

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