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• Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues; elles sont conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien public; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes peuples; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant ; et connaissant vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe entre le vœu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j'aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu'il doit m'inspirer.

› Réfléchissez, Messieurs, qu'aucuns de vos projets, aucunes de vos dispositions ne peuvent avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi je suis le garant naturel de vos droits respectifs; et tous les ordres de l'état peuvent se reposer sur mon équitable impartialité.

› Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C'est moi, jusqu'à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples; et il est rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.

› Je vous ordonne, messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. J'ordonne en conséquence au grand-maître des cérémonies de faire prépa→ rer les salles.*>

Après le départ du roi, presque tous les évêques, quelques curés, et une grande partie de la noblesse, se retirèrent par la même porte qui avait été ouverte pour la cour.

Les autres députés restèrent à leur place: étonnés, incertains de ce qu'ils devaient faire, ils se regardaient, attendant un avis qui terminât leur irrésolution.

Mirabeau se leva. ‹ Messieurs, s'écria-t-il, j'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie, si les présens du despotisme n'étaient toujours dangereux. Quelle

est cette insultante dictature? L'appareil des armes, la violation du temple national, pour vous commander d'être heureux! Qui vous fait ce commandement? Votre mandataire! Qui vous donne des lois impérieuses? Votre mandataire ; lui qui doit les recevoir de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d'un sacerdoce politique et inviolable; de nous, enfin, de qui seuls vingt-cinq millions d'hommes attendent un bonheur certain, parce qu'il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée. Une force militaire environne les États! Où sont les en nemis de la nation? Catilina est-il à nos portes? Je demande qu'en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative yous vous renfermiez dans la religion de votre serment ; il ne nous permet de nous séparer qu'après avoir fait la constitution.b

Alors M. de Brezé s'avança vers l'assemblée, et prononça quelques mots d'une voix basse et mal assurée. Plus haut ! lui cria-t-on. «Messieurs, dit alors le grand-maître des cérémonies, vous avez entendu les ordres du roi, qop, sb pun did sateli -M. le comte de Mirabeau. Qui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au roi ; et vous qui ne sauriez être son organe auprès des États-Généraux, vous qui n'avez ici ni place, ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je déclare que si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. (1) Oui! oui! s'écrièrent unanimement les députés.

L'assemblée, dit ensuite M. Bailly à M. de Brezé, l'assemblée a arrête hier qu'elle resterait séance tenante après la séance royale. Je ne puis séparer l'assemblée avant qu'elle n'en ait délibéré elle-même, et qu'elle n'en ait délibéré librement.tel C Puis-je,

is-je, Monsieur, demanda le grand-maître, porter cette réponse au roi ? - Oui, Monsieur, répondit le président.

(1) Telle est la rédaction du Moniteur. La phrase devenue populaire est celle-ci : Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes.

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Il paraît que ce message inspira quelque colère, dit lejournal des Amis de la Constitution. Un grand attentat fut sur le point d'être commis; cependant les patriciens reconnurent bientôt qu'ils n'avaient pas les forces nécessaires pour le soutenir, et il fut différé. Les troupes qu'on avait envoyées furent retirées. En même temps, on employait au-dedans la plus misérable ruse, et les moyens en étaient si petits, si bas, que la gravité du sujet seule peut les élever du ridicule au scandale.

On avait construit pour la séance royale, et suivant l'usage du temps, une sorte d'amphithéâtre pour y placer le roi et son cortége: on imagina d'en ordonner la démolition sur-le-champ, dans le puéril espoir de troubler, au moins par le bruit, une délibération qu'on n'avait pu empêcher par la crainte. Des ouvriers furent introduits; ils commencèrent leur travail. Mais le calme de l'assemblée les frappa d'abord d'étonnement et d'admiration : la curiosité les attira sur le bord de l'amphithéâtre, un sentiment plus profond les y retint: tous, comme de concert, quittèrent leurs outils, et, devenus spectateurs attentifs, le bruit de leurs nombreux applaudissemens fut le seul qui, dès-lors, fit retentir la salle. »

[Cependant on continuait à délibérer: après le départ de M. de Brezé, il y eut un moment de morne silence dans l'assemblée.

M. Camus prit la parole. Il s'attacha à prouver, en jurisconsulte, que l'ordre du roi n'était qu'un arrêt du conseil, un acte ministériel dont on pouvait délibérer. Il parla long-temps, et termina en disant: Le pouvoir des députés composant cette assemblée est reconnu; il est reconnu aussi qu'une nation libre ne peut être imposée sans son consentement. Vous avez donc fait ce que vous deviez faire: si, dès nos premiers pas, nous sommes arrêtés, que sera-ce pour l'avenir! Nous devons persister sans aucune réserve, dans tous nos précédens arrêtés.

M. Barnave. Votre démarche dépend de votre situation; vos arrêtés dépendent de vous seuls. Vous avez déclaré ce que vous êtes; vous n'avez pas besoin de sanction: l'octroi de l'impôt dépend de vous seuls. Envoyés par la nation, organes de ses volon

tés pour faire une constitution, vous êtes obligés de demeurer assemblés aussi long-temps que vous le croirez nécessaire à l'intérêt de vos commettans. Il est de votre dignité de persister dans le titre d'Assemblée nationale.

M. Glezen, député de Rennes, ayant parlé des applaudissemens indiscrets de quelques membres des deux premiers ordres, ajoute : « Le pouvoir absolu est dans la bouche du meilleur des rois, dans la bouche d'un souverain qui reconnaît que le peuple doit faire ses lois. C'est un lit de justice tenu dans une assemblée nationale ; c'est un souverain qui parle en maître, quand il devrait consulter. Que les aristocrates triomphent; ils n'ont qu'un jour le prince sera bientôt éclairé. La grandeur de notre courage égalera la grandeur des circonstances. Il faut mourir pour la patrie. Vous avez pris, Messieurs, des délibérations sages; un coup d'autorité ne doit pas vous effrayer. >

MM. Petion de Villeneuve, Buzot, Garat l'ainé et l'abbé Grégoire appuient avec énergie le parti proposé.]

L'abbé Sieyes. Quelque orageuses que paraissent les circonstances, nous avons toujours une lumière pour nous guider. Demandons-nous quels pouvoirs nous exerçons, et quelle mission nous réunit ici de tous les points de la France. Ne sommes-nous que des mandataires, des officiers du roi, nous devons obéir et nous retirer. Mais, sommes-nous les envoyés du peuple, remplissons notre mission, librement, courageusement.

> Est-il un seul d'entre nous qui voulût abjurer la haute confiance dont il est revêtu, et retourner vers ses commettans, leur dire: J'ai eu peur, vous aviez remis dans de trop faibles mains les destinées de la France; envoyez à ma place un homme plus digne de vous représenter.

>> Nous l'avons juré, Messieurs, et notre serment ne sera pas vain, nous avons juré de rétablir le peuple français dans ses droits. L'autorité qui vous a institués pour cette grande entreprise, de laquelle seule nous dépendons, et qui saura bien nous défendre, est, certes, loin encore de nous crier : C'est assez; arrêtez-vous. Au contraire, elle nous presse, et nous demande

une constitution ; et qui peut la faire sans nous? qui peut la faire, si ce n'est nous ? Est-il une puissance sur terre, qui puisse vous ôter le droit de représenter vos commettans? Messieurs, ajouta Sieyès en descendant de la tribune, vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier!» (Ce discours fut couvert d'applaudissemens.)

[On prend les voix par assis et levé; et l'assemblée nationale déclare unanimement qu'elle persiste dans ses précédens arrêtés. M. le comte de Mirabeau. C'est aujourd'hui que je bénis la liberté de ce qu'elle mûrit de si beaux fruits dans l'assemblée nationale. Assurons notre ouvrage, en déclarant inviolable la personne des députés aux Etats-Généraux. Ce n'est pas manifester une crainte, c'est agir avec prudence; c'est un frein contre les conseils violens qui assiégent le trône.

Après un court débat, cette motion est adoptée à la pluralité de 493 voix contre 34; et l'assemblée se sépare après avoir pris l'arrêté suivant :

L'assemblée nationale déclare que la personne de chaque député est inviolable; que tous particuliers, toutes corporations, tribunal, cour ou commission, qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raisons d'aucunes propositions, avis, opinions, ou discours par lui faits aux EtatsGénéraux; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu'ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crimes capitaux. L'assemblée nationale arrête que dans les cas susdits elle prendra toutes les mesures nécessaires pour rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs. ›

Sur le surplus, l'assemblée a continué la séance à demain 9 heures.

Ces arrêtés ont été pris en présence de plusieurs de MM. du clergé. Ceux dont les pouvoirs étaient vérifiés, ont donné leur voix lors des opinions; et les autres ont demandé qu'il fût fait mention de leur présence.]

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