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par exemple, que le phénomène moral auquel donne le nom de liberté se refuse à l'analyse plus que la chaleur, la lumière, l'électricité et plusieurs autres phénomènes sensibles. Il me paraît très possible de bien expliquer comment la liberté naît, s'étend, se resserre, se modifie. Je ne me flatte pourtant pas de porter dans cet exposé le degré de certitude et de précision qu'on trouve dans les bons livres de chimie et de physique; mais cela viendra moins encore, je dois l'avouer, de la difficulté de la matière que de l'insuffisance de l'auteur. Tout en étant convaincu de l'imperfection de mon travail, je crois fermement à la possibilité de le bien faire, et peutêtre ce que je tente d'autres réussiront-ils à l'exécuter. Quand je ne ferais dans cet ouvrage qu'ouvrir aux études politiques une nouvelle voie, que leur imprimer une direction un peu plus sûre, que montrer un peu plus clairement le but où il s'agit d'arriver et les moyens que nous avons de l'atteindre, je serais loin d'avoir perdu mon temps. Mais cela même est une tâche immense, et je n'oserais dire que j'ai pris la plume avec l'espérance de la remplir.

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$domCe qu'il faut entendre par le mot liberté.

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1. L'HOMME, aux premiers regards que nous portons sur lui, se présente à nous comme un être sujet à des besoins, et pourvu de facultés pour les satisfaire. Nous savons tous qu'il lui faut se nourrir, se désaltérer, se vêtir, s'abriter, etc. Nous savons aussi qu'il a pour cela une intelligence, une volonté, des organes.

On a beaucoup cherché si le mobile de ses facultés était en lui-même ou hors de lui, en sa puissance ou hors de sa puissance; s'il donnait son attention, comparait, jugeait, désirait, délibérait, se déterminait, parce qu'il le voulait et comme il le voulait; ou bien si ses facultés étaient mises en jeu sans lui, même malgré lui, par l'influence de causes sur lesquelles il n'avait aucun empire, et si le résultat de leur travail était aussi indépendant de sa volonté. Nombre de philosophes ont prétendu qu'il était également maître de

leur action et des résultats de leur action; et ce suprême ascendant qu'ils lui attribuaient sur elles, ils l'ont appelé libre arbitre, liberté morale. Je n'ai nullement à m'occuper ici de cette sorte de liberté. Il y a une autre recherche à faire.

Que l'homme ait ou n'ait pas en lui-même le principe de son activité, on conviendra qu'il n'agit pas toujours avec la même aisance; on m'accor dera sans doute qu'il peut exister au dedans de lui-même et en dehors de lui, dans ses infirmités, dans les choses, dans ses semblables une multitude de causes, qui l'empêchent plus ou moins de se servir de ses facultés. J'appelle liberté l'état où il se trouve quand il lui arrive de pouvoir s'en servir sans obstacle. Je dis que l'état où il est le plus libre est celui où il peut s'en servir avec le moins d'empêchement .

(1) L'idée d'absence d'empêchement est la première que le mot liberté réveille; elle est aussi la première qui paraît résulter de l'étymologie de ce mot. Le substantif LIBERTAS, dont nous avons fait liberté, est un dérivé du verbe LIBERARE, délivrer, affranchir; de LIBERATUS on a sans doute fait, par contraction, LIBERTUs, affranchi, et de LIBERTUS, LIBERTAS, franchise, manière d'être d'un homme exempt d'entraves et de contrainte. Un homme libre, d'après l'étymologie du mot, c'est

Il n'est guère personne qui ne placé ainsi la liberté dans le pouvoir de se servir sans obstacle de ses forces. Mais ce que les hommes veulent faire n'est pas toujours ce qui présente le moins de difficultés. Il leur arrive à tout moment. au contraire de tenter l'impossible, de vouloir exécuter sans obstacle les choses qui doivent trouver le plus d'opposition, de chercher la liberté dans les manières d'être et d'agir avec lesquelles elle est le moins compatible. Il s'agirait donc, si nous voulons savoir précisément en quoi la liberté consiste, de chercher quel est l'état où l'usage de nos facultés doit rencontrer le moins d'empéchement.

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2. Naturellement l'homme dans l'exercice de ses facultés peut être empéché par plusieurs causes très générales.

Il est d'abord circonscrit par les lois de son organisation, lesquelles ne lui permettent pas de sortir d'une certaine sphère d'activité. Tandis qu'en un sens il peut se développer et s'étendre presque à l'infini, sous un autre aspect, il tou

donc un homme délivré d'obstacles, un homme que rien n'empéche d'agir.

che immédiatement aux limites du possible. Tout ce qui implique contradiction avec sa nature, il est dans l'impossibilité la plus absolue de l'exécuter. Il n'est aucunement en son pouvoir, par exemple, de se dérober aux lois générales de la pesanteur, de respirer dans un lieu privé d'air, de voir en l'absence de toute lumière. Il ne faut donc pas demander en quoi consiste à cet égard' sa liberté; car, un obstacle insurmontable s'opposant ici à son action, il est visible qu'en ceci toute liberté lui est refusée '.

Ensuite, dans la sphère même qui a été ouverte à son activité, l'homme peut naturellement être empêché d'agir, d'un côté par l'ignorance, qui retient toutes ses facultés dans l'inertie, et d'un

(1) Le mot liberté n'exprime jamais qu'une quantité relative. Il n'y a pas de liberté absolue. Tout être créé est soumis à des lois et ne peut agir que dans des limites fixes et précises. L'expression, libre comme l'air, dont on se sert quelquefois, comme pour désigner une liberté sans bornes, n'exprime qu'une liberté très limitée : l'atmosphère est invinciblement liée à la terre; les vents sont soumis à d'irréfragables lois ; l'air n'est donc pas indéfiniment libre. Nul corps matériel ne l'est. Les êtres animés ne le sont pas davantage, et l'homme ne l'est pas plus que le reste de la création. L'homme, ainsi que les animaux, ainsi que toutes les forces répandues dans la nature, n'est susceptible que d'une certaine espèce et d'une certaine

étendue d'action.

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