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prunt, de manière à en perdre le fruit, et 1791. n'adopta, de ses idées, que celle d'un impôt patriotique et volontaire, qui donna plus d'espérance que d'argent. Peu de temps après, Mirabeau, malgré son opposition, fit décréter par l'assemblée la création de ce papiermonnoie célèbre, de ces assignats qui prolongèrent tant d'illusions, créèrent tant de prodiges, et payèrent tant de crimes. Cette source nouvelle de richesse imaginaire étant ouverte, cette puissance factice et redoutable étant créée, l'habileté en administration ne fut plus nécessaire; toutes les prédictions de la sagesse furent pour le moment démenties. La folie, avec de nouveaux calculs, conçut et communiqua à tout le peuple des espérances sans limites ; et M. Necker quitta une seconde fois la France, qui s'étoit soulevée toute entière peu de temps avant pour obtenir son retour, et qui ne parut pas alors s'apercevoir de son départ.

La constitution civile du clergé et la saisie de ses biens, la suppression des droits féodaux, l'abolition de la noblesse, des ordres religieux, des parlemens, des universités, et l'insuffisance du pouvoir laissé au gouvernement, avoit produit deux effets inévitables; d'un côté Tome II.

I

1791. le ressentiment profond, gravé dans l'ame des rois, des nobles, des prêtres et de tous ceux dont les jouissances étoient détruites, ou menacées; et d'un autre côté, une méfiance active et sans borne qui agitoit le peuple, et le portoit à persécuter ses adversaires pour les mettre dans l'impossibilité de se venger. Des deux côtés les passions étoient allumées; on n'écoutoit plus la justice, on ne se croyoit plus obligé à la bonne foi, et on étoit prêt à se servir des moyens les moins légitimes pour arriver à son but.

L'aristocratie se plaignoit des violences du parti qu'elle projetoit d'écraser, et le parti populaire s'étonnoit des plaintes, des reproches et du ressentiment de ceux qu'il dépouilloit, et qui voyoient à chaque instant leurs jours menacés par une populace en fureur, dont les chansons même avoient la haine pour verve et l'assassinat pour refrein1.

Au milieu de l'agitation de tous ces partis, un homme d'un grand talent voulut essayer d'arrêter la démocratie dans sa course, et de soutenir le trône dans sa chute. Mirabeau, célèbre par sa profonde immoralité, son génie actif, sa vaste érudition, et sa brillante éloquence, n'écoutant, au commencement de

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Ce refrain étoit: Les Aristocrates à la lanterne.

la révolution, que le désir violent de renver- 1791. ser M. Necker, et d'arriver au ministère, avoit contribué plus que tout autre à l'armement de la multitude, à l'exaspération des esprits et à la destruction de l'ordre. Il s'étoit vanté lui-même à la tribune d'avoir démuselé le tigre, sans prévoir comment on pourroit lui remettre un frein; mais dès que son œil pénétrant eût sondé la profondeur de l'abîme qu'il avoit ouvert, il voulut le fermer; et après avoir ébranlé le trône, il s'en rapprocha pour le raffermir. Son but n'étoit pas, comme ses ennemis l'en accusèrent, de rétablir le pouvoir arbitraire un tel plan étoit trop contraire à ses goûts et à son intérêt, pour qu'il en conçût l'idée. Il vouloit donner à la France une constitution à-peuprès semblable à celle d'Angleterre, parce qu'il savoit qu'avec cette forme de gouvernement, le talent acquiert facilement une fortune solide, et qu'il y est toujours une puissance respectée. Le caractère de Mirabeau permet qu'on le soupçonne d'avoir reçu de l'argent de la cour; mais ceux qui l'ont étudié doivent savoir qu'il ne s'en seroit jamais servi pour la remettre en mesure de n'avoir plus peur ni besoin de lui. Ce qui

1791. est constant, c'est qu'il voulut arrêter le torrent dont il avoit rompu les digues. La mort vint le frapper lorsqu'il méditoit cette difficile entreprise ; elle étoit si tardive qu'on doit croire qu'il y auroit échoué. Il étoit, pendant sa vie, assez généralement méprisé; il fut universellement pleuré lorsqu'il mourut. On eût dit que sa tombe renfermoit ses vices et ne laissoit plus exister parmi nous que le souvenir de ses talens.

Privé de son appui et de ses conseils, le roi, effrayé des orages qui l'entouroient, voyoit, malgré ses sacrifices nombreux et successifs, son pouvoir d'autant plus suspect qu'il étoit plus affoibli; il s'étoit plus facilement résigné que la reine à la perte de son autorité; mais la constitution civile du clergé et le chisme qui en étoit le résultat, effrayoient sa conscience. Il se repentoit de la foiblesse qui lui avoit fait donner sa sanction à ce décret, et brûloit du désir d'expier cette faute. On profita de cette disposition de son ame pour lui faire adopter un plan d'évasion mal calculé, et encore plus mal exécuté, qui devoit, dit-on, concilier tous les partis, et qui ne fut utile qu'aux jacobins, en enlevant toute considération

au, monarque et toute force à ceux qui le 1791. voulurent soutenir. Louis XVI partit le 21 juin pour se rendre à Montmédy, où M. de Bouillé l'attendoit avec quelques troupes. Plusieurs détachemens avoient été envoyés sur la route pour favoriser sa marche. Le roi, qui étoit sorti la nuit de Paris, suivi de toute sa famille, sans déguisement, avec deux gardes-du-corps, et dans une voiture dont la forme seule pouvoit exciter la curiosité et fixer l'attention, fut reconnu par un maître de poste, et arrêté à Varennes par quelques paysans. En vain on conseilla à ce prince de forcer un si foible obstacle, les hussards qui l'escortoient y étoient disposés, il ne voulut pas verser une goutte de sang et se laissa tranquillement arrêter et reconduire à Paris, au milieu des insultes d'une foule immense de peuple qui l'accusoit de perfidie et lui reprochoit sa foiblesse.

Ces événemens devoient exciter dans Paris plus de désordre et de fureur que ceux du mois de juillet 1789. Les sages le craignoient, les factieux l'espéroient, et tous se trompèrent. En vain les jacobins ameutèrent. la populace autour de l'hôtel-de-ville pour demander la tête du général la Fayette, qu'on

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