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DANS notre introduction, nous avons pris l'engagement de laisser aux faits toute leur indépendance, et de ne jamais la troubler par l'intervention de quelque vue qui nous fût personnelle. Nous voulons rester fidèles à nos promesses; car, suivant nous, c'est une faiblesse, et quelquefois un crime, d'altérer le sens des documens historiques; il faut écouter l'histoire, et non la faire parler, sûrs que nous sommes que ses enseignemens concluront toujours pour la meilleure cause. Cependant, nous avons cru nécessaire d'ouvrir chacun de nos volumes par une pré ́face particulière destinée à exposer l'idée générale de la narration qui devait suivre et à fixer l'attention de nos lecteurs sur le caractère des événemens que nous allions exposer.

En commençant notre ouvrage, nous nous étions promis de procéder selon cette méthode. Nous pensions, en effet, qu'autrement nous ne donnerious pas à nos lecteurs tout ce qu'ils devaient peut-être attendre du titre d'histoire parlementaire, savoir les faits, et un jugement sur les faits.

On se représente habituellement l'Assemblée Nationale Constituante, comme un Sénat où toutes les supériorités étaient rénnies, celles du courage, celles de l'intelligence, celles de la parole; où rien, ni dans le bien, ni dans le mal, ne fut médiocre. Il semble que la révolution ait dû commencer par quelque chose de grand comme elle. En effet, dans la plupart des histoires, c'est à elle qu'on attribue l'initiative de la réformation sociale. On a pu voir, dans le volume précédent, qu'il n'en était point ainsi. Les députés du Tiers-état arrivèrent à Versailles, porteurs de Cahiers impératifs et détaillés, chacun d'eux ayant promis, sous serment, de se dévouer à son mandat. Dès ce jour, l'honneur leur défendait de quitter la place avant d'avoir tenté toutes les voies de succès. Il ne leur était permis de reculer que devant la force; et nous verrons dans le volume qui va suivre, que la force ne put jamais être employée contre

eux.

La pensée unitaire et impulsive venait d'en bas : elle venait de la bourgeoisie, elle venait du peuple ; et ceux-ci se chargèrent d'écarter tous les obstacles qui pouvaient gêner la liberté de leurs mandataires. Ainsi, pendant la séance du 23 juin, alors que contre l'ordre du Roi, les communes persistèrent à se qualifier du titre d'Assemblée Nationale, ce fut une violente et effrayante émeute qui garantit le Tiers-état contre les colères de la cour. Plus tard, lorsqu'une armée se trouva réunie pour appuyer un coup d'état, ce fut encore le peuple qui séduisit les soldats, en conquit six mille à son parti, et enfin s'arma lui-même au 14 juillet. L'état des provinces suffisait seul, d'ailleurs, pour assurer toute sécurité aux communes. Pour un homme de sang-froid, il était évidemment devenu impossible au gouvernement de ramener l'obéissance à l'ancien or

dre. Partout l'ordre nouveau était en armes ou sur le point de les prendre. L'Assemblée pouvait donc, sans danger, être hardie avec la Cour, plus hardie même qu'elle ne le fut. Nous ne doutons pas que les plus courageux avocats de la révolution, tels que Mirabeau, Sieyès, etc., n'eussent parfaite conscience de cette position; et que si la majorité resta au-dessous de ces grands orateurs, ce fut par d'autres sentimens que ceux de la prudence.

La France était peut-être alors le seul pays en Europe où pût régner la communauté de principes et d'instruction dont témoigne la rédaction des cahiers du Tiers-état, tous écrits dans l'esprit d'une même doctrine, celle de J.-J. Rousseau. Cette unanimité était évidemment le résultat de l'unité de l'enseignement distribué à la jeunesse. Quelque peu avancé qu'il fût, il conduisait tous les Français sur le terrain des mêmes études, et leur inspirait les mêmes tendances intellectuelles. En général les hommes sérieux étaient nourris de la lecture du Contrat Social, et les hommes légers de celle de Voltaire. Or ce furent les premiers qui rédigèrent ces cahiers.

Avant le 14 juillet, le mouvement fut populaire, c'est-à-dire unanime. Mais après cette journée, lorsque la Cour parut définitivement vaincue, on vit apparaître deux peuples dans le Tiers-état. La bourgeoisie chercha à se constituer comme classe gouvernante. Alors, vint à naître ce système que les écrivains de 1789 nommèrent le Despotisme bourgeois. Ce nouvel ordre commença à trôner dans les Hôtels-de-ville, dans les districts : il chercha à s'attribuer le privilége d'être armé, en formant à lui seul toute la garde nationale. Nous le verrons à Paris, s'efforcer de fermer les clubs, puis essayer de faire taire la presse lorsqu'elle était hostile à ses prétentions. Nous le verrons même, plus tard, protéger les priviléges bourgeois, et écarter les réclamations des salariés. Mais toutes les fois que la noblesse ou le clergé viendront à élever la voix, nous retrouverons la bourgeoisie aussi animée que le premier jour, et en appelant encore à la violence populaire.

Ainsi, dès 1789, la bourgeoisie chercha à confisquer la révolution à son profit. Or, une nation qui agit révolutionnairement, travaille toujours pour un avenir plus ou moins éloigné, pour conquérir quelque bien dont les générations futures seules pourront jouir. Dans un pareil mouvement, celui qui pense à son intérêt particulier, à cet intérêt qui mourra avec lui, celui-là s'isole nécessairement des destinées sociales, et, dès l'instant même, involontairement, par la nécessité de la position qu'il a choisie, il devient réactionnaire. C'est ce qui arriva à la bourgeoisie de 1789: de peur de perdre la position supérieure où les événemens l'avaient poussée, elle voulut arrêter le mouvement révolutionnaire; et les écrivains patriotes l'accusèrent en effet de ne poursuivre la Noblesse et le Clergé qu'afin de prendre leur place, et de vouloir substituer l'aristocratie des richesses à celle de la naissance.

Les prétentions bourgeoises eurent leurs doctrinaires; l'un d'eux, et le plus conséquent, fut Brissot de Warville, l'un des trois cents repré

sentans de la commune de Paris, et plus tard, l'un des chefs des Girondins à la Convention. Il n'est donc pas inutile d'examiner comment le sentiment bourgeois put engendrer une doctrine, et quelle fut cette doctrine.

Lorsqu'une nation marche, et s'efforce pour conquérir la réalisation des principes de liberté, d'égalité et de fraternité, proclamés par les Evangiles, s'il arrive qu'une classe veut s'arrêter en route, cette classe se constitue nécessairement nation dans la nation, intérêt particulier visà-vis l'intérêt général, égoïsme en un mot, et par suite en opposition avec tous ceux qui se dévouent au bonheur des générations à venir. A plus forte raison, cela est-il vrai, si cette classe s'arrête, lorsqu'après avoir renversé toutes les supériorités qui pouvaient la contraindre au sacrifice et gêner le développement de sa personnalité particulière, elle se trouve libre enfin, et maîtresse de gouverner pour elle seule. Si cette classe vient à dominer, elle n'agira plus que dans le seul but de ce qui constitue l'intérêt particulier, l'intérêt qui naît et qui meurt, c'est-à-dire dans celui de la localité, de la corporation, de la profession, etc. Il est, en effet, indubitable que l'esprit bourgeois ne soit essentiellement local et essentiellement professionnel. Quelle doctrine politique répondra à de pareils buts? Evidemment, ce sera celle qui établira que les localités sont souveraines, et indépendantes les unes des autres, et qu'un état n'est autre chose qu'une fédération volontaire de ces localités souveraines chacune dans leur propre sein; qui établira enfin que le but social n'est autre chose que cette fédération de buts particuliers. Telle fut, en effet, la doctrine qui fut nommée fédéraliste, et qui fut adressée, par Brissot, aux communes de France, en septembre 1789. Nous prierons nos lecteurs de suivre avec quelque attention les actes de Brissot dans la suite de cette histoire. Ils verront que sa conduite fut en harmonie complète avec son début. Il fut, il est vrai, l'un de ceux qui prononcèrent les premiers le mot de république à l'époque où plusieurs des plus énergiques révolutionnaires se servaient encore de celui de monarchie. Mais l'idée de république, dans la doctrine bourgeoise que nous venons d'indiquer, était une conséquence rigoureuse de son principe même. En effet, la monarchie suppose l'unité, la centralisation, un intérêt qui commande et subordonne tous les autres; on ne savait pas encore que tout cela pût exister dans une république. On n'avait, en effet, sous les yeux que des républiques fédérales; la Hollande, la Suisse, les États-Unis. On adopta donc le mot de république avec la parfaite conviction qu'il représentait uniquement le principe et le règne des intérêts locaux.

Nous terminerons ici ces réflexions préliminaires. Nous dirons maintenant quelques mots sur les difficultés de notre travail, nous ne voulons pas les exagérer; mais si nous gardions un complet silence sur ce sujet, on pourrait croire qu'il nous suffit de consulter le Moniteur. En effet on pense, en général, que ce journal contient la collection la plus complète de documens révolutionnaires. Malheureusement il n'en est point ainsi,

Le Moniteur ne rapporte pas même toujours exactement les séances de l'Assemblée nationale. Par exemple, dans celle du 23 juin, il a jugé à propos de supprimer le beau discours de Sieyès: ordinairement quand il s'agit de Robespierre, il se contente de dire que ce représentant a parlé, mais que les murmures ont couvert sa voix. En conséquence, des historiens ont avancé sérieusement que Robespierre n'avait que été ridicule à la Constituante, etc. En général, nous n'empruntons au Moniteur que la narration des séances législatives, et à l'avenir, nous désignerons nos emprunts par le signe [ placé au commencement, et ] à la fin.

Pour s'assurer, d'ailleurs, que notre travail n'est rien moins qu'un abrégé du Moniteur, il suffira de lui comparer nos livres; on verra qu'ils en diffèrent beaucoup, et osons ajouter, qu'ils sont autrement complets. Il nous a été assez difficile de composer toute la portion de notre histoire qui précède le 14 juillet. Avant cette époque, en effet, il n'y a point de journaux indépendans, sauf le journal des États-Généraux qui ne s'occupe que de l'assemblée. Nous n'avons rien pu extraire ni de la Gazette, ni du Journal de Paris, ni du Mercure de France. Ces feuilles parlent le moins qu'elles peuvent de ce qui se passe en les lisant, on croirait que la révolution est un rêve. Il nous a donc fallu recourir aux brochures. La plupart, imprimées en secret, sont sans date. Nous en avons consulté, certainement, beaucoup plus d'un millier. Nous en avons extrait ce qu'on lira.

Le 14 juillet permit d'établir quelques journaux indépendans. D'abord ce fut celui de Prudhomme, qui fut rédigé par Loustalot, et posséda jusqu'à deux cent mille souscripteurs; l'Ami du Peuple, rédigé par Marat, et que Desmoulins appelait le pain quotidien du peuple; le Courrier de Paris et de Versailles, par Gorsas, etc. Plus tard, les journaux devinrent plus nombreux; mais il n'est rien moins que facile de se les procurer complets. Il est telle pièce importante dont il n'existe pas aujourd'hui plus de deux exemplaires en France. Nous n'avons d'ailleurs qu'à nous féliciter de la bienveillance que nous trouvons partout, et qui facilite nos recherches. En terminant notre ouvrage, nous aurons bien des remerciemens à adresser, et nous espérons que nos lecteurs s'associeront à notre reconnaissance pour ceux dont la complaisance nous permet de faire un livre utile, et nous donnera le mérite d'une érudition que nous ne saurions atteindre

sans eux.

Nous profiterons de cette occasion pour annoncer qu'il sera donné à la fin des sessions de chaque assemblée une table analytique des matières, ainsi qu'une liste des membres qui les composaient.

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