Page images
PDF
EPUB

beaucoup de sentiments vagues sur la religion, il n'a ni dogmes précis, ni pratique arrêtée, ni culte positif. Ceci nous amène à parler de la religion de Rousseau; sujet très important, qui mérite bien un chapitre spécial.

CHAPITRE XX

Sommaire: PROFESSION DE FOI DU VICAIRE SAVOYARD. donnée à la religion par Rousseau.

seau.

[blocks in formation]

Variations religieuses de Rous

II. Rousseau prend pour guides la conscience et le sentiment. Des développements de la connaissance, depuis la perception sensible jusqu'à Liberté. Existence du mal.

Spiritualité de l'âme.

Dieu.
divine. Vie future. Morale. Conscience.

rale. - Pas de prière.

[ocr errors]

Justice Dieu, principe de la mo

La religion naturelle est-elle suffisante?

III. Deuxième partie de la profession de foi. Première objection: la révélation est inutile. Deuxième objection: la révélation n'est fondée sur aucune preuve certaine. Procédés d'argumentation de RousIndifférence religieuse de Rousseau. Conclusions contradictoires. Parti que l'incrédulité a tiré de la Profession de foi.

seau.

I

Rousseau a consigné ses idées religieuses un peu partout. Il n'a pas voulu seulement être un réformateur de la société, il a prétendu refaire la religion à sa façon. Il savait d'ailleurs la puissance sociale, aussi bien que l'importance doctrinale de la religion. Aussi n'a-t-il jamais été de ceux qui l'ont passée sous silence, et lui donne-t-il dans tous ses ouvrages une grande et honorable place. Il a fait, sur cette matière, un résumé important et raisonné de ses doctrines, c'est la Profession de foi du vicaire savoyard.

On sait que Rousseau a mis cette œuvre dans la bouche d'un certain abbé Gaime, dont il avait fait la connaissance à l'hôpital des catéchumènes à Turin; de là son nom de Profession de foi du vicaire savoyard.

LA VIE ET LES OEUVRES DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 97

Cet ouvrage n'est qu'un épisode du quatrième livre de l'Émile; il a néanmoins suscité des centaines de volumes d'apologies ou de critiques, d'attaques ou de défenses, et il en pourrait susciter bien d'autres encore; il n'embrasse en effet rien moins que la religion toute entière, la religion naturelle et la religion révélée.

Afin qu'on ne nous accuse pas de nous escrimer à vide, il est bon d'établir que cette profession de foi n'est pas seulement celle du vicaire, mais qu'elle est bien celle de Rousseau en personne. Cela a été quelque peu discuté dans le temps; Jean-Jacques lui-même l'a contesté parfois pour le besoin de sa cause; plus souvent il l'a affirmé. « Vous concevrez aisément, écrit-il à Moultou, que la Profession de foi du vicaire savoyard est la mienne 2. >> Enfin, ce qui est le plus décisif, il l'a constamment traitée, aimée et défendue comme son œuvre la plus chère. « Je la tiendrai toujours, écrit-il à l'archevêque de Paris, comme l'écrit le meilleur et le plus utile, dans le siècle où je l'ai publié 3. » Aujourd'hui il n'y a plus ni doute ni contestation à ce sujet.

Rousseau a répété maintes fois qu'il n'a jamais changé sur la religion; cela n'est pas tout à fait exact. Sans aller fouiller dans ses œuvres de jeunesse et lui rappeler la belle prière qu'il faisait aux Charmettes; sans opposer les unes aux autres ses variations du même jour et de la même heure, chez Mme d'Épinay; sans parler de ses deux abjurations,

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

qu'il a expliquées tant bien que mal; on trouverait, aux diverses époques de sa vie, des différences qu'il est impossible d'interpréter par un simple développement de la même pensée. Si l'on en croyait Diderot, « rien ne tient dans ses idées; c'est un homme excessif, qui est ballotté de l'athéisme au baptême des cloches1. » Mais nous avons des autorités plus sûres et plus impartiales que celles de Diderot. Il est certain, par exemple, qu'après sa seconde abjuration, Jean-Jacques se montra un protestant autrement orthodoxe qu'il ne le fit plus tard. Dans ce temps-là, les pasteurs comptaient sur lui, pour les soutenir dans les conjonctures délicates; ils désiraient le consulter pour une nouvelle édition de la Bible; ils entretenaient avec lui une correspondance très suivie; ils voulaient l'opposer à l'impie Voltaire; ils lui faisaient écrire sa lettre sur la Providence. Ces belles dispositions n'avaient pas toutefois des racines assez profondes pour le déterminer à défendre ses amis de Genève contre ceux de Paris, contre Diderot, contre Grimm, contre la société frivole et railleuse qu'il rencontrait chez Mme d'Épinay. Plus tard, il écrivit son Emile, sa Lettre à l'archevêque de Paris, ses Lettres de la Montagne, où se mêlent et s'amalgament dans son impressionnable cervelle toutes les influences que nous venons d'indiquer. Celle de Diderot notamment est visible; chemin faisant, nous en pourrons signaler quelques traits. Enfin il ne faut pas oublier que, dans les dernières années de sa vie, il a, dans un superbe morceau, sous forme d'allégorie, réhabi

1. Lettre de Diderot à Mlle Volant, 1762.

2. SAYOUS, t. I,

ch. IV. GABEREL, Rousseau et les Génevois, ch. III.

lité la révélation chrétienne, qu'il avait trop longtemps combattue. Cette page mérite d'être rapportée avec quelque détail. Un philosophe voit en rêve un immense édifice, soutenu par sept statues colossales (les sept péchés capitaux), hideuses si on les regarde de face, mais très belles, si on les voit d'un certain côté. Au milieu est une huitième statue voilée, à laquelle l'édifice est consacré. Des prètres introduisent la foule des adorateurs, mais en ayant soin de ne laisser pénétrer personne qu'après lui avoir bandé les yeux. Leur culte est fondé sur l'imposture, le carnage, la prostitution. Cependant un vieillard, se donnant comme aveugle, est dispensé de bandeau. Il s'élance sur l'autel, arrache le voile de la statue, en montre la difformité; mais sur l'appel des prêtres, le peuple, au lieu de se montrer reconnaissant, se précipite sur lui et le condamne à boire l'eau verte. Et le vieillard consacre son dernier discours à rendre hommage à cette statue qu'il venait de dévoiler. Tout à coup une voix se fait entendre: C'est ici le Fils de l'homme; les cieux se taisent devant lui, terre, écoute sa voix; et l'on aperçoit sur l'autel un personnage en habits d'artisan, au regard céleste, simple et sublime. On sent que le langage de la vérité ne lui coûte rien, parce qu'il en possède la source en lui-même. O mes enfants, dit-il, je viens expier et guérir vos erreurs ; aimez celui qui vous aime, et connaissez celui qui est; et il renverse sans effort la statue et prend sa place'. Que n'avons-nous de Rousseau beaucoup

1. Fiction ou morceau allégorique sur la révélation, publié par Streckeisen Moul

tou. Correspondance et œuvres, etc., 1861.

« PreviousContinue »