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dans toutes les parties de la salle, et ils sont long-temps prolongés.

L'opinion de M. Lally-Tolendal prévaut; l'assemblée ne juge pas à propos de délibérer encore sur eet objet.

La séance est levée.]

Paris. Dimanche 12 juillet (1).

La nouvelle du changement de ministère ne fut connue à Paris que vers les neuf heures du matin. On remarquait un mouvement extraordinaire de troupes; on voyait passer dans la ville, des cavaliers, des fantassins et jusqu'à de l'artillerie. On lisait au coin des rues, d'énormes affiches, où de par le roi on invitait les Parisiens à rester chez eux, à ne point se rassembler, et dans lesquelles on prévenait la population qu'elle n'eût point à s'effrayer de la présence des corps armés réunis par mesure de précaution contre les brigands.

Cependant, vers midi, la nouvelle n'était pas encore devenue publique. Le Palais-Royal était plein de monde, on s'interrogeait sur ce grand mouvement militaire, sur ce singulier, placard. Enfin un jeune homme cria la fatale nouvelle. Les premiers qui l'entendirent, refusèrent de la croire et se jetèrent sur le malheureux orateur; on allait le précipiter dans un des bassins, lorsqu'un député du Tiers, qui se fit connaître, vint l'arracher à ces furieux, en confirmant tout ce qu'il avait dit. La nouvelle vola en un instant d'une extrémité du jardin à l'autre. En ce moment, il était midi et le canon du palais vint à tonner. Je ne puis rendre, dit l'Ami du roi, le sombre sentiment de terreur dont ce bruit pénétra toutes les âmes. A cet instant, Camille Desmoulins monte sur une table, crie aux armes, tire l'épée, montre un pistolet, arrache une feuille d'arbre et se la met pour cocarde au chapeau. On lui répond par d'affreux hurlemens. Plusieurs milliers d'hommes, à

(1) Nous nous serions épargné beaucoup de travail en nous bornant à donner la narration des trois journées qui vont suivre, d'après le Moniteur. Mais le compte rendu de ce journal n'est pas seulement incomplet, il a encore le défaut de confondre les événemens. Il nous a paru possible d'abréger, et d'être cependant plus exacts.

T. II.

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son imitation, se parent de la cocarde qu'il vient d'improviser. On décide que les jeux, les spectacles seront fermées, les danses défendues, et des pelotons s'échappent porter cet ordre qui fut suivi. Un autre peloton court chez Curtius (1), y prend les bustes de Necker et du duc d'Orléans, on les couvre de crêpes et on les porte dans les rues, au milieu d'un cortége nombreux d'hommes armés de bâtons, d'épées, de pistolets ou de haches, et l'on va ainsi promener la fatale nouvelle et l'exemple de l'insurrection. Le cortège défila de la rue de Richelieu, par le boulevart, par les rues Saint-Martin, Grenétat, Saint-Denis, la Ferronnerie, SaintHonoré, et vint se présenter sur la place Vendôme: il était alors composé de cinq ou six mille individus déguenillés, disent les royalistes. Là il fut attaqué et dissipé par un détachement de dragons qui était sur cette place. Le buste de Necker fut brisé; un garde française sans armes fut tué, et quelques personnes blessées.

En même temps, divers engagemens avaient lieu dans Paris. Dans quelques lieux, on jeta des pierres aux soldats. Dans d'autres il y eut des coups de fusil tirés et quelques victimes (2).

Aux barrières, les troubles de la veille recommençaient. Aux Porcherons, un détachement de Royal-Allemand fit feu sur le peuple, il y eut un homme tué et plusieurs blessés par cette décharge (3); mais comme il n'y avait pas assez d'hommes pour garder toutes les barrières, ailleurs le peuple put sans obstacle poursuivre leur destruction qui continua presque toute la nuit.

Cependant, M. de Bezenval, commandant la force armée, avait donné ordre à toutes les troupes qu'il avait dispersées dans Paris, et qu'il avait laissées sans ordre toute la journée, de se réunir sur la place Louis XV. Ce mouvement de concentration s'achevait au moment où une population nombreuse revenant des ChampsElysées, remplissait le jardin des Tuileries. Il lui prit envie, son expression devant le Châtelet, de repousser tout ce peuple;

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il donna donc l'ordre à M. Lambesc de charger à la tête de ses dragons. Celui-ci pénétra au pas dans les Tuileries. Sa marche fut arrêtée par une barricade de chaises; de derrière, lançait sur son peloton, des pierres, des bouteilles et des chaises. Quelques coups de feu furent tirés en l'air, dit la relation royaliste; le peuple n'en fut pas effrayé; et comme l'on criait derrière : fermez le pont tournant, et que quelques citoyens y travaillaient, le peloton fit demi-tour et sortit précipitamment du jardin. Là un homme fut blessé d'un coup de sabre.

Après cette expédition, le cri aux armes courut dans tout Paris, porté par cette population effrayée qui venait des Tuileries. On commença à sonner le tocsin; on enfonça les boutiques d'armuriers, on força les portes de l'hôtel-de-ville. Des gardesfrançaises échappés de leurs casernes, accoururent avec leurs armes au Palais-Royal; là ils s'organisèrent et marchèrent sur un détachement de Royal-Allemand qui stationnait devant l'hôtel Montmorency sur le boulevard. Celui-ci, qui était sans ordre, se retira après avoir essuyé une décharge qui lui tua trois hommes, et se replia sur le corps réuni sur la place Louis XV.

Les gardes-françaises, après s'être grossis d'une masse de peuple armé, marchèrent vers cette place; mais elle était évacuée.

La nuit qui succéda à cette journée fut encore plus agitée; elle vit les premières patrouilles bourgeoises. On éclaira la ville en illuminant les croisées; des détachemens de soldats du guet, de gardes-françaises et de citoyens armés, se croisaient dans les rues. De temps en temps, on entendait des coups de fusil, on poussait des cris d'alarme; par intervalle on entendait le bruit du tocsin. Enfin, l'incendie des barrières continuait.

Paris semblait abandonné à lui-même. Cependant, déjà un nouveau pouvoir naissait de l'insurrection.

A six heures du soir, les électeurs s'étaient rendus à l'Hôtelde-ville qui était occupé par le peuple. Ils prirent place dans la grande salle, qu'une barrière séparait en deux parties, l'une consacrée aux magistrats, l'autre destinée au public. Ils oc

cupèrent l'enceinte réservée. Avant d'être réunis en nombre suffisant pour délibérer, ils furent obligés, par les cris et les menaces de la foule qui remplissait la salle, et qui s'élevaient de la place même de l'Hôtel-de-ville, de faire ouvrir les magasins d'armes qui se trouvaient dans la maison commune. Sur les onze heures du soir, se trouvant en nombre suffisant, après de longs débats, ils arrêtent ce qui suit : « Sur les demandes pressantes de nombre de citoyens armés qui se sont rendus à l'Hôtel-deville, pour tâcher de prévenir le tumulte, les électeurs ont arrêté que les districts seront sur-le-champ convoqués, et que les électeurs seront envoyés aux postes des citoyens armés, pour les prier de supercéder, au nom de la patrie, à toute espèce d'attroupement et de voies de fait. ›

Ensuite les électeurs confirmèrent par acclamation la nomination du prévôt des marchands, des échevins, et des autres officiers composant le bureau ordinaire de l'Hôtel-de-Ville.

Sur la proposition d'un électeur, on créa un comité permanent dont le service ne devait cesser ni jour ni nuit, et l'on en nomma les membres.

Versailles, 12 juillet. - Le départ de M. Necker fut connu à sept heures du matin. Quelques députés du Tiers-état et du clergé accoururent à la salle des États-Généraux; mais se trouvant sans président, et en très-petite minorité, ils se dispersè

rent.

Au château, on commença à délibérer dès le matin. On voyait aller et venir les chefs de troupes. Cependant, au fur et à mesure que la journée avançait, et que les nouvelles de Paris arrivaient, l'incertitude gagnait tous les cœurs. Les courriers que dépêchaient les différens officiers de la garnison de la capitale se succédaient rapidement. On finit par croire que la population de Paris pourrait bien se porter sur Versailles; c'était une des mille menaces que l'exagération de la colère avait fait retentir au Palais-Royal. Des ordres furent alors donnés pour rompre toutes les communications; les avenues de la résidence royale furent garnies de troupes; les barrières fermées. Les ponts de Sèvres et

de Saint-Cloud furent également occupés par de l'artillerie et des troupes, et la circulation des voyageurs fut empêchée; en sorte que sur le déclin du jour, toute communication, toute correspondance entre Paris et Versailles était rompue.

SÉANCE DU LUNDI 13 JUILLET.

[Un membre se lève pour annoncer à l'assemblée le changement survenu dans le ministère, le renvoi de M. Necker, son exil hors du royaume, la disgrâce des autres ministres qui avaient mérité la confiance publique. Il peint les troubles qui ont agité la ville de Paris, le désordre qui y règne encore. Il finit par inviter l'assemblée à prendre à ce sujet une résolution telle que sa sagesse la lui prescrira.

Divers membres font lecture des avis qui leur ont été envoyés de Paris, avec les détails de tout ce qui s'est passé depuis le départ secret et précipité de M. Necker.

Tous les citoyens ont pris les armes; des troupes étrangères sont en présence, et semblent les menacer; elles n'attendent que le premier ordre pour faire un carnage affreux; le sang des citoyens a déjà coulé; en un mot tout semble présager les événemens les plus affreux.

On fait successivement diverses propositions. Les uns veulent qu'il soit fait une députation au roi, pour lui représenter les dangers qui menacent la capitale, la nécessité de faire retirer les troupes dont la présence est un aliment à la fermentation du peuple. D'autres veulent qu'il soit fait une députation vers la ville de Paris, pour porter à cette ville désolée des paroles de consolation et de paix.

M. le comte de Custine, député de la noblesse de Lorraine. Je n'adopte pas l'avis qui jusqu'ici paraît l'emporter. La députation au roi me semble au contraire un moyen d'augmenter la fermentation, et insuffisant pour arrêter l'effusion du sang. Le meilleur remède que l'on peut employer, est de s'occuper sur le champ de la constitution; c'est ainsi qu'il faut prévenir les funestes effets de l'éloignement du plus fidèle et du plus vertueux ministre.

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