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Luze qui, ayant affaire à Londres, avait arrangé son voyage de manière à accompagner son ami. Ils se firent, du reste, peu attendre, et le 4 janvier 1766, tous trois quittèrent Paris et se dirigèrent vers l'Angleterre.

Peu de jours avant leur départ, on avait répandu dans Paris une lettre de Walpole qui émut beaucoup Jean-Jacques. Comme celui-ci ne la connut pas alors, et qu'elle n'acquit que plus tard une certaine importance, nous ne la signalons ici que pour mémoire.

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CHAPITRE XXVII

Du 4 janvier 1766 au 22 mai 1767.

Sommaire

ROUSSEAU EN ANGLETERRE.

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Recherche d'un logement. Arrivée de Thérèse.
Wootton. - Accueil que Rousseau reçoit en Angleterre.

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Départ pour
Installation

de Rousseau à Wootton. Lettre apocryphe du Roi de Prusse. II. Tendre affection entre Hume et Rousseau. - Premières difficultés. Revirement subit. Réclamation de Rousseau contre la lettre du Roi de Prusse. Griefs de Rousseau contre Hume. Rupture de Hume et de Rousseau. Indiscrétions des deux côtés. Des amis communs cherchent vainement à s'interposer. Exposé succinct de Hume. Traduction de l'Exposé succinct par d'Alembert et Suard. Nombreuses brochures. Refroidissement d'amitié entre Milord Maréchal et Rousseau. Pension du Roi d'Angleterre; Rousseau néglige d'en réclamer le paiement.

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Les Confessions.

Sa lettre à Davenport.

Ses extravagances

I

Rousseau arriva à Londres le 13 janvier 1766. Sans trop écouter ceux qui lui cherchaient un logement, il aurait voulu courir tout de suite à la campagne, s'enfermer dans quelque retraite solitaire,

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se faire oublier des hommes et finir ses jours en paix. » Hume, qui craignait pour lui la solitude et n'était pas fâché de le produire dans le monde, combattait cette pensée et prétendait qu'il ne pouvait s'éloigner, tant qu'il ne saurait pas l'anglais. C'était renvoyer son départ aux calendes; car il avait beau se consumer en efforts, il ne pouvait rien

LA VIE ET LES OEUVRES DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 379

apprendre de cette langue. Son amour pour la retraite n'alla pourtant pas jusqu'à lui faire accepter les habitations qui lui furent offertes à la campagne. Hume, trompé sans doute par les prétentions de Jean-Jacques à la simplicité, avait chargé un de ses amis, Jean Stewart, de chercher un fermier honnête et discret qui, moyennant 50 ou 60 livres sterling, se chargeât de le loger et de le nourrir, lui et sa gouvernante on ne lui aurait fait payer que 20 ou 25 livres, et Hume aurait tenu compte très secrètement du surplus. Il emmena son ami visiter ce logement; mais celui-ci le trouva insuffisant et inhabitable. D'autres projets ne le séduisirent pas davantage. Cependant il avait accepté la proposition d'un propriétaire aisé qui lui avait offert de le recevoir chez lui; mais avec une condition qui fut jugée inadmissible, celle de faire manger Thérèse à la même table que lui et son hôte. Bientôt il se rejeta sur le pays de Galles, où les habitants, bons et hospitaliers << ne savaient pas un mot d'anglais. » Son départ était d'ailleurs subordonné à l'arrivée de Thérèse. Celle-ci était encore à Paris et logeait chez Mme de Luxembourg. Le temps qu'elle devait employer à venir fut mis à profit par Hume pour proposer à son ami des habitations moins isolées et moins éloignées de la capitale. Hume en était encore à s'imaginer qu'il pourrait jouer vis-à-vis de Rousseau le rôle de protecteur et de mentor; et JeanJacques, tout ému du zèle de son patron, trouvait bon de se laisser protéger'. Il fut surtout beaucoup

1. Lettres de Rousseau à Mme de Boufflers, 18 janvier; à Mm. de Verdelin, 22 janvier, 5 février 1766; de Hume à M. de Bouf

flers, 19 janvier 1766; - Exposé succinct de la contestation qui s'est élevée entre M. Hume et M. Rousseau, 1766.

question de l'île de Wight, plus gaie, plus accessible, d'un climat plus favorable que le pays de Galles; mais, malgré tout ce qu'on put lui dire, notre Genevois opta pour le pays que les Anglais ont appelé la Petite Suisse en définitive, il se logeait pour lui et non pour ses amis1. En attendant qu'il put y aller, comme il lui tardait de quitter la ville, il se retira à Chiswick, petit village situé à 6 milles de Londres, sur le bord de la Tamise 2.

un

Il y était depuis une quinzaine de jours, quand arriva Thérèse. Pendant le temps qu'il y resta, grand nombre de personnes lui proposèrent de nouvelles résidences. Il reçut des offres de la part de Milord Maréchal, pour les environs de Plimouth 3. Il en eut pour le comté de Surrey; il en eut pour toutes les provinces d'Angleterre. Hume lui offrit d'acheter, pour l'y établir, une maison de campagne, comté de Sussex, dont il avait paru fort épris. D'un autre côté, le comte Orloff l'engagea à venir habiter une de ses terres, en Russie. Enfin JeanJacques partit de Chiswick le 19 mars, pour aller, non dans le pays de Galles, comme il l'avait résolu, mais dans un château nommé Wootton, situé à cinquante lieues de Londres, dans le comté de Derby. Le propriétaire, Davenport, était des amis de Hume; il habitait rarement son château et le mit gracieusement à la disposition de Rousseau. Celui-ci tou

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tefois ne consentit pas à être logé gratuitement, et voulut payer à Davenport trente guinées par an 1. Il fit observer, d'ailleurs, que si l'habitation ne lui convenait pas, il aurait de nouveau recours aux bons offices de Hume et à ceux de son nouvel hôte pour en trouver une autre. « Si Wootton vous déplaît, lui écrivait Hume, M. Davenport vous propose une petite ferme, près de son autre propriété de Cheshire. Si cela ne vous convient pas encore, il prêtera tout son concours à vous établir selon votre gré, en quelque autre lieu, et il dit qu'il ne vous perdra jamais de vue, jusqu'à ce qu'il vous voie satisfait et à l'aise. Voilà de même le grand objet de mon ambition 2. >>

Avant d'aller s'enfermer dans sa solitude sauvage et éloignée de toute communication, Jean-Jacques prit la sage précaution de se munir d'argent. Il demanda à Dupeyrou de lui envoyer 30 guinées et il chargea d'Ivernois de placer en rente viagère, sur sa tête et sur celle de Thérèse, 3,400 francs, dont 3,000 étaient à lui et 400 à Thérèse. Cet argent était alors en dépôt chez Mme Boy de la Tour3.

Pendant les deux mois que Rousseau avait passés à Londres ou aux environs de Londres, il avait été à même d'apprécier l'hospitalité anglaise. Il l'avait d'abord trouvée fort à son gré. Il est à croire que la curiosité avait eu pour le moins autant de part à l'accueil qui lui avait été fait que l'intérêt pour ses

1. Tel est du moins le chiffre indiqué par Hume (Lettre de Hume à X..., 2 mai 1766). Rousseau s'est récrié contre cette évaluation. Il a voulu dire sans doute qu'il payait da

vantage (Lettre de Rousseau
à Dupeyrou, 19 juillet 1766).
2. Lettres de Hume à Rousseau,
mars et 22 avril 1766. 3.
Lettres à d'Ivernois, 22 février;
et à Dupeyrou, 14 mars 1766.

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