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1788. temkin, surpris par une rupture qu'il n'avoit pas prévue, se trouvoit à la tête d'une armée incomplette, sans magasins, sans argent, sans munitions, et dépourvu de tout ce qui étoit nécessaire pour commencer la campagne avec promptitude, et en pousser les opérations avec vigueur. Ce ne fut qu'après plusieurs mois qu'il put s'approcher d'Oczakow avec quatre-vingt mille hommes ; et le maréchal de Romanzoff fut encore plus de temps à pouvoir s'avancer vers Choczim, avec une armée tellement inférieure en nombre à celle des Turcs, qu'il auroit été forcé de se tenir sur la défensive, si l'empereur Joseph, dont les négociations avoient été infructueuses, ne s'étoit pas déterminé, malgré les menaces de la Prusse, à joindre ses armes à celles de son allié, et à déclarer la guerre à la Porte. On fut même obligé, pour former ces deux armées, de dégarnir tellement les frontières septentrionales de l'empire, que l'impératrice se trouva, peu de temps après, dans le danger le plus pressant lorsqu'elle fut attaquée par les Suédois, ne pouvant opposer à leur invasion que des recrues levées à la hâte et tout au plus cinq à six mille hommes de vieilles troupes. Le premier combat qui eut

lieu entre les Turcs et les Russes, se livra 1788. à Kilburn, vis-à-vis d'Oczakow, sur la pointe d'une presqu'île qui défend l'entrée de Boristhène. La valeur ottomane fut contrainte de céder à la discipline russe et au courage de Suwarow; et les Turcs, après avoir forcé trois fois les retranchemens des Russes, furent enfin repoussés avec une telle perte, que très-peu d'entr'eux purent porter au pacha d'Oczakow la nouvelle de leur désastre.

Cette expédition étoit dirigée par des of ficiers français, envoyés à Oczakow dans un temps où la France croyoit encore aux intentions hostiles de Catherine. Le roi de Prusse, profitant de cette circonstance, voulut exciter la méfiance de l'impératrice contre la France, en l'accusant d'entretenir une guerre qu'elle avoit retardée de tout son pouvoir, et que lui seul et l'Angleterre avoient allumée; mais l'effet de cet artifice ne fut pas long: les dépêches de Choiseul Gouffier, et l'arrivée d'un secrétaire de Bulgakow à Pétersbourg, firent bientôt connoître la vérité.

L'hiver de 1788 se passa en préparatifs militaires et en négociations. La France travailloit à faire accepter sa médiation seule.

A

1788. La Prusse et l'Angleterre proposoient aussi la

leur, tandis qu'elles souffloient par-tout la
discorde; et le roi d'Espagne, plus loyal que
politique, conseilloit la paix à tout le monde,
s'embarrassant peu que les négociations fus-
sent confiées à l'intervention sincère de son
allié ou à la médiation dangereuse de ses
rivaux.

Frédéric-Guillaume jouissoit voluptueuse-
ment à Berlin de l'éclat que répandoit sur
son règne l'activité de son ministre; fier
d'avoir conquis la Hollande sans combattre,
il croyoit avoir donné un royaume au sta-
thouder son beau-frère, tandis qu'il n'en avoit
réellement fait qu'une province de l'Angle-
terre. Adroitement flatté par le ministère
britannique, dont il servoit aveuglément
l'ambition, il s'applaudissoit d'avoir porté
les Turcs à la guerre, et de se venger ainsi
de l'impératrice qui l'avoit froidement accueilli
lorsqu'étant prince-royal il avoit été envoyé
près d'elle par son oncle. Oubliant les con-
seils de son prédécesseur, il resserroit, par
cette conduite, les liens de l'Autriche et de
la France: mais le génie ardent d'Hertzberg,
et l'influence de l'Angleterre, l'aveugloient et
l'entraînoient sans prévoyance dans un sys-

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tême totalement opposé à ses véritables inté- 1788. rêts. Si Joseph II, se servant des prétextes

que
lui fournissoient les troubles du Brabant,
ne s'étoit pas aussi imprudemment embarqué
dans la guerre contre les Turcs, et si la ré-
volution de France n'avoit pas eu lieu, Cathe-
rine II auroit toujours forcé la Porte à recevoir
la paix ; et le roi de Prusse se seroit trouvé
seul exposé au ressentiment des deux cours
impériales et de la France. Mais la suite de
cette histoire prouvera que
la fortune répara
constamment les fautes de Frédéric - Guil-
laume et le sauva toujours des malheurs que
pouvoit lui attirer l'active inquiétude de ses
ministres, l'inconséquence de sa politique et
l'indolence de son caractère.

Rien ne troubla sa tranquillité pendant l'hi ver de 88; et tout se réunissoit pour donner à la flatterie l'apparence de la vérité. Conquérant de la Hollande, redouté par la France, ménagé par l'Espagne, exalté par l'Angleterre, regardé par les princes allemands comme le protecteur de la liberté germanique, les Turcs imploroient ses secours; la Pologne, son appui; la Suède suivoit ses conseils; le Danemarck craignoit ses menaces; les poètes allemands célébroient sa magnificence et applaudis

1788. soient à son aversion pour la littérature française ses maîtresses le soulageoient du poids de l'ennui; ses ministres, de celui des affaires.

Les courtisans lui prédisoient une solide gloire; et les illuminés lui promettoient une longue vie, au moyen d'un élexir qui en abrégea la durée. Le monarque alors crut et dut croire que le rôle de roi étoit aussi facile que doux; il ne prévoyoit pas l'explosion qui devoit si promptement soulever tant de peuples, ébranler tant de trônes et flétrir les premiers lauriers de son règne.

L'été de 1788 fut fécond en grands événemens. Les armées autrichiennes et russes qui s'étoient rassemblées avec lenteur, agirent avec succès. Romanzow et Cobourg s'emparèrent de Choczim et de presque toute la Moldavie. L'empereur Joseph II, combattant en personne, prit Sabach d'assaut; ses généraux se rendirent maîtres de Dubiza. Potemkin investit Oczakow; l'escadre russe battit l'escadre turque sur la mer Noire; et le prince de Nassau, célèbre par ses avantures, sa vie errante et son amour pour les dangers, attaqua témérairement dans le Liman, avec des galères et des bateaux plats,

la

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