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puissance absolue qui s'éteint, à la place de cet esprit républicain qui se forme. Mais il ne faut pas s'endormir au sein des dangers: il faut que des hommes entendus, fermes, et en petit nombre travaillent à la révolution et se chargent de l'exécuter. Jamais conspiration ne fut plus utile. Cette lettre était-elle vraie ou supposée? Il est certain seulement qu'elle ne fut pas démentie, et qu'elle fut acceptée comme sortie de la plume du maréchal.

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Enfin, on s'irritait des protestations que les nobles déposèrent sur le bureau de l'assemblée nationale, annonçant que leurs mandats leur défendaient impérativement le vote par tête.

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Ce fut le 30 juin, jour où eut lieu la cérémonie de la réunion des ordres, que ces protestations furent lues à l'assemblée, connues le soir à Paris, et prises pour chose beaucoup plus importante qu'elles ne l'étaient en réalité. On s'occupait au Palais-Royal de cette nouvelle, que la méfiance exagérait, lorsqu'un commissionnaire entra, sur les six heures et demie, au café de Foy; il jeta une lettre au milieu de la foule qui le remplissait. On ramassa à la hâte cette lettre; on la lut. Elle était écrite au nom de onze soldats du régiment des Gardes-Françaises, que leurs officiers avaient fait mettre dans la prison de l'Abbaye, au faubourg Saint-Germain, comme membres de la société secrète dont nous avons parlé. Ils annonçaient qu'ils devaient être transférés cette nuit même, à Bicêtre, ainsi que de vils scélérats.

Un jeune homme ayant lu cette lettre, sortit du café, monta sur une chaise: Messieurs, s'écria-t-il, les braves soldats qui ont épargné à Versailles le sang denos concitoyens, sont détenus à l'Abbaye: allons les délivrer! » A l'Abbaye! à l'Abbaye! s'écrièrent les auditeurs. Des soldats qui se trouvaient présens offrirent leurs services: mais les jeunes gens les remercièrent et se mirent en marche. La troupe, en sortant du Palais-Royal, n'était que de deux cents hommes, tous de la classe de la bourgeoisie, et pleins d'ardeur. Ce petit corps grossit en route, d'abord de quelques ouvriers qui se munirent de barres de fer, puis d'une multitude de passans: elle était de plus de quatre mille hommes en arrivant à la prison.

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Le premier guichet fut bientôt enfoncé; puis, à coup de maillet, de barres, et de haches, on brisa les portes intérieures. A huit heures les prisonniers étaient libres. Comme ils sortaient, une compagnie de dragons arriva bride abattue et l'épée en main; elle était immédiatement suivie d'une compagnie de hussards, tenant aussi le sabre nu. Le peuple saisit les rênes des chevaux, les cavaliers mirent leur sabre dans le fourreau; les dragons ôtèrent même leurs casques en signe de paix: on leur apporta du vin, et ils burent cordialement au roi et à la nation.

On ne se contenta pas de rendre la liberté aux onze gardesfrançaises, on délivra avec eux tous leurs camarades d'infortune, et on les conduisit en triomphe au Palais-Royal. On distinguait parmi eux un vieux soldat, qui, depuis plusieurs années, était enfermé à l'Abbaye: ce malheureux avait les jambes extrêmement enflées, et ne pouvait que se traîner. On le mit sur un brancard, et des bourgeois le portèrent. Accoutumé, depuis tant d'années, à n'éprouver que la rigueur des hommes: Ah! Messieurs, s'écriait le vieillard, je mourrai de tant de bontés! > (C'est une narration royaliste qui rapporte ces détails.)

Le cortége étant arrivé au Palais-Royal, on dressa une table dans le jardin, et l'on y fit asseoir les prisonniers; on disposa ensuite des lits de camp dans la salle du spectacle des Variétés, et ces prisonniers y passèrent la nuit, sous la protection de leurs libérateurs, qui gardèrent les portes de la salle.

Le soir, on illumina les rues où se trouve la prison de l'Abbaye; et, pendant toute la nuit, cette rue fut une promenade où des bourgeois, des dragons, des hussards, se félicitaient mutuellement, et ne cessaient de crier bravo! vive la nation!

Tout se passa avec plus de tranquillité qu'on ne devait en attendre d'une troupe de jeunes gens sans chef, et livrés à leur impulsion (c'est toujours le journal royaliste qui parle); ils ne firent pas couler une goutte de sang, et il est remarquable qu'on se piqua de montrer de l'amour pour l'ordre et la justice. Tous ces jeunes gens, en effet, étant arrivés au Palais-Royal, avec les prisonniers, et ayant appris de ceux-ci qu'un d'entre eux

était prévenu d'un délit grave, ils le firent reconduire en prison, en disant qu'ils voulaient protéger le malheur et non le crime.

Le lendemain, les soldats furent logés à l'hôtel de Genève; et chacun s'empressa d'apporter l'offrande qui devait leur servir de solde.

En même temps, une députation de jeunes gens alla à Versailles présenter à M. Bailly une lettre dans laquelle on réclamait l'intercession de l'assemblée nationale.

Cette demande occupa toute la séance du premier juillet. On craignait surtout d'attenter à la liberté du pouvoir exécutif. Enfin, on se détermina à envoyer au roi une députation de seize membres, à la tête de laquelle on mit l'archevêque de Paris, et qui fut chargée de lui remettre la déclaration suivante, qui fut imprimée et affichée :

« L'assemblée nationale gémit des troubles qui agitent la capitale: elle déclare que la connaissance des affaires qui y sont relatives appartient uniquement au roi. Les membres ne cesseront de donner l'exemple du plus profond respect pour l'autorité royale, de laquelle dépend la sécurité de l'empire. Elle conjure donc le peuple de la capitale de rentrer sur-le-champ dans l'ordre, et de se pénétrer des sentimens de paix qui peuvent seuls assurer les biens infinis que la France est prête à recueillir de l'assemblée libre des États-Généraux, et auxquels la réunion volontaire des trois ordres ne laisse aucun obstacle.

Il sera fait une députation solennelle à sa majesté, pour invoquer sa clémence en faveur des personnes qui pourraient être coupables, l'instruire du parti pris par l'assemblée, et la supplier d'employer pour le rétablissement de la paix les moyens infaillibles de douceur et de bonté si naturels à son cœur, et de la confiance que mérite son bon peuple. »

Pour en finir de suite de cette affaire, et afin de n'y plus revenir, nous ajouterons qu'une lettre du roi, du 2 juillet, annonça que la liberté des soldats suivrait le rétablissement de l'ordre. En conséquence, ceux-ci furent réintégrés à l'Abbaye dans la nuit du 4 au 5, et reçurent leur grâce le 5. Il n'était pas d'ailleurs

T. II.

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trés-facile de la refuser. Les électeurs de Paris s'étaient assemblés le 4, et s'étaient occupés de la grande affaire du jour. Ils avaient nommé une députation pour Versailles, qui fut reçue par l'assemblée, bien que tout fût alors terminé et qui, aussi, se borna à la remercier et à l'assurer du calme de Paris, et de l'obéissance des Parisiens. Cependant le colonel du corps donna sa démission: elle ne fut pas acceptéc. Mais cet officier ne cessa de se considérer comme démissionnaire, et le régiment se trouva abandonné, pour ainsi dire, à lui-même.

« Ce n'était point ici, dit l'Ami du roi, l'attentat d'une vile populace : les coupables, par l'éducation qu'ils avaient reçue, devaient en connaître toute l'énormité; et plus ils avaient mis de sangfroid et de tranquillité dans cette démarche, plus on avait à redouter ce que pourrait une troupe considérable de bourgeois, qui agirait avec cette circonspection et qui aurait des chefs.

› Mais ce qui était le plus propre encore à ajouter aux alarmes qu'un tel événement devait inspirer à la cour, c'est que les soldats qu'elle avait mandés pour protéger Paris en avaient été témoins, et qu'ayant pu l'empêcher, ils n'avaient pas même voulu l'entreprendre. D

En effet, les actes d'insubordination se multipliaient, sans être cependant encore très-nombreux. Outre cette société établie dans le régiment des Gardes-Françaises, une compagnie de gardesdu-corps venait de se faire casser à Versailles; elle s'était plainte qu'on lui fit faire un service de maréchaussée, un service de patrouilles indigne d'elle. Quelques troupes qu'on avait eu l'imprudence de faire passer par Paris, s'étaient débandées, et avaient couru au Palais-Royal, fraterniser avec la jeunesse et les gardesfrançaises. Quelques soldats avaient osé déclarer que si on leur ordonnait de tirer sur leurs concitoyens, ils n'obéiraient pas. En province, plusieurs régimens montrèrent les mêmes dispositions. A Béthune, dans une émeute causée par la disette, les soldats ayant reçu ordre de tirer, posèrent leurs armes. Alors, chaque soldat fut pris sous le bras par un bourgeois, et conduit chez celui-ci, où on le contraignit d'accepter le logement et la table.

On fit plus encore; toute la bourgeoisie se cotisa, pour faire une haute-paie au régiment tant qu'il séjourna à Béthune. Ainsi les soldats trouvaient des frères dans la bourgeoisie, tandis que leurs chefs ne leur offraient que leur morgue et leur sévérité aristocratique.

Nous avons sous les yeux deux lettres de soldats qui furent imprimées et colportées à cette époque; elles expriment très-nettement le sentiment d'une position que l'esprit de l'époque rendait insupportable. Les grades dans les régimens appartenaient à la noblesse; l'homme du peuple ne pouvait dépasser celui de sous-officier, quel que fût d'ailleurs son mérite: c'était donc sa question que l'assemblée nationale débattait avec la cour. Le privilége de la race était tout-puissant dans l'armée comme partout. L'une de ces lettres est d'un garde-française. « Vous traitez, dit-il à son colonel, des braves gens comme des nègre; vous frappez des hommes qui sont vos frères, vos égaux.- Dans votre système, il faut n'être plus ni Français, ni citoya, ni fils. Vous ne voulez que nous soyons ni époux ni pères. - En vain vous avez voulu nous épouvanter, en cassant un vieu: sergent, parce qu'à la rue Saint-Antoine, il n'a pas scrupuleusment suivi vos ordres sanguinaires, etc. Dans l'autre de ces lettres, adressée aux États-Généraux, le soldat se plaint que l'armée ne soit représentée que par de la noblesse. Il se plant de l'usage aristocratique qui ferme au mérite et au courage srti du peuple, la voie des grades et de la réputation, etc. »

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Cette contagion des idées nouvelles menaçait dnc évidemment d'envahir l'armée entière. Aussi on commenç à prendre des précautions pour isoler la partie de l'armée qu'a appelait saine, du contact des factieux. Ainsi, au camp du Champ-de-Mars, des factionnaires empêchaient le peuple et les ardes - françaises d'approcher.

Les royalistes ne pouvant expliquer ces fais par le développement naturel des sentimens qu'ils ne comprmaient pas, en cherchaient la cause dans des intrigues de divers genres. Le plus grand nombre les attribuaient aux manoeuvres du duc d'Orléans:

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