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conséquences des idées qui, si elles n'étaient pas détruites, diviseraient la capitale en soixante républiques indépendantes. Mais pour cela il ne fallait pas recourir à des projets qui, en multipliant hors de mesure le nombre des officiers, multipliaient les discussions et amoindrissaient l'activité nécessaire à l'administration des affaires. Parmi les plans qui furent présentés, l'un d'eux, celui de M. de la Métherie, proposait un grand conseil de douze cents membres, et un petit composé de cent soixante-onze.

Ces affaires réglementaires furent partout interrompues, et presque complétement mises de côté à l'hôtel-de-ville, par celle des subsistances. Il n'y avait pas une seule séance de la commune, où il n'en fût question, et où il ne fût pris quelque arrêté. Il ne se passait pas un jour où il n'y eût quelque trouble à la Halle. Il avait été nécessaire d'y établir un corps-de-garde ; le piquet fut augmenté successivement: le 10 il était de 600 hommes. La porte des boulangers était tantôt libre, tantôt assiégée. On se plaignait amèrement du comité des subsistances; on disait que la ville était volée par ses agens inférieurs. En effet, quelques jours plus tard; un sieur Gallet, l'un d'eux, fut arrêté comme prévenu du fait de détournement de farines et de spéculation sur les grains. Nous avons sous les yeux une brochure dont le titre suffit pour indiquer le contenu; elle porte sur la couverture ces mots : L'intrigue du comité des subsistances dévoilée; la condamnation du sieur Gallet, et les amours criminelles de ses juges avec son épouse. Aussi l'assemblée des représentans ordonna que le comité des subsistances apportât sous ses yeux son journal d'achat. Elle fut obligée d'insister et enfin on lui répondit qu'on n'avait pas tenu de journal, mais qu'on avait des pièces et qu'on allait les mettre en ordre. Pendant que le retentissement de ces débats jetait l'inquiétude dans le peuple, le maire était obligé d'appeler auprès de lui les présidens des soixante districts, pour leur prouver que si l'on courait risque de manquer de pain, ce ne serait que pour un jour, et qu'on avait du riz pour le remplacer.

L'assemblée émit sur cette affaire, dans les premiers jours de septembre, trois arrêtés qui méritent d'être cités. L'un, du

2 septembre, ordonnait qu'il serait demandé à l'assemblée nationale d'ordonner: 1° que chaque fermier fût tenu de porter, chaque semaine, au marché, deux setiers de grain par charrue; 2o que, dans les marchés, après le temps accordé de préférence aux habitans du pays, il soit accordé, aussi de préférence à tous les autres, une heure aux boulangers et marchands de Paris. L'autre avait pour but de sommer M. Necker de faire connaître les achats qu'il avait faits à l'étranger pour Paris, et les mesures prises pour en assurer l'arrivée. Le troisième nommait des commissaires, et déterminait les arrondissemens où ils devaient se transporter, afin de faire battre et moudre, sans interruption, des grains pour la capitale. En effet, on savait que la récolte était magnifique, et on expliquait le manque de farines par la lenteur du battage des grains. Cependant, à Versailles, l'approvi ́sionnement ne souffrait point: il n'y avait pas la moindre apparence de disette.

Il nous serait impossible de rapporter en détail les mouvemens dont les grains étaient l'occasion: démarches des districts; démarches des boulangers; assemblées; consultations; lecture de projets. On alla jusqu'à décider que les fermiers, qui se distingueraient par leur zèle, seraient mentionnés sur les registres de la commune, etc.

Au travers de ces sérieuses occupations, on doit noter, pour l'histoire, quelques faits qui peignent l'époque.

Les officiers de la garde nationale prêtèrent le serment suivant : Nous jurons et promettons d'être fidèles à la nation, au roi, à la loi, et à la commune de Paris.

de mu

Les communes des environs de Paris, suivant le plan nicipalité de Brissot, voulurent se fédérer entre elles. Il y eut une assemblée où leurs députés se réunirent, dans le but d'arrê ter les bases de cette union. Ils avaient déjà nommé leur maire commun et leur commandant militaire. Les représentans de Paris cassèrent tout ce qui avait été fait, mirent le projet à néaut, et allèrent jusqu'à défendre aux journaux de parler de ce fait : ils

furent obéis.

Le 5 septembre, l'assemblée autorisa ses commissaires à faire mettre en liberté les personnes détenues en vertu de lettres de cachet, lorsque les faits qui avaient servi de motifs à l'ordre et à l'emprisonnement seraient peu graves, ou leur paraîtraient suffisamment expiés par la durée de la détention; sauf, dans les cas graves, et principalement lorsque l'ordre aura été demandé par la famille de la personne détenue (ceci est souligné dans l'original de l'arrêté), à en être, par les commissaires, référé à l'assemblée.

Le 9 septembre, l'assemblée ordonna que tous les soldats qui étaient à Paris, sans congé, seraient arrêtés et reconduits à leurs régimens. En effet, il arrivait encore tous les jours des déserteurs de divers corps, qui venaient demander à servir dans la garde nationale soldée; mais ses cadres étaient remplis.

Le même jour, on supprima le bureau des passeports; et on déclara cette précaution snperflue.

Enfin, le 11, le comité de police fit défense, sous peine d'être poursuivis comme perturbateurs du repos public, aux garçons apothicaires de mettre à exécution un projet qu'ils avaient de s'assembler, pour délibérer sur leurs intérêts.

Tous les décrets, confiés au zèle de la garde nationale, étaient mis à exécution avec une telle précision et une telle vigueur, que personne ne s'avisa d'enfreindre celui-là. L'assemblée même était tellement satisfaite de la sécurité que lui assurait l'énergie du commandant en chef, qu'un jour, par acclamation, elle vota pour M. de la Fayette un traitement de 180,000 fr. par an, et une indemnité immédiate de 100,000 fr. M. de la Fayette refusa. Mais, dans le public, on prit occasion de ce mouvement des représentans pour faire le procès à l'esprit qui les animait : Quoi! disait-on, ces gens sont si mal appris, qu'ils ne croient pouvoir payer des services qu'avec de l'argent : ils ne savent donc pas ce que vaut l'estime publique, la conscience de bien faire, le dévoûment, etc.

Bailly prit autrement la chose. « L'assemblée, dit-il (Mémoires, t. 3, p. 165), pour me donner une marque de sa défaveur, ima

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gina aujourd'hui de régler le traitement du commandant général. D'abord, il était de la bienséance de songer au chef civil, qui est le premier, le chef militaire n'étant que le second. Il était facile de juger, sur les seules apparences, entre M. de la Fayette et moi, lequel pouvait être le plus pressé d'être indemnisé. Les dépenses de l'entrée avaient été, en effet, énormes pour moi; j'étais arrivé avec 9 ou 10,000 fr. comptant que j'avais par hasard, et qui étaient en partie destinés à des paiemens. Mon receveur m'avait avancé 3,000 fr.; c'est avec cela que j'avais vécu. Les échevins m'avaient bien proposé de toucher les appointemens de prévôt des marchands, qui, me disaient-ils, étaient de 5,000 fr. par mois. Tout était changé. Je voulus ne rien toucher jusqu'à ce que la commune eût réglé le traitement du maire..... Mais, ce qui est le comble de l'inconséquence, c'est d'aller offrir à M. de la Fayette, riche, et à qui un état de maison n'était point nouveau, et ne pouvait peser comme à moi, une indemnité de 100,000 fr., comme si, depuis six semaines qu'il était en place, il avait pu les dépenser.>

Ce fut à cette époque, si pleine d'événemens de toute espèce, que les patriotes commencèrent à détourner leurs regards du spectacle de la France, et à les jeter sur les pays étrangers. Ils y furent attirés par la persistance des princes émigrés, à séjourner dans ces contrées. Leurs voyages de cour en cour ont pour objet, écrivait Loustalot, le 12 septembre, de former une confédération entre plusieurs princes, pour venir, à la tête des troupes qui leur seront prêtées, fondre sur la France, et profiter de ses divisions intestines pour rétablir l'aristocratie.

› Ce projet doit plaire à tous les despotes, à tous les aristocrates de l'univers; et la confédération doit d'autant moins éprouver d'obstacles, que les princes doivent sacrifier toutes leurs animosités à l'intérêt de tenir les peuples dans l'asservissement.

› Cependant, on ne parle encore que de probabilités. L'empereur fait la paix avec le sultan, c'est pour venir soutenir un parti (celui de la reine), dont il était l'âme secrète et invisible. Le roi de Prusse fait avancer, sur les frontières de France et de

l'empire, une armée de 50,000 hommes, qui seront suivis de 6,000 Hessois et de quelques autres troupes des cercles. Son prétexte est d'empêcher l'introduction du mal français, qui a déjà pénétré à Nuremberg, à Cologne et à Trèves. Le roi de Sardaigne ne peut pas refuser des secours à un gendre (le comte d'Artois) qui les sollicite. Une de ses filles s'est déjà retirée près de lui. Madame va se rendre aussi à la cour de son père. L'Espagne a déjà fait des tentatives auprès du ministère anglais.

› Voilà donc, s'il faut en croire les gens qui lisent les journaux anglais et allemands, une ligue formée, ou du moins prête à se former entre quatre grandes puissances. Cinquante mille Espagnols nous attaqueront au midi, pendant que les Prussiens entreront par le nord de la France. L'Alsace verra l'empereur à la tête de toutes les forces qu'il employait contre les Turcs. Le Dauphiné et les provinces voisines seront contenues par 25,000 Italiens, etc.› Il était d'autant plus probable que telles étaient les intentions des souverains des Etats despotiques du continent, que le feu de l'insurrection se propageait hors de nos frontières. Les Liégeois venaient de prendre la cocarde patriotique. Le 18 août, ils avaient marché en armes sur l'Hôtel-de-Ville, en avaient chassé les bourgmestres et les conseillers, et en avaient élu d'autres. De là ils avaient couru s'emparer de la citadelle; les soldats s'étaient joints à eux. Ensuite la bourgeoisie alla trouver l'archevêque, prince temporel de Liége; elle obtint de lui la renonciation à ses priviléges pécuniaires, et l'approbation de tout ce qu'avait décidé le peuple.

Dans le canton de Genève, on venait de voir avorter un mouvement plus grave. Les montagnards, persuadés que les mots de liberté et d'égalité emportaient l'idée de partage des biens, s'attroupèrent, et s'avancèrent sur Ferney, afin d'y établir ce qu'ils croyaient réalisé en France. La garnison et la bourgeoisie de Genève marchèrent contre eux avec du canon; et l'attroupement fut dissipé.

Lyon éprouva comme un contre-coup de cet événement. On que les bourgeois rendissent leurs armes en descendant

voulait

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