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et jocans colloquebatur. Illa autem simpliciter, ut casta mulier, inter alia in hæc verba prorupit : « Vellem a te scire utrum nexus conjugalis legitime servetur, utrum amori meo amor pellicis cujuslibet præponatur? >> At ille, ut juvenis jocundus et levis, subridens respondit : << Putasne me te sola contentum? Putasne quod illam vel illam non habeam amicam?» At illa: «Si vera, inquit, crederem quæ dicis, jam immisso cultello (tenebat enim cultellum) transfigerem me.»> Erat autem gravida, vicinaque partui. Miles vero verbo verbum inculcans: « Nescio, inquit, si in te sævieris, quia, sicut assero, verum esse cognoveris. >> Femina diutius tantum non ferens ruborem seseque cohibere nequiens, sed sexus sui immemor, impresso cultro propria transfodit viscera. Subito malo et insperato miles turbatus pectus tundebat, faciem et cæsariem laniabat, flebilibus vocibus se miserum asserebat. Et revera verum fatebatur : qui felix fuerat conjuge, duobus privatur, et matre et quam in utero gestabat sobole. Dolorem dolori ejus cumulabant omnes qui aderant; tum dolor viri, tum mors mulieris, quæ alti vixerat testimonii, ad lamentum incitabat. Quis enim lacrimas cohibere possit, qui prægnantem misere mori, fetum necdum enixam, sine causa perspexerit? Cultellum qui corpus transfixerat a vulnere nemo extrahebat, existimantes quod cum ejus emissione spiritum supremum emitteret. At sponsus, qui adhuc sponsus, totus perfusus lacrimis, preces ad Dominum convertit, ejus misericordem matrem interpellans : « Domina, quæ es salus mea, consolatio mea præstabilis super nequitia et tribulatione mea, domina quæ educatum in hac hora me perduxisti, te testans invoco testem conscientiæ et puritatis meæ. Testor te, domina, et coram omnibus confiteor quod thorum conjugalem adulterino coitu numquam fœdavi, oculos ad alienas non levavi, cor mundum et innocens ab omni muliebri concupiscentia habui. Nunc ergo, domina, cum nichil horum fecerim, quasi omnium reus teneor, et in morte conjugis morior; neque enim vivere potero, mortua parte et maxima nostri. O conjunx et conjunx dilecta! quis michi det in sorte tua mori pro te? Vivens, sed nec vivens, quia semper in mœrore vivens, tabescet corpus; o utinam cum corpore tabescet et spiritus! Quis unquam, ut ego, ita sensit in corpore vulnus alieno? Sed numquid unum corpus eramus in Christo? Eramus plane. Perforatum doleo corpus meum, et quis medebitur mei?..... Virgo,...hujus mulieris medere vulneri, restitue sanitati. Melius est enim ei mori quam diutius mortem protrahendo ita cruciari. Virgo, Virgo, tuo me committo judicio. Quæ misericordiæ lance ponderas omnia, ne reputes pro facto leve verbum, verbum stultum quod lo

eutus sum, cum innocens sim a nocenti opere. Domina, dignum recompensatione non tibi rependam præmium, verumtamen imaginem ipsius ceræ pondere afferam ante sacrosanctum altare tuum. » Nec mora, cultellum qui spinam mulieris transierat a corpore extraxit, præstolans misericordiam misericordis dominæ. Flebant omnes auxilium a supernis indubitanter flagitantes. Regina cœlorum, quæ præsto est votis poscentium, affuit petitioni eorum. Quæ enim medicorum medicamine incurabilis erat, curata a beata Virgine, pristinæ saluti reddita est 1.

Sans doute ce petit roman eut quelque succès au moyen àge car on le raconte encore au quatorzième siècle; mais le temps en a bien modifié les circonstances. Qu'on me permette d'en citer cette nouvelle édition, que j'emprunte à un manuscrit contenant une collection de miracles de la Vierge 2:

Un moult noble chevalier banneret avoit en moult grant devocion toute sa vie la Vierge Marie, et avoit une moult belle dame a femme et que bien amoit, et fut grosse d'enffant dont il estoit moult joyeus. Le chevalier fist fere dedans sa chambre ung aultel de la Vierge Marie et en son honneur, et y fasoit chanter la messe. Si quant il doubtoit que sa dame dormoit, il venoit devant iceluy aultel et saluoit et prioit moult devotement la Vierge Marie. Une fois advint que la dame qui estoit pres d'avoir enffant se esveilla et tasta en la place du chevalier et ne le trouva pas, se leva et ala a l'uys de sa garde robe ou estoient ses damoiselles et ne le trouva pas, puis retourna en son ligt et s'endormit. Le chevalier secretement s'en vint coucher en son ligt avec elle. Le lendemain la dame fut moult troublée et courroussée, et suspessonna son mary, et luy dist, gravement se compleignant: << Sire, ne suis-je belle ne souffisant pour vous? Pourquoy amés vous aultre que moy? » Le chevalier se excusa moult forment, mes la dame ne le vouloit croire pour excusacion qu'il fist, mes fut courroucée. «Si, luy dist le chevalier, vràyement, dame, je aime dame plus belle que vous n'estes, » et entendoit en son cueur de la Vierge Marie. Adonc la dame du grant deulh que elle ot, qui cuidast que il amast aultre que elle, se ferit d'un coustel, et se tua et l'enffant qui en elle estoit. Adone le chevalier qui vist ce, s'en entra devant ledit autel et

1. 1, 7.

2. Faits et miracles de Notre-Dame, ms. de la Bib!. imp., fonds français, 70183, fol. 9 v.

se laissa cheoir moult tristes, et se plaigny et moult s'escria disant : « Doulce dame, pour cause de vous tout ce est avenu; je vous prie que a mon tres grant besoing me veuilliés aider, conforter et secourir, ainsi comme vous scavés qu'il m'est mestier. » Le chevalier demoura le jour et la nuit en sa chapelle, et les amis firent le corps appareiller pour mettre en terre, et furent ja dictes vigilles, et le corps vouloient pourter au moustier. Et ainsi comme on la veult lever pour pourter en l'esglise, se leva du vas ou en la vouloit pourter, saine et entière, et se fist vestir, et s'en ala droit en la chapelle en sa chambre ou elle trouva son seigneur en terre endormy, et le appella et luy dist: « Certes, tres chier sire, vous me avez dit voir que plus belle que moy avés pour amye. Elle a empetré par devers son benoist enffant Jhesu Christ nostre Seigneur que je ne suis pas dampnée, et me a fait a votre prière ressusciter de mort a vie et mon enffant qui est tout vif en mon ventre; et me a moult reprinse de ma foulie, et vous prie que vous l'amés et servés plus devotement que onques fistes, et je feray ainsy.» Adonc tous leurs amis et servans et tous ceulx qui presens estoient furent moult esbays et esmerveilhés et eurent en plus grant devocion la benoiste Vierge mère. Et tant comme vesquit l'enffant, il ot au front le signe de la playe que luy avoit foite sa mère du coustel.

Dans ce récit, moins touchant que le précédent, les détails sont nouveaux; la querelle s'engage différemment, et le drame va plus loin. Sans doute le compilateur du quatorzième siècle n'a point par plaisir, un manuscrit des miracles de Roc-Amadour sous les yeux, transformé ainsi l'historiette, et la tradition, les compilations successives ont dénaturé peu à peu la légende.

Le même auteur rappelle en quelques lignes1 un autre miracle de Roc-Amadour qui se retrouve dans Gautier de Coinsi. Gautier a vu en effet un manuscrit contenant la collection de RocAmadour:

1. Fol. 55.

La douce mère au Creatour

As église Rochemadour

Fait tant miracles, tant biaus fais,
C'uns moult biax livres en est fais;
Pluseurs foies leu l'ai.

D'un jongleour, d'un homme lai

Un moult courtois miracle i truis,
Que raconter weil, se je puis,

Pour faire entendre a ocune ame
La cortoisie Nostre-Dame... 1.

Un jongleur, Pierre de Sygelar, chante, en s'accompagnant sur la viole, les louanges de la Vierge dans l'église de Roc-Amadour, et, pour prix de sa ferveur et de ses chants, il obtient qu'un cierge de l'autel descende sur son instrument; un moine, nommé Gérard, accuse le jongleur de sorcellerie, et reprend le cierge pour le mettre sur l'autel aussitôt le miracle se reproduit. Telle est la légende que, cédant sans doute à un certain sentiment d'orgueil et d'esprit de corps, Gautier de Coinsy a choisie parmi tant d'autres. N'étant point tenu à la réserve que devait s'imposer l'auteur latin vis-à-vis d'un moine de Roc-Amadour, il met dans son récit une chaleur qu'on ne trouve pas dans la narration originale, et son indignation prodigue au moine Gérard les épithètes injurieuses. Comme il est intéressant de rapprocher de leurs sources les amplifications de Gautier de Coinsy, je reproduirai la version que donne notre recueil 2.

Cette faveur singulière accordée à un ménestrel contribua sans doute pour quelque part à la célébrité de Roc-Amadour, car les jongleurs, et Pierre de Sygelar lui-même, durent trouver honneur et profit à en répandre la nouvelle. On peut en rapprocher cette autre tradition suivant laquelle, le 27 mai 1105, la Vierge remit à deux jongleurs ennemis, en les réconciliant, un cierge qui avait la propriété de guérir le mal des ardents 3.

Les miracles de Notre-Dame de Roc-Amadour me semblent écrits en toute simplicité de cœur et avec la naïveté d'une foi sincère. L'auteur, tout en cédant parfois à un penchant d'exagération contre lequel il se met lui-même en garde, raconte ce qu'il a vu, répète ce qu'il a entendu. Il prête à ses personnages les paroles qu'il croit dans la situation; il s'efforce de répandre l'intérêt sur ses récits, et de faire ressortir les effets de l'inter

1. Bibl. imp., fonds Notre-Dame, no 195, fol. 166.

2. I, 34.

3. Voy. Guillaume Gazet, Histoire de la sacrée manne et de la sainte chandelle d'Arras (pet. in-8°, 1599, 1612, 1670); les vers de Jean Bodel cités dans l'Histoire littéraire, t. XX, p. 619; le Discours de N. Fatou sur le saint cierge d'Arras (pet. in-8°, 1696), et la Chandelle d'Arras, poëme en dix-huit chants, par de Laurens (Paris, 1807, in-8° et in-12).

vention de la Vierge; mais il se préoccupe moins, si je ne me trompe, des sentiments de scepticisme que des critiques littéraires qu'il pourra rencontrer; il ne dispose pas la scène de manière à ce que telle circonstance apparaisse sous un jour plutôt que sous un autre, et il livre ce qu'il sait sans songer que peutêtre l'esprit du lecteur trouvera dans les détails qu'il donne une explication bien prosaïque du fait qu'il admire, ou blàmera l'acte qu'il loue. Pour meilleure preuve, j'invoquerai la naïveté sans défiance avec laquelle il montre aux prises le zèle quelque peu intéressé d'un abbé, et le désir, aidé d'un peu de malice, qu'éprouve un laboureur de garder son bien. Je reproduirai le texte de l'anecdote '.

Mais faut-il croire avec M. G. Duplessis 2 qu'à l'époque où tous ces miracles étaient pieusement recueillis, ils aient été écoutés partout avec le même respect et la même soumission, et fautil répéter avec lui que nul homme n'eût osé hésiter un seul instant à en reconnaitre l'authenticité et l'exactitude? On ne peut admettre absolument cette foi crédule d'un public qui accepte tout à cette époque même, des paroles de doute se prononçaient à haute voix, et on les retrouve dans le récit des miracles, où de terribles châtiments les punissent comme blasphèmes. Un chevalier qui a visité beaucoup de lieux de dévotion, et qui revient d'un pèlerinage en terre sainte, entre dans l'église de Roc-Amadour; en voyant une telle diversité d'images de cire suspendues au mur, il nie tout haut leur authenticité, et prétend qu'elles sont placées là par les gens de la maison 3. Ailleurs, un chevalier italien raille ceux de ses compatriotes qui vont à Roc-Amadour, et s'étonne d'un si lointain voyage, quand ils ont autour d'eux tant de belles et célèbres églises vouées à la Vierge'.

Je ne prétends pas avoir réuni dans cette notice tous les renseignements que peut fournir la lecture des miracles de RocAmadour. On y peut trouver, par exemple, quelques indications sur le commerce de l'époque un Normand vient chercher à la Rochelle les vins qu'il vendra à Caen ; les habitants de

1. II, 21.

5

2. Le Livre des miracles de Notre-Dame de Chartres, publié par M. G. Duplessis (1855), p. vii.

3. III, 12.

4. II, 6.

5. « Rogerus Thevini, de Cam, apud Rochelam Aquitaniæ comparato vino, navim

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