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nommée Isabelle d'Ivernois, dont le père était procureur général de Neufchâtel. Elle l'appelait son papa; il l'appelait sa fille; elle le prit pour conseiller et pour directeur. Il correspondit longtemps avec elle et se persuada qu'il lui avait été fort utile.

Il ne paraît pas qu'il fit commerce de ses lacets, mais il les employait à faire des présents à ses jeunes amies lorsqu'elles se mariaient, à condition qu'elles nourriraient leurs enfants. Cela donne à supposer que son métier de fabricant de lacets était plutôt une attitude qu'une occupation véritable. Des dames, même de ses plus intimes, Mme Latour, par exemple', lui demandèrent de ses lacets; mais elles ne remplissaient pas la condition indispensable; elles essuyèrent un refus. A plus forte raison, refusa-t-il d'en donner à Moultou 2. Naturellement, il accompagnait ses envois d'une lettre de félicitations et de conseils 3.

IX

Pendant que Rousseau était à Motiers, il éprouva plusieurs pertes qui lui furent sensibles.

D'abord celle de Mme de Warens. Elle mourut au mois d'août 1762, « accablée de maladies, de mi

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sères, abandonnée des injustes humains'. » JeanJacques avait cessé presque toute relation avec elle. Il parut néanmoins vivement frappé par sa mort. A l'entendre, c'était la meilleure des femmes et des mères; la perte qu'il fait est irréparable; mais elle quitte cette vallée de larmes, pour passer dans le séjour des bons, auprès des Fénelon, des Bernex, des Catinat, et préparer à son élève la place qu'il espère un jour occuper près d'elle. Qu'un mot de repentir, qu'un sentiment de remords eussent bien mieux valu que ces compliments inutiles!

La mort enleva encore une autre personne pour laquelle Rousseau éprouvait un sincère attachement, le maréchal de Luxembourg. Il l'avait toujours aimé et le regretta vivement. Il lui avait laissé, lors de son départ précipité de Montmorency, son testament et une reconnaissance d'une somme de 1,575 francs; il ne rentra en possession de ces deux pièces qu'après la mort du maréchal3. Il sut que ce dernier s'était toujours intéressé à lui; que jusqu'à la fin, il avait parlé de lui avec une grande sensibilité; ce qui ne l'empêche pas de dire que, sous l'influence de sa femme, il l'avait un peu délaissé depuis ses malheurs. Dans la lettre de condoléances qu'il écrivit à la maréchale, il ne sut pas s'abstenir de glisser un reproche. « A votre exemple, dit-il, il m'avait oublié 5. » Mme de Luxembourg n'eut pas de peine à se justifier; mais comment sa

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tisfaire les exigences de Jean-Jacques1? Quoi qu'il en soit, à partir du jour où le maréchal ne fut plus là, les rapports ne tardèrent pas à devenir plus rares et plus froids. Mais à qui la faute? Au fond, Jean-Jacques n'a jamais beaucoup aimé Mme de Luxembourg; il la craignait, et la crainte détruisait en lui l'affection. Il n'aurait pas eu à s'étonner que Mme de Luxembourg eût répondu à ses sentiments par des sentiments semblables; loin de là, elle ne cessa de s'intéresser vivement à lui, au point de recevoir d'assez mauvaise grace les essais de justification de Voltaire, dans les démêlés qu'il eut avec lui 2. « Je ne puis souffrir, écrivait en 1766 la duchesse de Choiseul à Me du Deffand, que Mme la maréchale de Luxembourg se tourmente à se rendre malade, des malheurs qu'attirent à Rousseau ses folies fastueuses, quand il est bien sûr qu'il ne sacrifierait pas pour elle un grain de son insolent orgueil. » A cette époque, Jean-Jacques s'informait encore de la maréchale avec un certain intérêt “; mais bientôt, dans sa correspondance et dans ses Confessions, il ne sut répondre à son affection que par les accusations les plus injustes. Comme nous l'avons déjà dit, on a beau chercher dans la conduite et dans les procédés de l'un et de l'autre, on ne voit rien qui justifie Rousseau, et l'on voit au contraire beaucoup de choses qui tendent à justifier Mme de Luxembourg. Pourquoi, sans motif et

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contre tout motif, la taxer de fausseté et d'hypocrisie.

Mais il avait été maladroit avec elle et il s'imagina qu'elle devait lui en savoir mauvais gré; il avait eu avec elle quelques froids passagers et il en fit des querelles sérieuses; en un mot, il avait eu tous les torts et il en conclut qu'elle devait les lui faire sentir par sa haine. De sorte qu'il se fit une arme de ses propres fautes et de ses injures pour attaquer les autres. Habitué à être gâté par les grandes dames, il est comme les enfants gâtés, qui deviennent d'autant plus exigeants qu'on leur cède davantage. « Cependant, ajoute-t-il, je ne puis la croire essentiellement méchante, ni perdre le souvenir des jours heureux que j'ai passés près d'elle et de M. de Luxembourg. De tous mes ennemis, elle est la seule que je croie capable de revenir, mais non pas de mon vivant. Je désire ardemment qu'elle me survive, sùr d'être regretté, peut-être pleuré d'elle après ma mort'. » Et voilà tout ce que peuvent lui inspirer de mieux des années de bienfaits et d'affection!

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CHAPITRE XXIV

De juin 1762 au 7 septembre 1765.

Sommaire: AFFAIRES DE Genève.

ment à ses droits de bourgeoisie.

- I. Rousseau renonce solennelleReprésentations adressées au Con

seil par les bourgeois de Genève. Rousseau cherche à calmer les es

prits. Lettres de la Campagne.

La question des miracles.

II. Lettres de la Montagne. - Le droit de représentation et le droit négatif. - Impression des Lettres de la Montagne. Leur introduction clandestine en France. Les Lettres brûlées à Paris et à La Haye et interdites à Berne. Attitude de Genève le Conseil, les amis de Rousseau, les ministres. Lettre de Mably. Guerre de brochures. Rousseau prêche la modération. Les Lettres brûlées à Genève; nouvelles représentations.

III. Le Sentiment des Citoyens. Polémique de Rousseau avec Vernes à ce sujet. Attitude de Voltaire.

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IV. Rôle considérable de Voltaire dans les affaires de Genève. Voltaire veut se réconcilier avec Rousseau. Rousseau engage ses amis à profiter des bonnes dispositions de Voltaire. La médiation. - Les Natifs. Projets d'accommodement. Blocus de la ville par les puissances médiatrices. Rousseau envoie des conseils et des secours. Ses efforts en faveur de la pacification. - Pacification. Nouveaux conseils de Rousseau. Le peuple s'associe à sa joie. Le Docteur Pansophe. La Guerre de Genève.

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V. AFFAIRES DE MOTIERS. Situation de Rousseau vis-à-vis de Montmollin, son pasteur. Que devait attendre Rousseau 1o de Frédéric; 2o du Conseil d'Etat; 3o des Pasteurs. La classe des Pasteurs dénonce au Conseil d'Etat les Lettres de la Montagne. Rousseau pro

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met de ne plus écrire sur la Religion. Montmollin cherche en vain à se prévaloir des droits de son église. Rousseau refuse de se présenter Le Conseil d'État exempte Rousseau de la juridiction du Consistoire. Triomphe de Rousseau. Il s'engage à ne plus écrire. Publications en sa faveur. Les Lettres de Dupeyrou. Nouvelles excitations de Montmollin. La Vision de Pierre de la Montagne. Lapidation de Rousseau. Travers. Enquête du châtelain. tement du Roi contre les Pasteurs.

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La communauté de Couvet lui offre un asile. Dernière lettre de Dupeyrou. Embarras de Montmollin. L'issue de ces démêlés ne satisfit personne. Nouveau res

crit du Roi de Prusse.

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