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l'Assemblée nationale, par le même arrêté, autorisât d'employer

la force pour les contenir.

Telle est la demande respectueuse et pressante de la ville de Vesoul, représentée par les membres du comité qu'elle a nommés pour pourvoir à la sûreté publique.

Signé, le comte de SCHOMBERT DE SALADIN; JACQUES DE FLEURY, maire.

M. Pinelle, député de Franche-Comté. Je demande la parole pour faire part à l'Assemblée d'une adresse contenant le récit d'un événement affreuxqui est arrivé au château de Quincey. - Je voudrais pouvoir dérober, à vos yeux le tableau effrayant de la catastrophe sanglante arrivée dans ce château; je frissonne d'horreur: j'ai à vous parler d'un forfait enfanté par la noirceur même; mais pour vous instruire des détails, je crois devoir vous lire le procès-verbal de la maréchaussée du lieu.

Nous, brigadier de maréchaussée, etc. certifions, etc. que nous nous sommes transportés à Quincey; que nous avons trouvé, auprès d'un homme mourant, M. le curé, qui nous a dit que M. de Memmay, seigneur de Quincey, avait fait annoncer à Vesoul, et aux troupes qui y sont en garnison, qu'à l'occasion de l'événement heureux auquel toute la nation prenait part, il traiterait tous ceux qui voudraient se rendre à son château, et leur donnerait une fête, mais que M. de Memmay s'était retiré, et avait dit que sa présence pourrait diminuer la gaîté de la fête, et avait prétexté pour ce, qu'il était protestant, noble et parlementaire. L'invitation de M. le parlementaire avait attiré une foule de personnes, tant citoyens que soldats, qu'on avait conduits à quelque distance du château; que pendant qu'on se livrait à la joie et à la gaîté, on avait mis le feu à une mêche qui allait aboutir à une mine creusée dans l'endroit où le peuple était à se divertir; qu'au bruit de l'explosion, ils s'étaient transportés au château, qu'ils avaient vu des hommes flottans dans leur sang, des cadavres épars et des membres palpitans ›.

› Le procès-verbal est signé par le brigadier et par le lieutenant-général.

T. H.

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Cette barbarie, exercée contre le droit des gens, ourdie par l'hypocrisie et la noirceur la plus abominable, a mis tout le pays en combustion. On s'est armé de toutes pièces, on s'est jeté sur les châteaux voisins; le peuple, qui ne connaît plus de frein lorsqu'il croit qu'on a mérité sa fureur, s'est porté et se porte encore aux derniers excès, a brûlé, saccagé les chartriers des seigneurs, les a contraints de renoncer à leurs droits, a détruit et démoli différens châteaux, incendié une abbaye de l'ordre de Cîtaux. Madame la baronne d'Andeleau n'a dû son salut qu'à une espèce de miracle.

Le corps municipal, présidé par M. le marquis de Jombert, a pris toutes les mesures que pouvait dicter la sagesse pour arrêter les suites funestes d'une telle fermentation. Mais les moyens sont insuffisans dans une province comme la nôtre, où chaque village peut fournir huit à dix hommes, au moins, qui ont servi, et qui savent conséquemment manier les armes.]

SÉANCE DU LUNDI 27 JUILLET.

[M. le président dit qu'il s'est retiré hier devers le roi, pour lui exprimer le vœu de l'assemblée sur le crime affreux commis auprès de Vesoul; que sa majesté lui a répondu qu'elle partageait l'indignation générale, et qu'elle donnerait ordre à ses ambassadeurs dans les cours étrangères, d'empêcher qu'aucun asile fût accordé aux auteurs d'un si grand délit.

Ensuite M. le président annonce que M. de Montmorin lui a fait parvenir une lettre écrite par M. Necker. On fait lecture de cette lettre que nous transcrivons:

«Messieurs, sensiblement ému par de longues agitations, et considérant déjà de près le moment où il est temps de songer à la retraite du monde et des affaires, je me préparais à ne plus suivre que de mes voeux ardens le destin de la France et le bonheur d'une nation à laquelle je suis attaché par tant de liens, lorsque j'ai reçu la lettre dont vous m'avez honoré. Il est hors de mon pouvoir, il est au-dessus de mes faibles moyens de répondre dignement à cette marque si précieuse de votre estime et de votre

bienveillance; mais je dois au moins, messieurs, vous aller porter l'hommage de ma respectueuse reconnaissance. Mon dévouement ne vous est pas nécessaire; mais il importe à mon bonheur de prouver au roi et à la nation française que rien ne peut ralentir un zèle qui fait depuis long-temps l'intérêt de ma vie. » Les plus vifs applaudissemens suivent la lecture de cette lettre. M. l'archevêque de Bordeaux, Messieurs, vous avez voulu que le comité que vous avez nommé pour rédiger un projet de constitution, vous présentât, dès aujourd'hui, au moins une partie de son travail, pour que la discussion puisse en être commencée ce soir même dans vos bureaux.

Votre impatience est juste, et le besoin d'accélérer la marche commune s'est à chaque instant fait sentir à notre cœur comme

au vôtre.

Une constitution nationale est demandée et attendue par tous nos commettans, et les événemens survenus depuis notre réunion la rendent, de moment en moment, plus instante et plus indispensable; elle seule peut, en posant la liberté des Français sur des bases inébranlables, les préserver des dangers d'une funeste fermentation, et assurer le bonheur des races futures.

Jusqu'à ces derniers temps, et je pourrais dire jusqu'à ces derniers momens, ce vaste et superbe empire n'a cessé d'être la victime de la confusion et de l'indétermination des pouvoirs. L'am bition et l'intrigue ont fait valoir à leur gré les droits incertains des rois et ceux des peuples. Notre histoire n'est qu'une suite de tristes combats de ce genre, dont le résultat a toujours été ou l'accroissement d'un fatal despotisme, ou l'établissement, peutêtre plus fatal encore, de la prépondérance et de l'aristocratie des corps, dont le joug pèse en même temps sur les peuples et sur les rois.

Les prospérités passagères de la nation n'ont été jusqu'à présent que l'effet du caractère ou des talens personnels de nos rois et de leurs ministres, ou encore des combinaisons fortuites que les vices du gouvernement n'ont pu détruire. Le temps est arrivé où une raison éclairée doit dissiper d'anciens prestiges; elle a été

provoquée, cette raison publique; elle sera secondée par un monarque qui ne veut que le bonheur de la nation qu'il se fait gloire de commander : elle le sera par l'énergie que les Français ont montrée dans ces derniers temps; elle le sera par les sentimens patriotiques qui animent tous les membres de cette Assemblée.

Loin de nous tout intérêt d'ordre et de corps! loin de nous tout attachement à des usages ou même à des droits que la patrie n'avouerait pas! Il n'est rien qui ne doive fléchir devant l'intérêt public: eh! quelle classe de citoyens pourrait revendiquer des priviléges abusifs, lorsque le roi lui-même consent à baisser son sceptre devant la loi, à regarder le bonheur de ses sujets comme la règle et la mesure de ses prérogatives et de son autorité,?

Toutes ces considérations, sans doute, étaient bien propres à échauffer notre zèle: il ne faut pas d'efforts pour se livrer à l'empressement du patriotisme, et s'abandonner à ses pressantes inspirations; combien, au contraire, ne nous en a-t-il pas fallu pour en tempérer les élans! combien d'imposans motifs nous ont présenté la nécessité de nous préserver d'une dangereuse précipitation! C'est en votre nom, Messieurs, qu'il nous était recommandé de recueillir et de rassembler les voeux et les opinions: c'est à tracer les premiers fondemens de l'édifice que vos mains généreuses vont élever à la liberté, et avec elle à la dignité de l'homme et à la félicité publique, que vous nous avez appelés ; c'est devant vous que nous avons à répondre ; c'est devant les représentans d'un grand empire; c'est devant l'Europe entière, dont les regards sont attachés sur nous, et qui attend de vos lumières un modèle qui sera bientôt imité; c'est pour la postérité qui tous les jours commence, qui, dans un moment, nous demandera compte de nos travaux; c'est par ces considérations que nous avons senti qu'il fallait nous asservir à une méthode sévère et réunir à une méditation profonde, sur les bases même de la constitution, l'étude des volontés exprimées par nos commettans.

Ainsi, nous avons cru devoir commencer par l'examen de ces volontés, consignées dans les cahiers que nous avons pu consul

ter. M. le comte de Clermont-Tonnerre va vous présenter le travail raisonné dont il a bien voulu se charger, pour vous faire connaître l'esprit général de vos cahiers.

Nous avons surtout fixé notre attention sur les articles que nos commettans nous ont plus spécialement recommandés, et qu'ils regardent avec justice comme nécessaires et indispensables.

Mais nous avons en même temps reconnu que ces différentes vues exigeaient l'établissement des moyens suffisans pour les accomplir; qu'il fallait déterminer et définir les divers pouvoirs institués pour le maintien de l'ordre social, circonscrire leurs limites, et en même temps le préserver de toute invasion; que la constitution de l'empire devait présenter un ensemble imposant, dont toutes les parties liées et correspondantes entre elles, devaient tendre au même but, c'est-à-dire à la félicité publique, et à celle de tous les individus ; et qu'enfin, nous remplirions mal votre attente en vous présentant des dispositions éparses, incohérentes, et dénuées des précautions capables d'en garantir pour toujours l'exécution; et c'est sous ces rapports importans que s'est présenté à nous l'ouvrage que vous nous avez confié.

Et d'abord, nous avons jugé, d'après vous, que la constitution devait être précédée d'une déclaration des droits de l'homme et du citoyen, non que cette exposition pût avoir pour objet d'imprimer à ces vérités premières une force qu'elles tiennent de la morale et de la raison, qu'elles tiennent de la nature, qui les a déposées dans tous les cœurs auprès du germe de la vie, qui les a rendues inséparables de l'essence et du caractère d'homme; mais c'est à ces titres même que vous avez voulu que ces principes ineffaçables fussent sans cesse présens à nos yeux et à notre pensée : vous avez voulu qu'à chaque instant la nation, que nous avons l'honneur de représenter, pût y rapporter, en rapprocher chaque article de la constitution, dont elle s'est reposée sur nous, s'assurer de notre fidélité à s'y conformer, et reconnaître l'obligation et le devoir qui naissent pour elle de se soumettre à des lois qui maintiennent infailliblement tous ses droits. Vous avez senti que ce serait, pour nous, une garantie continuelle

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