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1789. d'Orléans trop timide pour en concevoir de fortes alarmes, au moment où toutes les têtes n'étoient occupées que de la crainte dominante des puissances qu'on venoit d'attaquer.

Un projet mal concu, et plus mal exécuté par la cour, et une foule d'imprudences du parti aristocratique, éloignèrent encore l'attention des progrès et des complots de cette faction, et amenèrent enfin des événemens qui la dévoilèrent, mais qui furent au moment d'assurer son triomphe.

Le gouvernement, alarmé de la fermentation des esprits, de la guerre violente qui existoit entre le peuple et les deux premiers ordres, des progrès de la démocratie, et du peu de solidité future que lui offroit le plan des bases d'une constitution où les limites des pouvoirs étoient posées par la méfiance et non par la politique, ne savoit à quel parti se résoudre. Et de même qu'on échauf foit le peuple contre lui par mille bruits sans fondement, on redoubloit aussi sa frayeur en prêtant à l'assemblée des desseins sans réalité. Quelques ministres et quelques conseillers proposoient de désarmer les esprits par la condescendance, d'appaiser les alarmes

par la sagesse, et de dissiper les méfiances 1789. par la franchise. D'autres conseilloient la fuite et la guerre civile; ils prétendoient qu'en s'éloignant de la capitale le roi sauveroit sa personne et son trône, et trouveroit des troupes qu'on ne pourroit pas séduire, qui l'aideroient à recouvrer son autorité; d'autres enfin ne voulant ni que le roi cédât sur des points essentiels, ni qu'il exposât la France au malheur d'une guerre intestine, prétendoient qu'il falloit rester à Versailles, mais s'entourer de troupes plus fidelles, et regagner celles que les patriotes avoient entraînées. Ce parti prévalut, parce que la foiblesse aime les partis mitoyens, qui cependant offrent toujours le plus de périls.

On fit donc venir à Versailles le régiment de Flandre; on doubla le guet des gardes-ducorps, sous le prétexte des émeutes qui nécessitoient cette mesure; on chercha à faire regretter et redemander par les gardes-françaises leurs anciennes places; et pour établir plus d'union entre les différens corps qui se trouvoient à Versailles, on y donna ce fameux banquet dont l'idée puérile, l'imprudente exaltation et les tragiques conséquences ne sont devenues que trop célèbres.

1789.

Dès que ces nouvelles arrivèrent à Paris, le mécontentement y devint général. La crainte des patriotes s'accrut et se communiqua rapidement; on disoit que la cocarde nationale avoit été foulée aux pieds, que la liberté étoit menacée, la contre - révolution prochaine, la punition des vainqueurs de la Bastille certaine. Une disette de grain, produite par la négligence ou la politique, redoubloit la fermentation. Les agens du parti d'Orléans, les amis du désordre, les hommes sans aveu, altérés de pillage et de sang, faisoient circuler les fausses nouvelles, distribuoient l'or corrupteur, prodiguoient les déclamations incendiaires, et portoient l'exaspération de la populace au dernier degré. Enfin, le 5 octobre, le tocsin sonna, tout le peuple sortit en tumulte, toute la garde nationale prit les armes. Une multitude furieuse, ayant pour cri du pain et Versailles entoura, l'hôtel-de-ville, et voulut que toute la capitale marchât contre la cour.

Après une agitation tumultueuse sans frein, et une résistance de huit heures sans succès, comme on sut qu'une troupe ivre et féroce d'hommes furieux et de femmes sans pudeur, étoit partie de Paris, la commune ordonna

au général la Fayette de conduire à Versailles 1789. la garde nationale.

L'arrivée de cette garde et la contenance des troupes suspendirent quelque temps le juste effroi de la cour et de l'assemblée nationale, dont la populace avoit forcé l'enceinte, rempli la salle et insulté beaucoup de membres. Le roi avoit consenti à accepter les décrets; il promit du pain au peuple : la garde nationale occupa tous les postes que tenoient ordinairement les gardes - françaises; les brigands se dispersèrent, et jusqu'à quatre heures du matin tout paroissoit tranquille; mais ce calme perfide, précurseur de l'orage, laissa de profonds regrets à tous ceux qu'il avoit trompés. A cinq heures, des brigands, entrés par le jardin, pénètrent dans le château, tuent les sentinelles, égorgent deux gardes-du-corps sans défense, enfoncent la porte de la chambre de la reine, qui se sauve dans celle du roi; et d'autres brigands, courant à l'hôtel des gardes-ducorps, se saisissent de tous ceux qui ne purent leur échapper par une prompte fuite. Au bruit des coups de feu, les grenadiers de la garde nationale accourent avec leur chef, la Fayette, qui arrache quinze gardes-du-corps des mains de ces meurtriers, entre dans le château,

1789. en chasse les assassins, et sauve de leur fureur la famille royale. Le sang s'arrête, et le roi vient à Paris, garanti par la garde-nationale de tout péril présent, mais témoin déplorable des orgies et du délire d'une populace aveugle et cruelle, et pouvant juger par cette scène sanglante des dangers qui le menaçoient dans l'avenir.

L'assemblée nationale quitta dès cet instant Versailles pour se rendre à Paris, et ne tarda pas à s'apercevoir dans ses délibérations de l'influence redoutable de la fermentation du péuple qui l'entouroit.

L'opinion générale est que la faction qui ensanglanta cette journée, vouloit la fuite. du roi et la mort de la reine; et quelques fautes que les divers partis se reprochent, l'impartialité de l'histoire exige que l'on rende au moins cet hommage à la vérité, c'est que sans le secours malheureusement trop tardif de la garde nationale et de son général, le succès de cette conjuration auroit été complet1.

• Rivarol lui-même en fait l'aveu, malgré toute l'amertume de ses reproches, au sujet de la malheureuse confiance à laquelle on se livroit peu d'instans avant cette scène sanglante.

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