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M. de Montmorenci propose la motion suivante :

< Comme l'introduction des abus et l'intérêt des générations qui se succèdent, nécessitent la révision de tout établissement humain, un peuple a toujours le droit de revoir et de réformer sa constitution. Il est bon d'indiquer des moyens paisibles et constitutionnels pour l'exercice de ce droit. »

La question préalable, y a-t-il ou n'y a-t-il pas lieu à déli bérer quant à présent, ayant été invoquée, la négative est admise.]

SÉANCE DU VENDREDI 28 AOUT.

[La discussion s'ouvre sur la constitution.

M. Mounier prend la parole au nom du comité de constitution. Il représente qu'il convient de donner une marche simple et aisée à cette discussion; que le comité a pensé que l'ordre doit être ainsi proposé :

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen;
Les principes sur le gouvernement monarchique;

L'organisation du corps-législatif;

Celui du pouvoir exécutif;

Celui du pouvoir militaire;

Enfin l'ordre judiciaire.

M. Mounier termine, en observant qu'il convient de n'énoncer que des principes simples sur la monarchie; qu'ils sont susceptibles de fort peu de discussions, puisqu'ils se trouvent dans les cahiers de tout le monde ; que ce n'est pas là cependant qu'on peut trouver tout l'ouvrage de la constitution; mais que l'assemblée nationale suppléera dans sa prudence à leur silence sur des arti cles qu'elle croira pouvoir ajouter.

M. Mounier donne lecture du projet suivant.

CHAPITRE II.

Du gouvernement français proposé par le comité de constitution. Art. Ir. Le gouvernement français est un gouvernement monarchique. Il n'y a pas en France d'autorité supérieure à la loi. Le roi ne règne que par elle; et quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger obéissance.

II. Aucun acte de législation ne pourra être considéré comme loi, s'il n'a été fait par les députés de la nation, et sanctionné par le monarque.

III. Le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du roi.

IV. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais être exercé par le roi ; et les juges auxquels il est confié ne pourront être dépossédés de leurs offices pendant le temps fixé par les lois, si ce n'est par les voies légales.

V. La couronne est indivisible et héréditaire de branche en branche, de mâle en måle, et par ordre de primogéniture. Les femmes et leurs descendans en sont exclus.

VI. La personne du roi est inviolable et sacrée ; mais les ministres et autres agens de l'autorité royale sont responsables des infractions qu'ils commettent à la loi, quels que soient les ordres qu'ils aient reçus.

Après cette lecture, M. Mounier avertit que ces articles sont tirés du projet de M. l'archevêque de Bordeaux; que le comité. n'a fait que les classer dans leur ordre naturel. Il fait ensuite quelques observations générales sur ces articles.

Une multitude de membres se précipitent à la tribune, et proposent des modifications à la rédaction du premier article. Cependant il était besoin d'une discussion plus profonde, plus sé=rieuse sur la théorie même du gouvernement. Un curé vint essayer de traiter la question générale; sa voix fut étouffée par les cris.

M. Robespierre. D'aussi grands intérêts que ceux qui nous agitent, me donnent le courage de vous proposer une réflexion que je crois nécessaire. Je demande qu'avant de délibérer on adopte un moyen qui satisfasse à la conscience; je veux dire d'établir une délibération paisible; que chacun puisse, sans crainte de murmures, offrir à l'assemblée le tribut de ses opinions. Il faudrait donc ajouter aux réglemens quelques articles qui seraient conformes à ce que j'ai l'honneur de vous proposer. A peine l'orateur a-t-il achevé ces mots, que les cris répétés à l'ordre, à l'ordre, l'ont interrompu.

M. le président lui observe qu'il ne s'agit pas du réglement. M. Robespierre veut répondre; les cris recommencent, et il des‐ cend de la tribune.

Plusieurs membres s'élèvent contre un pareil despotisme, et réclament la liberté des opinions.

M. Robespierre remonte à la tribune, et y propose, sans succès, d'ajouter quelques articles nécessaires à la tranquillité de la délibération, préalablement à toute discussion sur la constitution.

M. le comte de Mirabeau cherche à donner quelque faveur à l'avis de M. Robespierre. Si un membre, dit-il, soutenait que l'on ne peut aller aux voix par assis ou levé, parce que ce mode est une espèce d'acclamation, l'opinant serait dans l'ordre du jour.

Puisqu'il y a lieu à délibérer sur la série des questions proposées, et qu'ainsi nous allons enfin nous occuper de la constitution, je demande que tous les objets constitutionnels soient jugés par appel nominal, et non par assis et levé.

M. Mounier. Je vais plus loin; je demande qu'il soit fait une liste de tous ceux qui parleront sur les questions qui viennent d'être posées, et que cette liste, divisée en deux colonnes, l'une remplie par les noms de ceux qui parleront pour l'affirmative, et l'autre destinée à ceux qui soutiendront la négative, soit ensuite insérée dans le procès-verbal.

M. le comte de Mirabeau. Qu'il soit permis à un homme qui signe et qui a toujours signé, de représenter comme dangereuse la motion du préopinant, elle ne convient ni à la dignité, ni à la fraternité de l'assemblée. Je crois qu'après avoir combattu pour notre opinion, avec une opiniâtreté zélée, il ne doit rester parmi nous nulle trace de dissentiment. Tel est le principe de toute assemblée régulière et sage, et rien ne peut vous empêcher de penser que votre souverain, c'est le principe.]

-Personne ne vient à la tribune relever cette objection. La discussion d'ordre tombe donc, n'étant pas soutenue; et les motions recommencent: plus de quarante-cinq projets de rédaction sont présentés. Ils diffèrent peu de celle de la commission. Deux seu

lement méritent d'être citées : l'une est celle de M. de Wimplen ; elle était ainsi rédigée : Le gouvernement français est une démocratie royale; l'autre est celle de M. Roussier: La France est un État monarchique, dans lequel la nation fait la loi, et le roi est chargé de la faire exécuter. Cette distinction et séparation des pouvoirs législatif et exécutif constitue essentiellement la monarchie française. Cependant, la moindre de ces propositions était la conclusion d'un discours plus ou moins long. On ne trouve ces discours nulle part; mais dans les uns et les autres, il était question de l'extension qui serait donnée à la sanction royale.

[Enfin M. Mounier demande que la question soumise soit jugée provisoirement, sauf à être confirmée sans discussion pendant deux autres jours.

Plusieurs demandent que le premjer article ne soit décidé qu'avec le second relatif à la sanction royale.

M. le président récapitule les avis divers, et détermine l'assemblée à remettre la décision au lendemain.]

Ce fut à la suite de cette séance que l'assemblée se sépara définitivement en côté gauche et côté droit. Tous les partisans du veto allèrent s'asseoir à droite du président; tous les antagonistes se groupèrent dans la partie opposée. Cette séparation rendait plus facile le calcul des voix dans le vote par assis et levé, qui avait été conservé.

Depuis long-temps déjà, et dès avant la réunion des ordres, l'extrême gauche et l'extrême droite étaient devenues le point de réunion des députés les plus ardens dans les opinions alors opposées. Chaque groupe avait été en augmentant en nombre, au fur et à mesure que les discussions devenaient plus irritantes. Les habitués des bancs de droite appelaient le côté gauche coin du Palais-Royal; non pas, ainsi qu'on l'a dit plus tard, parce qu'il était composé des partisans de d'Orléans, mais parce qu'ils agissaient dans l'opinion des motionnaires du Palais-Royal: ce

surnom lui était donné à titre d'injure. On désignait aussi les motions de ses membres sous le nom d'arrêtés bretons. Mais la majorité des représentans ne se classa complétement dans l'une des deux divisions, qu'après la séance dont nous venons de parler.

Paris. Un mouvement de terreur agitait la capitale c'était encore la disette qu'on craignait. On voyait de nouveau, depuis quelques jours, ces longues queues aux portes des boulangers qui avaient cessé après le voyage du roi à Paris. Des factionnaires étaient apposés aux portes des boutiques, et maintenaient l'ordre.

Cette émotion avait été préparée par une succession de petits accidens qui s'étaient grossis en s'accumulant. Le 2 août, d'après les plaintes unanimes qui s'élevaient sur la mauvaise qualité du pain et sur son insalubrité, une proclamation de l'Hôtel-de-Ville annonça aux Parisiens, « que les farinės venues par mer ayant été avariées, ce n'était la faute de personne si le pain avait un mauvais goût; la nécessité prescrivait, ajoutait-elle, de le manger, comme on l'avait; mais cette avarie n'avait rien de nuisible pour la santé. Le 4 août, on apprit qu'un convoi de farines, destiné pour la capitale, avait été pillé à Elbeuf, et l'on fit partir 400 hommes pour Provins, afin d'assurer les achats de la ville. Le 5 août, une nouvelle proclamation fut adressée à la population effrayée de ces événemens. Elle concernait moins encore les Parisiens que les habitans des campagnes voisines; et en effet, elle fut affichée dans toutes les communes de la généralité. « La confiance, disait-elle, la liberté, la sûreté, sont les seules sources de la prospérité publique.... Tous les habitans de la France se doivent des secours fraternels. » Ensuite elle invitait tous les particuliers qui avaient des grains et farines, à les porter dans les marchés... Les officiers municipaux étaient priés de protéger la libre circulation; et dans le cas où leur garde nationale ne serait pas assez forte, on leur offrait des secours. La lecture d'une telle proclamation n'était certes pas rassurante; aussi, le 7 août, une décision des représentans de la commune réduisit le prix de la

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