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1790. constance, et guerrier sans succès, il ne laissa jamais l'Europe en repos, changea sans cesse de plan, et échoua dans presque tous ses projets. Sa guerre de Bavière ajouta quelques lauriers à la couronne du grand Frédéric, et ne lui en valut aucun ; il menaça la Hollande, qui le désarma par quelques coups de canon et un léger tribut. Il voulut forcer le duc des Deux-Ponts à consentir à l'échange de la Bavière contre les Pays-Bas, et fut arrêté dans ce dessein par les menaces du roi de Prusse qui, depuis cette époque, fut regardé comme le protecteur de l'Empire contre l'ambition autrichienne. La crainte des armes de la Prusse

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porta à faire des sacrifices impolitiques à la Russie pour acheter son alliance. Il se fit courtisan de Catherine, lui facilita la conquête de la Crimée, orna lå pompe triomphale de son voyage en Tartarie, et se laissa entraîner par elle dans une guerre désastreuse qui lui coûta deux cent mille hommes. épuisa ses trésors, et exposa la maison d'Autriche aux dangers d'une ruine qui eût été certaine, si Frédéric-Guillaume avoit su profiter de ses fautes.

Joseph II étoit avare, et ruina son pays; il étoit philosophe dans ses opinions, mais

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despote dans sa conduite; il auroit guéri ses 1790. sujets de leurs préjugés, en les éclairant; il les révolta en voulant les conduire à la raison par la force; et dans le même temps où la France s'insurgeoit pour détruire la domination des nobles et des prêtres, il trouva le moyen de perdre les Pays-Bas, en y supprimant, d'autorité, les justices seigneuriales, et en y établissant, par contrainte, la tolérance des cultes.

Oubliant qu'il commandoit à plusieurs peuples qui n'avoient ni les mêmes lumières, ni les mêmes mœurs, ni le même esprit, it voulut, au mépris de leurs penchans, de leurs habitudes et de leurs priviléges, les assujétir uniformément et rapidement aux mêmes loix, à la même forme d'administration, leur inspirer les mêmes principes, leur faire adopter la même instruction; le triste résultat de ces inconséquences fut qu'il vit en mourant ses armées battues, ses finances ruinées, son influence dans l'Empire, perdue, ses frontières menacées, la Hongrie en fermentation, les provinces belgiques en révolte, et la Prusse, sa rivale éternelle, à la tête d'une ligue menaçante, prête à renverser son trône sur son tombeau.

Tome II.

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1790.

La mort de ce prince paroissoit ouvrir une carrière plus vaste aux desseins ambitieux du cabinet prussien; la maison d'Autriche se voyoit menacée de perdre à la fois et ses états et le trône impérial; mais la fortune qu'on divinise, dépend des hommes; elle est légère pour la témérité, et constante pour la prudence: la puissance autrichienne, prête à s'écrouler, fut sauvée rapidement par la sagesse de Léopold, successeur de Joseph, par la versatilité de Frédéric-Guillaume, et par l'ardeur irréfléchie des Français, qui vouloient répandre par-tout une liberté qu'ils étoient loin de posséder eux-mêmes.

Il faut, pour faire connoître la marche et l'importance de cette révolution politique, retracer rapidement les événemens principaux de l'insurrection brabançonne, et rappeler la position dans laquelle se trouvoient les pays soumis à la cour de Vienne, lorsque Léopold monta sur le trône. Depuis un an, la Flandres. et le Brabant étoient en pleine révolte; Joseph II ne pouvoit plus compter sur l'attachement des Brabançons et des Flamands, depuis qu'il avoit montré son indifférence pour eux, en proposant l'échange des provinces belgiques contre la Bavière : il avoit depuis excité un

vif mécontentement dans ces provinces, en 1790. démolissant leurs forteresses, en supprimant leurs priviléges, garantis par la joyeuse entrée, en abolissant les juridictions seigneuriales, en réformant l'université de Louvain, en voulant contraindre des catholiques dominans et superstitieux, à la tolérance de tous les cultes, en établissant des écoles normales que rejetoit le clergé, en violant la liberté des états; enfin, en nommant des intendans qui rendoient la liberté de la nation illusoire et l'autorité du prince absolue.

Les premiers troubles excités par ces réformes en 1788, avoient été plutôt assoupis qu'éteints; l'empereur, qui avoit paru céder aux circonstances, poursuivit avec plus d'opiniâtreté l'exécution de ses projets, dès qu'il eut fait passer en Brabant assez de troupes pour espérer de forcer les mécontens à l'obéissance : l'événement trompa son attente. Wan-der-Noot, avocat sans lumières, intrigant sans génie, mais orateur verbeux et hardi, instrument docile du prêtre van Eupen, hypocrite profond et politique adroit, enflamma les esprits au nom de la religion et de la liberté. Encouragé secrètement par la Hollande, l'Angleterre et la Prusse, il sou

1790. leva le peuple, qu'animoient les prêtres et

un grand nombre de nobles: on courut aux armes; ce mouvement, regardé d'abord à Vienne comme une sédition, prit bientôt le caractère d'une véritable insurrection; le duc de Saxe-Teschen et l'archiduchesse, sa femme, furent obligés de céder à l'orage; les troupes autrichiennes, assez fortes pour appaiser des émeutes, mais trop peu nombreuses pour résister à un peuple armé, firent une résistance inutile; les insurgens les battirent, s'emparèrent de Gand, de Bruxelles, de Namur et d'Anvers. Les états-confédérés, fiers de leurs succès, se déclarèrent libres, et crurent leur indépendance d'autant plus solide, que la ligue anglo-prussienne la désiroit, et qu'ils comptoient être soutenus par la France.

Cette révolution auroit en effet été durable, si les insurgés n'avoient pas été enivrés par la victoire, et si la sagesse avoit succédé à l'impétuosité. L'indépendance des provinces belgiques convenoit à la politique des puissances ennemies de la cour de Vienne, et n'avoit encore pris aucun caractère qui les pût directement alarmer. Cette révolution étoit aristocratique et sacerdotale; on voulut la rendre démocratique, et les rois ouvrirent les yeux.

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