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ter eux-mêmes. Et l'on demandera plus tard, pourquoi le peuple alla, le 6 octobre, chercher du pain à Versailles, et voulut avoir le roi et l'assemblée à Paris! A l'époque où nous sommes, il ne connaissait pas encore cette différence dans la position des deux villes. Aussi sa colère d'affamé était tournée tout entière contre les magistrats chargés du soin des subsistances.

L'assemblée des électeurs de Paris se réunit, ainsi que nous l'avons déjà dit, le 4 juillet. Lorsqu'elle fut interrompue par une députation du Palais-Royal qui venait lui demander son intercession pour les prisonniers de l'Abbaye, et qu'elle nomma, sur leur demande, une députation à l'assemblée nationale dont nous avons parlé, elle s'occupait du projet de création d'une milice bourgeoise. Elle se proposait de faire une demande à l'assemblée sur ce sujet. Quel était le but de ces représentans de la commune?Etait-ce de défendre Paris? On venait d'apprendre en effet l'arrivée de nouveaux régimens: ceux de Provence, de Bouillon, de Nassau infanterie, et ceux du Dauphin et Mestre-de-camp cavalerie. Était-ce pour faire la police de la ville? nous verrons plus tard que ce dernier but était le principal de ceux qui les préoccupaient.

Mais retournons à Versailles; c'est de là que va partir le signal qui doit transformer en acte cette hostilité qui n'était qu'en projet et en paroles. Nous avons fait suffisamment connaître quels sentimens, quelles craintes, quelles volontés, agitaient la capitale. Un mot suffira maintenant pour donner la mesure d'exaltation qu'atteignit l'opinion publique. Le 6 juillet, on apprit que le duc de Broglie était nommé commandant de l'armée réunie sous les murs de la ville.

Pendant tout ce temps, l'assemblée nationale fut occupée d'une discussion oiseuse sur les protestations de la noblesse; elle recevait des adresses de villes qui approuvaier.t sa conduite. Elle avait formé un comité de subsistance, qui commença son travail par rejetter un mémoire de Rutledge, et demander des renseignemens à Necker. Enfin, elle reprit un moment l'initiative dans la séance qui va suivre.

SÉANCE DU 8 JUILLET.

Présidence de Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne. On s'occupa d'abord de la question des protestations; enfin l'assemblée prend, à la majorité de 700 voix contre 28, l'arrêté suivant :

« L'assemblée nationale regardant ses principes comme fixés à cet égard, et considérant que son activité ne peut être suspendue, ni la force de ses décrets affaiblie par des protestations ou par l'absence de quelques représentans, déclare qu'il y a lieu à délibérer. ›

M. le comte de Mirabeau. Messieurs, il m'a fallu pour me décider à interrompre l'ordre des motions que le comité se propose de vous soumettre, une conviction profonde que l'objet dont j'ai demandé la permission de vous entretenir, est le plus urgent de tous les intérêts. Mais, Messieurs, si le péril que j'ose vous dénoncer menace tout à la fois et la paix du royaume, et l'assemblée nationale, et la sûreté du monarque, vous approuverez mon zèle.

Le peu de momens que j'ai eus pour rassembler mes idées ne me permettra pas sans doute de leur donner tout le développement nécessaire; mais j'en dirai assez pour éveiller votre attention, et vos lumières suppléeront à mon insuffisance.

Veuillez, Messieurs, vous replacer au moment où la violation des prisons de l'abbaye Saint-Germain occasionna votre arrêté du premier de ce mois. En invoquant la clémence du roi pour les personnes qui pourraient s'être rendues coupables, l'assemblée décréta que le roi serait supplié de vouloir bien employer pour le rétablissement de l'ordre les moyens infaillibles de la clémence et de la bonté, si naturels à son cœur, et de la confiance que son bon peuple méritera toujours.

Le roi, dans sa réponse, a déclaré qu'il trouvait cet arrêté fort sage; il a donné des éloges aux dispositions que l'assemblée lui témoignait, et proféré ces mots remarquables: Tant que vous me donnerez des marques de votre confiance, j'espère que tout ira bien.

Enfin, Messieurs, la lettre du roi à M. l'archevêque de Paris, en date du 2 juillet, après avoir exprimé les intentions paternelles de sa majesté, à l'égard des prisonniers dont la liberté suivrait immédiatement le rétablissement de l'ordre, annonce • qu'il va prendre des mesures pour ramener l'ordre dans la capitale, et qu'il ne doute pas que l'assemblée n'attache la plus grande importance à leur succès. »

En ne considérant que ces expressions de la lettre du roi, la première idée qui semblait devoir s'offrir à l'esprit, était le doute et l'inquiétude sur la nature de ces mesures.

Cette inquiétude aurait pu conduire l'assemblée à demander dès-lors au roi qu'il lui plût de s'expliquer à cet égard, et de caractériser et détailler ces mesures pour lesquelles il paraissait désirer l'approbation de l'assemblée.

Aussi, dès ce moment, eussé-je proposé une motion tendante à ce but, si en comparant les expressions de la lettre du roi avec la bonté qu'elle respire dans toutes ses parties, avec les paroles précieuses qu'on nous a données comme l'expression affectueuse et paternelle du monarque: je trouve votre arrêté fort sage, je n'avais cru apercevoir dans ce parallèle de nouveaux motifs pour cette confiance, dont tout Français se fait gloire d'offrir des témoignages au chef de la nation.

Cependant quelle a été la suite de ces déclarations et de nos ménagemens respectueux? Déjà un grand nombre de troupes nous environnait. Il en est arrivé davantage, il en arrive chaque jour; elles accourent de toutes parts. Trente-cinq mille hommes sont déjà répartis entre Paris et Versailles. On en attend vingt mille. Des trains d'artillerie les suivent. Des points sont désignés pour les batteries. On s'assure de toutes les communications. On intercepte tous les passages: nos chemins, nos ponts, nos promenades, sont changés en postes militaires. Des événemens publics, des faits cachés, des ordres secrets, des contre-ordres précipités, les préparatifs de la guerre, en un mot, frappent tous les yeux, et remplissent d'indignation tous les cœurs,

Ainsi, ce n'était pas assez que le sanctuaire de la liberté eût été souillé par des troupes! ce n'était pas assez qu'on eût donné le spectacle inouï d'une assemblée nationale astreinte à des consignes militaires, et soumise à une force armée! ce n'était pas assez qu'on joignît à cet attentat toutes les inconvenances, tous les manques d'égards, et pour trancher le mot, la grossièreté de la police orientale. Il a fallu déployer tout l'appareil du despotisme, et montrer plus de soldats menaçans à la nation, le jour où le roi lui-même l'a convoquée pour lui demander des conseils et des secours, qu'une invasion de l'ennemi n'en rencontrerait peutêtre; et mille fois plus du moins qu'on n'en a pu réunir pour secourir des amis martyrs de leur fidélité envers nous, pour remplir nos engagemens les plus sacrés, pour conserver notre considération politique, et cette alliance des Hollandais si précieuse, mais si chèrement conquise, et surtout si honteusement perdue!

Messieurs, quand il ne s'agirait ici que de nous, quand la dignité de l'assemblée nationale serait seule blessée, il ne serait pas moins convenable, juste, nécessaire, important pour le roi lui-même, que nous fussions traités avec décence, puisqu'enfin nous sommes les députés de cette même nation, qui seule fait sa gloire, qui seule constitue la splendeur du trône, de cette nation qui rendra la personne du roi honorable, à proportion de ce qu'il l'honorera plus lui-même. Puisque c'est à des hommes libres qu'il veut commander, il est temps de faire disparaître ces formes odieuses, ces procédés insultans qui persuadent trop facilement à ceux dont le prince est entouré, que la majesté royale consiste dans les rapports avilissans du maître à l'esclave; qu'un roi légitime et chéri doit partout et en toute occasion ne se montrer que sous l'aspect des tyrans irrités, ou de ces usurpateurs tristement condamnés à méconnaître le sentiment si doux, si honorable de la confiance.

Et qu'on ne dise pas que les circonstances ont nécessité ces mesures menaçantes ; car je vais démontrer qu'également inutiles et dangereuses, soit au bon ordre, soit à la pacification des es

prits, soit à la sûreté du trône, loin de pouvoir être regardées comme le fruit d'un sincère attachement au bien public et à la personne du monarque, elles ne peuvent servir que des passions particulières et couvrir des vues perfides.

Ces mesures sont inutiles. Je veux supposer que les désordres que l'on craint sont de nature à être réprimés par des troupes, et je dis que, dans cette supposition même, ces troupes étaient inutiles. Le peuple, après une émeute dans la capitale, a donné un exemple de subordination infiniment remarquable dans les circonstances. Une prison avait été forcée, les prisonniers en avaient été arrachés et mis en liberté : la fermentation la plus contentieuse menaçait de tout embraser... Un mot de clémence, une invitation du roi, ont calmé le tumulte et fait ce qu'on n'aurait jamais obtenu avec des canons et des armes; les prisonniers ont repris leurs fers, le peuple est rentré dans l'ordre; tant la raison seule est puissante! tant le peuple est disposé à tout faire, lorsqu'au lieu de le menacer et de l'avilir, on lui témoigne de la bonté, de la confiance!

Et dans ce moment, pourquoi des troupes? Jamais le peuple n'a dû être plus calme, plus tranquille, plus confiant; tout lui annonce la fin de ses malheurs, tout lui promet la régénération du royaume. Ses regards, ses espérances, ses vœux reposent sur nous. Comment ne serions-nous pas auprès du monarque la meilleure garantie de la confiance, de l'obéissance et de la fidélité des peuples? S'il avait jamais pu en douter, il ne le pourrait plus aujourd'hui ; notre présence est la caution de la paix publique, et sans doute il n'en existera jamais de meilleure. Ah! qu'on assemble des troupes pour soumettre le peuple aux affreux projets du despotisme! mais qu'on n'entraîne pas le meilleur des rois, à commencer le bonheur, la liberté de la nation, avec le sinistre appareil de la tyrannie.

Certes, je ne connais pas encore tous les prétextes, tous les artifices des ennemis du peuple, puisque je ne saurais deviner de quelle raison plausible on a coloré le prétendu besoin de troupes au moment où non-seulement leur inutilité, mais leur danger frappe tous les esprits. De quel œil ce peuple, assailli de tant de calami

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