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projet de proclamation qu'il avait déjà présenté. On se rappelle que ce projet avait été renvoyé aux bureaux; il n'est pas plus favorablement accueilli aujourd'hui, malgré les différens amendemens proposés tant par M. de Lally-Tolendal lui-même que par plusieurs autres membres.

Dès la première phrase, on s'arrête; on ne veut point entendre le détail des malheurs où entre M. de Lally Tolendal, comme proscriptions arbitraires, émigrations du royaume, désertion des villes, division des familles, etc.

Plusieurs membres demandent qu'on y substitue la phrase suivante:

Tout citoyen doit frémir au mot de trouble qui entraîne après soi le renversement de l'ordre social. » D'autres soutiennent la motion.

M. Mounier. Je ne trouve aucun inconvénient à adopter ce que propose M. de Lally. La proclamation est infiniment plus avantageuse que le silence, dans les circonstances actuelles. La puissance législative doit se montrer aujourd'hui ou jamais. Si cela réussit, comme il y a apparence, vous n'aurez qu'à vous louer de votre courage. Si cela ne réussit pas, au moins vous faites votre devoir; et cette considération doit l'emporter sur toute autre. Je conclus done à admettre la proclamation de M. de Lally-Tolendal.

Un membre observe qu'il faut distinguer deux classes de citoyens dans Paris, les uns qui mangent leur pain à la sueur de leur front, les autres qui sont dans l'aisance. Il faut ramener ceux-là dans l'ordre et le devoir, et rassurer les autres.

M. le comte de Mirabeau. Je commence par déclarer qu'à mon sens, les petits moyens compromettraient inutilement la dignité de l'assemblée.

Examinons quelles sont les causes des désordres de Paris; la première et la principale, c'est qu'aucune autorité reconnue n' existe, c'est que le dissentiment le plus marqué s'établit entre les districts et les électeurs. Ceux-ci ont saisi les rênes de l'administration de la ville sans le consentement formel de la com

mune, mais autorisés par un péril imminent. A présent qu'ils ne peuvent pas méconnaître le principe, qu'ils sentent que ce consentement est absolument nécessaire, ils ont encore des assemblées; ils ont délibéré si, nonobstant le vœu formé par les districts de créer une administration nouvelle, ils ne resteraient pas revêtus du pouvoir qu'ils exercent; ils ont enfin établi dans leur sein un comité permanent, qui n'a point de rapport direct avec les districts, dont l'objet incontestable est le bien public, dont la continuation a été nécessitée par les circonstances, mais dont le fruit est devenu nul, parce que les créateurs et les créés ne sont que de simples particuliers, sans délégation, sans confiance, et que leur pouvoir a cessé au moment où leur mission d'électeur a été consommée.

De là résulte que les districts ne s'accordent point, ne marchent point ensemble, que durant cette anarchie, il est impossible d'égaliser le fardeau, de proportionner les contingens et les secours: de là il résulte qu'il faut au plus tôt réunir les districts, qu'on le fera aisément par l'intervention de quelques députés conciliateurs, que la commune nommera un conseil provisoire, et que ce conscil s'occupera d'un plan de municipalité, dont l'établissement assurera la subordination et la paix.

Les municipalités sont d'autant plus importantes, qu'elles sont la base du bonheur public, le plus utile élément d'une bonne constitution, le salut de tous les jours, la sécurité de tous les foyers, en un mot, le seul moyen possible d'intéresser le peuple entier au gouvernement, et de préserver les droits de tous les individus. Quelle heureuse circonstance que celle où l'on peut faire un si grand bien, sans composer avec cette foule de prétentions, de titres achetés, d'intérêts contraires que l'on aurait à concilier, à sauver, à ménager dans des temps calmes ! Quelle heureuse circonstance que celle où la capitale, en élevant sa municipalité sur les vrais principes d'une élection libre, faite par la fusion des trois ordres dans la commune, avec la fréquente amovibilité des conseils et des emplois, peut offrir à toutes les villes du royaune un modèle à imiter!

M. Mounier. Je demande à M. de Mirabeau s'il a entendu autoriser toutes les villes à se municipaliser à leur manière? cet objet est du ressort de l'assemblée nationale, et il serait trop dangereux de créer des États dans l'État, et de multiplier des souverainetés.

M. le comte de Mirabeau. Le préopinant se trompe sur mes intentions. Ma pensée est précisément que l'assemblée nationale ne doit pas organiser les municipalités. Nous sommes chargés d'empêcher qu'aucune classe de citoyens, qu'aucun individu n'attente à la liberté toute municipalité peut avoir besoin de notre sanction, ne fût-ce que pour lui servir de garant et de sauvegarde.

Toute municipalité doit être subordonnée au grand principe de la représentation nationale: mélange des trois ordres, liberté d'élection, amovibilité d'offices; voilà ce que nous pouvons exiger; mais quant aux détails, ils dépendent des localités, et nous ne devons point prétendre à les ordonner. Voyez les Américains; ils ont partagé leurs terrains inhabités en plusieurs États qu'ils offrent à la population, et ils laissent à tous ces États le choix du gouvernement qu'il leur plaira d'adopter, pourvu qu'ils soient républicains, et qu'ils fassent partie de la confédération.

L'orateur conclut à ce qu'on envoie à Paris un député par district, pour établir un centre de correspondance entre toutes les assemblées, afin de les accorder et de les faire marcher ensemble: il demande aussi qu'on déclare formellement que les fonctions des électeurs sont finies, et que toute assemblée revêtue de fonctions municipales, doit être établie du consentement de

tous.

M. de Lally-Tolendal. Les coups terribles portés par un ministère coupable ont amené ces catastrophes effrayantes. Il ne faut pas s'abuser : le peuple demande vengeance, mais il faut de la subordination; autrement on n'aurait quitté le joug et la tyrannie du ministère que pour retomber sous le glaive de l'arbitralité, etc. On peut avoir beaucoup d'esprit, de grandes idées, et étre un tyran. (L'erateur parait fixer 31. de Mirabeau.... On

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murmure.) Par exemple, Tibère pensait, et pensait profondément; Louis XI sentait, et sentait vivement.

M. Prieur. Je voudrais que non-seulement l'assemblée assurât le peuple de pouvoir tirer vengeance des coupables, mais qu'elle les poursuivît elle-même.

M. Camus. Jadopte en partie la motion de M. le comte de Mirabeau ; il faut conférer avec les élus de la commune de Paris, ils peuvent mieux que tous autres donner les renseignemens né cessaires, etc. Si leurs vœux sont conformes aux voeux de l'assemblée, comme il est indubitable, il en résultera les plus grands avantages.

M. Gouy d'Arcy, Les premiers coups frappés par le peuple sont dus à l'effervescence qu'inspire nécessairement l'anéantissement du despotisme et la naissance de la liberté. Il n'était guère possible qu'un peuple qui venait de briser le joug sous lequel il gémissait depuis long-temps, n'immolât à sa fureur ses premières victimes.

Le gouverneur d'un fort pris d'assaut, d'un fort, gouffre de la liberté, ne pouvait guère avoir un autre sort; tombé entre les mains des défenseurs de la liberté, d'un peuple nombreux qu'il avait voulu sacrifier au despotisme, il a eu ce qu'il méritait.

Mais aujourd'hui, Messieurs, rien ne peut justifier la fureur où l'on vient de se porter contre deux individus : ils étaient coupables, sans doute; mais il fallait les juger légalement.

Ne croyez pas, Messieurs, que ce soit seulement cette classe d'hommes qu'on qualifie de peuple, qui s'es! portée à ces excès : un nombre infini de citoyens accompagnait la populace, l'encourageait, l'animait, et plusieurs n'ont pas craint de se laver les mains dans le sang humain.

Je frissonne lorsque j'envisage les suites funestes de ces excès atroces. Le peuple peut s'accoutumer à ces spectacles sanglans, se faire un jeu de répandre du sang. La barbarie peut devenir une habitude; les proscriptions seront éternelles ; des haines particulières peuvent servir de prétexte, etc.

Je n'entends pas ici vous effrayer; mais, Messieurs, je dois vous dire ce que je sais ; il existe une liste de proscrits: soixante personnes y sont couchées, et plusieurs des honorables mem bres de cette assemblée sont du nombre.

Je conclus qu'il faut prendre sur-le-champ les moyens les plus efficaces et les plus prompts pour arrêter ce désordre.

M. de Lally-Tolendal. Je n'avais pas présenté avec tant d'instance un projet de proclamation, pour demander que l'on fixât la puissance de la loi de toutes parts éparse et fugitive. Pour cela, les momens sont précieux. Le peuple a de longues et grandes injures à venger: je serai au besoin le dénonciateur de ses ennemis; mais pour la punition des coupables, il faut que la loi seule instruise, juge et condamne. Je me suis trompé sur plusieurs dispositions de ma proclamation; j'ai recueilli vos lumiè res; j'ai applaudi à votre sagesse; j'ai réformé ce projet, j'en ai adouci quelques expressions. Ce n'est plus qu'un récit fidèle de ce que le roi et l'assemblée nationale ont fait ; c'est une invitation à la paix; c'est un avis paternel. Pour peu que ce plan ne con→ vienne pas à l'assemblée, j'y renonce; mais je supplie qu'on adopte un plan quelconque, c'est un objet trop intéressant pour l'abandonner.

Plusieurs membres continueut de discuter les motions de M. de Mirabeau et de M. de Lally.

MM. le duc de Levis et le marquis de Sillery en proposent d'autres dont le but est pareillement de tâcher de dissiper les troubles, et de ramener les esprits à la paix.

M. Malouet. La proclamation de M. de Lally, pure dans ses motifs, modifiée dans ses principes, ne me paraît plus suscepti ble de difficultés, je pense seulement qu'il est nécessaire d'y ajouter que le roi sera prié de donner aux municipalités main-forte contre les attroupemens, suivant la demande des officiers municipaux...... Quelques membres, en s'opposant à l'établissement des milices bourgeoises, ont craint les suites d'un armement gé néral. Ces craintes sont bien fondées. La résistance à l'oppression est légitime et honore une nation; la licence l'avilit. Une insur

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