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qu'on dévoile, dès que la prudence le permettra, les acteurs de ees détestables manœuvres; qu'on les dénonce à la nation comme coupables du crime de lèse-majesté nationale, afin que l'exécration contemporaine devance l'exécration de la postérité.

Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée, et qu'on aille aux voix.

M. de Gouy-d'Arcy. Le sujet est si important, et la délibération si pressante, que je prie M. le président de faire procéder à l'appel, et de finir la délibération avant de lever la séance.

La discussion est fermée; on demande de nouveau à aller aux voix.

M. le comte de Mirabeau relit sa motion.

M. Biauzat. Le roi n'aura jamais de garde plus assurée que la confiance de ses sujets ; il est le père de tous les Français ; pourrait-il jamais redouter de se trouver au milieu de ses enfans? Cependant on environne de troupes cette assemblée; on fait venir des extrémités du royaume une effrayante artillerie; on établit des camps aux environs de cette ville, comme s'il y avait lieu de craindre des attaques et de livrer des combats. Pour faire cesser ces alarmes, j'adopte la motion de M. le comte de Mirabeau; mais je propose, par amendement, de retrancher l'article concernant la garde bourgeoise, sauf à y revenir ensuite, s'il paraît nécessaire.

Cet amendement est adopté

La motion ainsi dégagée est mise aux voix; elle passe à l'unanimité, excepté quatre voix.

Il est arrêté que M. le président se retirera dans la soirée devers le roi pour le prévenir de la délibération qui a été prise.

M. le comte de Mirabeau est chargé de présenter au comité de rédaction un projet d'adresse pour être lu dans la séance prochaine.

SÉANCE DU JEUDI 9 JUILLET,

A l'ouverture de la séance, M. le président dit que, sur l'invitation qui lui en avait été faite par sa majesté, il s'était rendu hier

au soir auprès du roi. Le monarque lui a dit qu'il avait voulu le voir pour lui manifester ses intentions relativement aux troupes qui se sont approchées de Paris et de Versailles; qu'elles ne porteront jamais aucune atteinte à la liberté des Etats-Généraux; que leur rassemblement n'a d'autre but que de rétablir le calme, et que leur séjour ne durera que le temps nécessaire pour ga rantir la sûreté publique, objet de sa prévoyance. Le roi a ajouté qu'étant déjà instruit de la délibération prise par l'assemblée à ce sujet, il recevrait sa députation, et lui donnerait une réponse plausible.

On lit ensuite différentes adresses envoyées à l'assemblée de la part des électeurs des villes de Bordeaux, Poitiers, Nemours, Châtelleraut et Uzerche. Toutes ces adresses expriment les mêmes sentimens de respect, de reconnaissance pour l'assemblée, et d'adhésion à tout ce qu'elle a déjà fait.

L'assemblée les accueille avec intérêt, et en ordonne l'insertion au procès-verbal.

M. l'évêque d'Agen demande à l'assemblée la permission de mettre sous ses yeux une déclaration de la noblesse du bailliage d'Agen.

Extrait de déclaration de la noblesse du bailliage d'Agen. Ayant pris en considération l'état actuel des Etats-Généraux, et après le recensement des suffrages, nous avons vu avec douleur que les efforts de nos députés ayant été jusqu'à ce moment vains et illusoires pour se mettre en activité et se constituer définitivement en Etats-Généraux; désirant contribuer au grand ouvrage du bien public, et rendre hommage à l'esprit de paix des membres de l'assemblée nationale, au courage dont ils ont donné des preuves, à la sagesse qu'ils ont montrée ; étant moins jaloux de nos droits particuliers que de l'intérêt général; nous déclarons être pleinement satisfaits de nos députés, et nous désirons que leurs pouvoirs soient modifiés; encore que nous leur ordonnions de se rendre à la salle générale des États Généraux, pour participer à la régénération du royaume, sans compromettre toutefois les priviléges honorifiques de la noblesse; leur enjoi

gnons en outre de ne consentir à aucun emprunt, à aucun subside, que la constitution ne soit invariablement fixée, et leur permettons de se relâcher sur les articles 14 et 15.

Cette déclaration est reçue avec les plus vifs applaudissemens. M. le comte de Mirabeau lit ensuite le projet d'adresse qu'il a été chargé de rédiger.

Cette adresse fait la plus vive sensation sur l'assemblée, qui se lève unanimement en signe d'adhésion.

La voici telle qu'elle a été lue, admirée, applaudie, adoptée.

Adresse au roi pour le renvoi des troupes.

SIRE, vous avez invité l'assemblée nationale à vous témoigner sa confiance; c'était aller au-devant du plus cher de ses vœux. Nous venons déposer dans le sein de votre majesté les plus vives alarmes; ; si nous en étions l'objet, si nous avions la faiblesse de craindre pour nous-mêmes, votre bonté daignerait encore nous rassurer, et même, en nous blamant d'avoir douté de vos intentions, vous accueilleriez nos inquiétudes; vous en dissiperiez la cause; vous ne laisseriez point d'incertitude sur la position de l'assemblée nationale.

Mais, sire, nous n'implorons point votre protection, ce serait offenser votre justice; nous avons conçu des craintes, et, nous l'osons dire, elles tiennent au patriotisme le plus pur, à l'intérêt de nos commettans, à la tranquillité publique, au bonheur du monarque chéri qui, en nous aplanissant la route de la félicité, mérite bien d'y marcher lui-même sans obstacle.

Les mouvemens de votre cœur, sire, voilà le vrai salut des Français. Lorsque des troupes s'avancent de toutes parts, que des

camps se forment autour de nous, que la capitale est investie, nous nous demandons avec étonnement : Le roi s'est-il méfié de la fidélité de ses peuples? S'il avait pu en douter, n'aurait-il pas versé dans notre cœur ses chagrins paternels? Que veut dire cet appareil menaçant? Où sont les ennemis de l'Etat et du roi qu'il faut subjuguer? Où sont les rebelles, les ligueurs qu'il faut réduire ?... Une voix unanime répond dans la capitale et dans l'é

tendue du royaume : Nous chérissons notre roi; nous bénissons le ciel du don qu'il nous a fait dans son amour.

Sire, la religion de votre majesté ne peut être surprise que sous le prétexte du bien public.

Si ceux qui ont donné ces conseils à notre roi avaient assez de confiance dans leurs principes pour les exposer devant nous, ee moment amenerait le plus beau triomphe de la vérité.

L'état n'a rien à redouter que des mauvais principes qui osent assiéger le trône même, et ne respectent pas la conscience du plus pur, du plus vertueux des princes. Et comment s'y prendon, sire, pour vous faire douter de l'attachement et de l'amour de vos sujets? Avez-vous prodigué leur sang? Etes-vous cruel, implacable? Avez-vous abuse de la justice? Le peuple vous impute-t-il ses malheurs? vous nomme-t-il dans ses calamités? Ontils pu vous dire que le peuple est impatient de votre joug, qu'il est las du sceptre des Bourbons? Non, non, ils ne l'ont pas fait, là calomnie du moins n'est pas absurde; elle cherche un peu de vraisemblance pour colorer ses noirceurs.

Votre majesté a vu récemment tout ce qu'elle peut sur son peutple; la subordination s'est rétablie dans la capitale agitée; les prisonniers, mis en liberté par la multitude, d'eux-mêmes ont repris leurs fers; et l'ordre public, qui peut-être aurait coûté des torrens de sang, si l'on eût employé la force, un seul mot de votre bouche l'a rétabli. Mais ce mot était un mot de paix ; il était l'expression de votre cœur, et vos sujets se sont fait gloire de n'y résister jamais. Qu'il est beau d'exercer cet empire! C'est celui de Louis IX, de Louis XII, de Henri IV; c'est le seul qui soit digne de vous.

Nous vous tromperions, sire, si nous n'ajoutions pas, forcés par les circonstances: cet empire est le seul qu'il soit aujourd'hui possible en France d'exercer. La France ne souffrira pas qu'on abuse le meilleur des rois, et qu'on l'écarte, par des vues sinistres, du noble plan qu'il a lui-même tracé. Vous nous avez appelés pour fixer, de concert avec vous, la constitution, pour opérer la régénération du royaume : l'assemblée nationale vient vous dé

clarer solennellement que vos vœux seront accomplis, que vos promesses ne seront point vaines, que les piéges, les difficultés,' les terreurs ne retarderont point sa marche, n'intimideront point son courage.

Où donc est le danger des troupes, affecteront de dire nos ennemis?..... Que veulent leurs plaintes, puisqu'ils sont inaccessibles au découragement?

Le danger, sire, est pressant, est universel, est au-delà de tous les calculs de la prudence humaine.

Le danger est pour le peuple des provinces. Une fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, les aigrit, les envenime.

Le danger est pour la capitale. De quel oil le peuple, au sein de la disette et tourmenté des angoisses les plus cruelles, se verrat-il disputer les restes de sa subsistance par une foule de soldats menaçans? La présence des troupes échauffera, ameutera, produira une fermentation universelle; et le premier acte de violence, exercé sous prétexte de police, peut commencer une suite horrible de malheurs.

Le danger est pour les troupes. Des soldats français, approchés du centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts du peuple, peuvent oublier qu'un engagement les a faits soldats, pour se souvenir que la nature les fit hommes.

Le danger, sire, menace les travaux qui sont notre premier devoir, et qui n'auront un plein succès, une véritable permanence, qu'autant que les peuples les regarderont comme entièrement libres. Il est d'ailleurs une contagion dans les mouvemens passionnés; nous ne sommes que des hommes: la défiance de nous-mêmes, la crainte de paraître faibles, peuvent nous entraîner au-delà du but; nous serons obsédés de conseils violens, démesurés; et la raison calme, la tranquille sagesse, ne rendent pas leurs oracles au milieu du tumulte, des désordres et des scènes factieuses. Le danger, sire, est plus terrible encore, et jugez de son étendue par les alarmes qui nous amènent devant vous. De grandes

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