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et des propriétés, qui laissât au trône tout 1789. le pouvoir nécessaire pour maintenir l'ordre intérieur et pour faire respecter la nation par les étrangers, et qui garantît au peuple le droit de n'être soumis qu'aux loix et qu'aux impôts qui auroient obtenu son consentement.

Pour atteindre un but si désiré, il auroit fallu une constitution mixte qui marquât d'une manière sage et inviolable les limites des pouvoirs législatif et exécutif. Mais ces deux pouvoirs étoient devenus rivaux : l'assemblée regardoit chaque branche de pouvoir laissé au gouvernement comme une arme accordée à son ennemi pour l'écraser ; et la cour considéroit chaque augmentation de puissance des législateurs comme un moyen de plus pour consommer sa ruine.

Dans ces dispositions réciproques, le gouvernement et les nobles comparant les révolutionnaires aux niveleurs d'Angleterre, les accusoient de rebellion et d'ingratitude, regardoient tous leurs actes comme des crimes, et tournoient toutes leurs opérations en ridicule. Ils cherchoient à grossir leur parti de tous ceux que la réforme des abus portoient au mécontentement; et trop aigris pour être prudens, ils ne cachoient point

1789. l'espérance qu'ils avoient de voir le roi s'éloigner, rallier des troupes, rétablir son autorité et se venger des rebelles. Les exemples de la fronde et de la ligue nourrissoient leur espoir; ils ne songeoient pas à la différence des hommes, des lumières et des circonstances. D'un autre côté les patriotes ou les démocrates (c'étoit alors le nom adopté par les membres de l'assemblée qui avoient fait la révolution), doutant de leur force, craiguant par habitude une puissance qui n'existoit plus, et se croyant exposés à la vengeance la plus implacable, si le trône et les grands reprenoient leur autorité, ne cessoient d'échauffer le peuple contre les aristocrates pour s'en faire un appui contr'eux. Ils les traitoient d'hommes vains, ignorans, serviles, étrangers à tout amour de la patrie ; ils les accusoient de s'opposer au bien public pour leur intérêt personnel, et de vouloir l'asservissement du peuple pour satisfaire leur orgueil et leur cupidité.

Dans cette lutte inégale la cour n'ayant plus de troupes pour combattre, ni d'or pour corrompre, cherchoit à tromper et à diviser ses ennemis. Mais ses foibles succès dans ce genre de défense tournoient encore contr'elle,

car les patriotes étant une fois divisés en diffé- 1789. rens partis, et n'ayant d'autre force que l'opinion populaire, chaque parti disputoit à l'autre cette popularité en flattant les passions de la multitude, en proposant des décrets plus nuisibles aux riches, aux prêtres, et aux nobles, et personne n'osoit parler avec fermeté contre les désordres qui se commettoient, de peur de perdre l'appui des hommes ardens qui dirigeoient la populace. Les principes généraux étoient toujours respectés, mais leur application étoit méconnue, et la chaleur des factions excusoit tout ce qui pouvoit les favoriser.

L'assemblée nationale, profitant des événemens du 14 juillet et des sacrifices du 4 août, suivit avec ardeur sa première impulsion, et se hâta d'établir les principes qui devoient servir de base à la nouvelle constitution de la France. Après avoir désarmé le pouvoir absolu, anéanti les priviléges de la noblesse, proclamé la déclaration des droits et la souveraineté du peuple, elle abolit les anciennes dénominations des provinces, décida que le royaume seroit divisé en départemens et en districts, décréta que la France seroit une monarchie héréditaire, que le pouvoir légis

1789. latif seroit confié à une seule chambre, composée de députés élus par la nation, que les loix seroit soumises à la sanction du roi, qui pourroit y opposer un veto suspensif, et que le pouvoir exécutif seroit attribué au monarque; enfin, elle déclara que sa personne seroit inviolable et que ses ministres seroient responsables.

Ces bases, dont plusieurs étoient sages, et d'autres très-impolitiques et très-insuffisantes, étant arêtées, on voulut les faire accepter par le roi, qui y répondit par un mémoire contenant les modifications qu'il souhaitoit ; et ces observations, considérées comme un refus, irritèrent tous les esprits du peuple de Paris, qu'agitoient, d'une part, la crainte des projets de l'aristocratie, et de l'autre le langage ardent des agens d'une faction qui, dans le cours de la révolution, prit différens noms, différentes formes, et qu'alors on appeloit faction d'Orléans. Souvent on a mis en doute son existence; et Mirabeau même soutenoit que le duc d'Orléans n'étoit pas du parti qui portoit son nom. Mais quel qu'ait été le chef et le but de ces agitateurs, il est certain qu'alors c'étoit au nom de ce prince qu'on excitoit toutes les

séditions, qu'on payoit toutes les émeutes, 1789. et qu'on rallioit tous les perturbateurs du repos public.

Le duc d'Orléans, mécontent de la cour, avoit acquis une influence passagère, parce qu'il s'étoit, un des premiers, mêlé dans les rangs des amis de la démocratie. Il briguoit la popularité, et jamais il ne ménagea l'opinion publique. Prince sans dignité, député sans éloquence; plus entraîné par l'intrigue et poussé par la crainte, que guidé par l'ambition, sa marche fut tellement obscure, et son caractère si foible, que jusqu'en 1793, on l'accusa de tout, sans pouvoir le convaincre de rien; que ses intentions sont encore un problême; qu'on ignore si le parti à la tête duquel on l'avoit cru, ne prenoit pas son nom, et ne dépensoit pas ses trésors malgré lui, ou s'il ne se laissa pas forcer à conspirer, comme il s'étoit laissé contraindre à s'exiler. Ce qu'on sait de certain, c'est qu'il ne montra quelque fermeté qu'en marchant à l'échafaud.

Dès le commencement de la révolution cette faction excita les soupçons du parti des patriotes; mais ces soupçons alors étoient trop foibles et trop dénués de preuves, et le duc

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