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470 LA VIE ET LES OEUVRES DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

faillit avoir une aventure analogue à celle qu'il avait eue avec Thévenin. Un individu de Monquin s'avisa de lui envoyer par la poste une note de fournitures qu'il aurait négligé de payer avant son départ. « Ce Monsieur Rousseau était si bon, si généreux, dit la femme, que j'ai cru qu'il enverrait, sans examen et sans rien approfondir, le montant de notre mémoire.» Saint-Germain tira Jean-Jacques de ce petit embarras1.

1. Lettre à Saint-Germain, 3 juin, et Réponse de Saint-Germain, 6 juin 1770. Voir

MUSSET-PATHAY: Histoire de
J.-J. Rousseau, 2o période, t. I,
P. 174.

CHAPITRE XXX

Du mois de juin 1770 au 20 mai 1778.

Sommaire: ROUSSEAU A PARIS. I. La statue de Voltaire. Bustes de Rousseau.

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II. Installation de Rousseau à Paris. Changement dans ses habitudes. Sa fortune. Ses travaux de musique. Il reçoit deux mille écus dé l'Opéra. Ouvrages de Rousseau sur la botanique. — Relations mondaines de Rousseau. Sa rupture avec Mme Latour. Mme de Geulis. Dusaulx. Bernardin de Saint-Pierre.

Corancez.

Rulhières.

III. Lectures des Confessions.

Examen et critique des Confessions.

Publication des Confessions.

Coup d'œil général sur la vie

Jugement de Ginguené sur les Confessions et réponse
Jugements de Servan et de Sainte-Beuve.

de Rousseau.

de La Harpe.

V. Les Dialogues.

IV. Considérations sur le gouvernement de Pologne.

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Pensées moroses et hallucinations de Rousseau. Jugements de Rousseau sur lui-même.

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pour assurer la conservation et la publication des Dialogues.

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Rousseau renversé et blessé par un chien.

VII. Rousseau songe à quitter Paris et à se retirer dans un hôpital. — Offres d'asile. Départ de Rousseau pour Ermenonville.

I

En ce moment, un petit événement assez ridicule agitait le monde des lettres : il était question d'élever une statue à Voltaire, de son vivant. Ce trait de vanité mesquine de la part de Voltaire, de basse flatterie de la part de ses admirateurs, pouvait exciter la jalousie de Jean-Jacques; il fit mieux, il se contenta d'en sourire. Lui aussi avait été à même d'avoir au moins sa médaille; mais loin d'y pousser, comme on insinuait que Voltaire le faisait pour sa

propre statue, il avait refusé de se prêter à l'honneur que prétendaient lui faire ses amis'. Il est vrai que lui-même avait eu la faiblesse de réclamer fièrement, comme un droit, des statues pour l'auteur d'Émile; mais cet appel, qu'il savait bien devoir rester sans écho, ne s'adressait qu'à la postérité. Voltaire s'était beaucoup moqué de lui à cette occasion; Rousseau n'avait-il pas actuellement au moins les mèmes droits de se moquer de Voltaire?

Il était convenu que la statue serait élevée par souscription. Les contributions étaient fixées à deux louis et réservées exclusivement aux hommes de lettres. Voltaire ne s'attendait pas que Jean-Jacques viendrait mêler son nom à ceux de ses nombreux admirateurs. « J'apprends, écrivit Rousseau en envoyant ses deux louis, qu'on a formé le projet d'élever une statue à M. de Voltaire, et qu'on permet à tous ceux qui sont connus par quelque ouvrage imprimé de concourir à cette entreprise. J'ai payé assez cher le droit d'être admis à cet honneur pour oser y prétendre, et je vous supplie de vouloir bien interposer vos bons offices pour me faire inscrire au nombre des souscrivants 2. >>

Ce don, comme Rousseau en convient, << était moins une générosité qu'une vengeance; mais une vengeance à la Jean-Jacques, que Voltaire ne lui rendrait pas. » Il pouvait en effet être désagréable à ce dernier de se trouver l'obligé de Jean-Jacques; cependant, s'il n'avait pas été aveuglé par la passion, il aurait pris son parti de cet hommage, qu'il ne pouvait décemment décliner. D'Alembert, qui

1. Lettre à Rey, 11 juin 1769

2. Lettre à la Tourette. Lyon,

-

2 juin 1770. 3. Rousseau juge de Jean-Jacques, 3. Dialogue.

était chargé de recueillir les fonds, ne douta pas qu'on ne dût l'accepter et écrivit à la Tourette une lettre de remerciements'. Mais Voltaire ne l'entendait pas ainsi, et on eut toutes les peines du monde à l'empêcher de faire rendre à Rousseau sa mise, comme si c'eût été lui que ce soin regardait. « J'ai peur, dit-il d'abord, que les gens de lettres de Paris ne veuillent point admettre d'étranger; ceci est une galanterie toute française2. » Ce qui ne l'empêchait pas de solliciter la souscription du roi de Prusse. « Je ne puis voir, disait-il encore, cet homme sur la liste, à côté de vous et de M. le duc de Choiseul 3. » Rousseau ne daigna pas seulement répondre, et put triompher à son aise des sottises et des insolences gratuites de Voltaire.

Les répugnances de Rousseau ne le sauvèrent pas toutefois des honneurs ou des ennuis de la gravure. C'est le sort de tous les hommes célèbres de servir de modèles aux artistes. «< Puisque vous voulez me faire graver malgré mon goût, écrivait-il à Rey, mieux vaut m'avoir ressemblant que défiguré. Je préfère M. de la Tour, comme incapable de se prêter aux manœuvres qui ont guidé le pinceau de Ramsay et les crayons de Liotard . » Peu de temps après, la spéculation s'en mêlant, on vendait deux, six et huit louis son buste en biscuit, en albâtre ou en ivoire, ainsi que ceux de Voltaire, de Montesquieu et de d'Alembert".

1. Lettre de la Tourette à Voltaire, 26 juin 1770. 2. Lettre à la Tourette, 23 juin 1770. 3. Lettre de Voltaire à d'Alembert, 16 juillet 1770. Voir aussi ses Lettres à d'Alembert, 30 juin, et à Grimm, 10 juillet; de d'A

lembert à Voltaire, 2, 7 et 25 juillet 1770. DESNOIRESTERres, t. VII, chap. III. - 4. 26 juillet et 9 septembre 1770. 5. GRIMM, Corresp. littér., 15 mars 1771.

II

Rousseau était arrivé à Paris dans les derniers jours de juin 1770. En passant par Dijon, il s'était arrêté pour aller jusqu'à Montbard, faire visite à Buffon. Ces deux amis de la nature s'estimaient l'un l'autre, sans s'être jamais vus; ils durent être heureux de se trouver réunis.

Rousseau n'avait pas de logement à Paris et n'était pas homme à se presser pour en chercher un; il n'avait pas non plus de mobilier. Il n'aurait pas manqué d'amis pour le recevoir, au moins à titre provisoire; il préféra prendre un logement garni très mesquin, presque misérable, mais qu'il jugea en rapport avec l'état de sa fortune. Ce parti sauvegardait mieux sa liberté et avait l'avantage de ne pas engager l'avenir: « Vous me demandez, écrivait-il à Rey, si je me fixerai à Paris; je vous réponds que je ne sais jamais aujourd'hui ce que je ferai demain. » « Me voici à Paris depuis trois semaines, écrivait-il à Saint-Germain; j'y ai repris mon ancienne habitation; j'y revois mes anciennes connaissances; j'y suis mon ancienne manière de vivre ; j'y exerce mon ancien métier de copiste; et, jusqu'à présent, je m'y retrouve à peu près dans la même situation où j'étais avant de partir. Si on m'y laisse tranquille, j'y resterai; si l'on m'y tracasse, je l'endurerai 2. »

Dusaulx, un de ses amis, aurait bien voulu le tirer de son taudis; Jean-Jacques l'autorisa à lui

1. 26 juillet 1770. 2. 14 août 1770.

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