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majorité du clerge se détermine à profiter de cette occasion, pour donner exécution à son arrêté, pour que les deux ordres réunis procédent à la vérification commune de leurs pouvoirs, en attendant MM. de l'ordre de la noblesse.

La majorité du clergé s'empresse de donner connaissance de son projet à messeigneurs et messieurs les députés du clergé, qui avant de se rendre dans la salle commune, qui est aujourd'hui à Saint-Louis, se réuniront tous à une heure, dans le choeur de ladite église de Saint-Louis.)

A l'heure fixée pour la réunion des trois ordres, par la procla mation du roi, toutes les rues qui aboutissaient à la salle se remplissaient déjà du peuple qui accourait de Versailles et de Paris. De nombreuses patrouilles parcouraient les avenues de la salle, et dispersaient les attroupemens qui voulaient se former. De gros détachemens de gardes françaises et suisses, et de gardes de la prévôté étaient sous les armes. On calculait qu'ils formaient ensemble une masse d'environ quatre mille hommes; on savait, en outre, qu'il y avait aux environs six régimens prêts à marcher. Toutes ces précautions annonçaient d'avance ce qui allait se passer. Les visages étaient sombres et anxieux.

Les députés des communes, en se rendant à la séance, durent s'inspirer de ce spectacle. Une avanie d'étiquette les attendait à la porte même de la salle. On refusa de les introduire avant que les deux autres ordres eussent été placés. Pendant ce temps, chassés par une pluie battante, ils furent obligés de se réfugier sous un hangard qu'on appelait la Maison de Bois. Conduisez, dit Mirabeau au président, conduisez la nation au-devant du roi. Bailly obtint enfin que les portes fussent ouvertes, en menaçant le maître des cérémonies de se retirer avec tous les membres du Tiers.

Vint ensuite le cortége du roi. Il traversa entre deux haies de soldats, la foule devenue très-nombreuse. Il fut accueilli par un silence auquel il n'était pas encore accoutumé.

Le roi entra dans la salle environné des princes du sang,

des ducs et pairs, des capitaines de ses gardes, et de quelques gardes-du-corps.

Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j'avais pris la résolution de vous rassembler; lorsque j'avais surmonté toutes les difficultés dont votre convocation était entourée; lorsque j'étais allé, pour ainsi dire, au-devant des voeux de la nation, en manifestat à l'avance ce que je voulais faire pour son bonheur.

› Il semblait que vous n'aviez qu'à finir mon ouvrage, et la nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vues bienfaisantes de son souverain, et du zèle éclairé de ses représentans, elle allait jouir des prospérités que cette union devait leur procurer.

› Les Etats-Généraux sont ouverts depuis près de deux mois, et ils n'ont point pu encore s'entendre sur les préliminaires de leurs opérations. Une parfaite intelligence aurait dû naître du seul amour de la patrie, et une funeste division jette l'alarme dans tous les esprits. Je veux le croire, et j'aime à le penser, les Français ne sont pas changés. Mais, pour éviter de faire à aucun de vous des reproches, je considère que le renouvellement des Etats-Généraux, après un si long terme, l'agitation qui l'a précédé, le but de cette convocation, si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres, les restrictions dans les pouvoirs, et plusieurs autres circonstances, ont dû nécessairement amener des oppositions, des débats, des prétentions exagérées.

> Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moimême de faire cesser ces funestes divisions. C'est dans cette résolution, Messieurs, que je vous rassemble de nouveau autour de moi; c'est comme le père commun de tous mes sujets, c'est comme le défenseur des lois de mon royaume, que je viens en retracer le véritable esprit, et réprimer les atteintes qui ont pu y être portées.

Mais, Messieurs, après avoir établi clairement les droits respectifs des différens ordres, j'attends du zèle pour la patrie, des deux premiers ordres, j'attends de leur attachement pour ma

personne, j'attends de la connaissance qu'ils ont des maux urgens de l'Etat, que dans les affaires qui regardent le bien général, ils seront les premiers à proposer une réunion d'avis et de sentimens, que je regarde comme nécessaire dans la crise actuelle, qui doit opérer le salut de l'Etat. ›

Un des secrétaires d'État lit ensuite la déclaration suivante :

Déclaration du roi, concernant la présente tenue des ÉtatsGénéraux.

Art. Ier. Le roi veut que l'ancienne distinction des trois ordres de l'Etat soit conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume; que les députés librement élus par chacun des trois ordres, formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec l'approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être considérés comme formant le corps des représentans de la nation. En conséquence, le roi a déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l'ordre du Tiers-état, le 17 de ce mois, ainsi que celles qui auraient pu s'ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles.

II. Sa majesté déclare valides tous les pouvoirs vérifiés ou à vérifier dans chaque chambre, sur lesquels il ne s'est point élevé ou ne s'élèvera point de contestation: ordonne sa majesté qu'il en sera donné communication respective entre les ordres.

Quant aux pouvoirs qui pourraient être contestés dans chaque ordre, et sur lesquels les parties intéressées se pourvoiraient, il y sera statué, pour la présente tenue des États-Généraux seulement, ainsi qu'il sera ci-après ordonné.

III. Le roi casse et annulle, comme anti-constitutionnelles, contraires aux lettres de convocation, et opposées à l'intérêt de l'État, les restrictions des pouvoirs, qui, en gênant la liberté des députés aux États-Généraux, les empêcheraient d'adopter les formes de délibération prises séparément par ordre ou en commun, par le vœu distinct des trois ordres.

IV. Si, contre l'intention du roi, quelques-uns des députés avaient fait le serment téméraire de ne point s'écarter d'une

forme de délibération quelconque, sa majesté laisse à leur conscience de considérer si les dispositions qu'elle va régler, s'écartent de la lettre ou de l'esprit de l'engagement qu'ils auraient pris.

V. Le roi permet aux députés qui se croiront gênés par leurs mandats, de demander à leurs commettans un nouveau pouvoir : mais sa majesté leur enjoint de rester, en attendant, aux ÉtatsGénéraux, pour assister à toutes les délibérations sur les affaires pressantes de l'état, et y donner un avis consultatif.

VI. Sa majesté déclare que dans les tenues suivantes d'ÉtatsGénéraux, elle ne souffrira pas que les cahiers ou mandats puissent être considérés jamais comme impératifs; ils ne doivent être que de simples instructions confiées à la conscience et à la libre opinion des députés dont on aura fait choix.

VII. Sa majesté ayant exhorté, pour le salut de l'Etat, les trois ordres à se réunir pendant cette tenue d'états seulement, pour délibérer en commun sur les affaires d'une utilité générale, veut faire connaître ses intentions sur la manière dont il pourra y être procédé.

VIII. Seront nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en commun, celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains Etats-Généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres.

IX. Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline ecclésiastique, le régime des ordres et corps séculiers et réguliers.

X. Les délibérations à prendre par les trois ordres réunis, sur les pouvoirs contestés, et sur lesquels les parties intéressées se pourvoiraient aux Etats-Généraux, seront prises à la pluralité des suffrages; mais si les deux tiers des voix, dans l'un des trois ordres, réclamaient contre la délibération de l'assemblée, l'affaire sera rapportée au roi, pour y être définitivement statué par sa majesté.

XI. Si dans la vue de faciliter la réunion des trois ordres, ils

désiraient que les délibérations qu'ils auront à prendre en commun, passassent seulement à la pluralité des deux tiers des voix, sa majesté est disposée à autoriser cette forme.

XII. Les affaires qui auront été décidées dans les assemblées des trois ordres seront remises le lendemain en délibération, si cent membres de l'assemblée se réunissent pour en faire la demande.

XIII. Le roi désire que, dans cette circonstance, et pour ra mener les esprits à la conciliation, les trois chambres commencent à nommer séparément une commission composée du nombre des députés qu'elles jugeront convenable, pour préparer la forme et la distribution des bureaux de conférences, qui devront traiter les différentes affaires.

XIV. L'assemblée générale des députés des trois ordres sera présidée par les présidens choisis par chacun des ordres, et selon leur rang ordinaire.

XV. Le bon ordre, la décence et la liberté même des suffrages, exigent que sa majesté défende, comme elle le fait expressément, qu'aucune personne, autre que les membres des trois ordres composant les États-Généraux, puissent assister à leurs délibé rations, soit qu'ils les prennent en commun ou séparément. Le roi reprend la parole.

J'ai voulu aussi, Messieurs, vous faire remettre sous les yeux les différens bienfaits que j'accorde à mes peuples. Ce n'est pas pour circonscrire votre zèle dans le cercle que je vais tracer; car j'adopterai avec plaisir toute autre vue de bien public qui sera proposée par les Etats-Généraux. Je puis dire, sans me faire illusion, que jamais roi n'en a autant fait pour aucune nation: mais quelle autre peut l'avoir mieux mérité par ses sentimens, que la nation française ! Je ne craindrai pas de l'exprimer: ceux qui, par des prétentions exagérées, ou par des difficultés hors de propos, retarderaient encore l'effet de mes intentions paternelles, se rendraient indignes d'être regardés comme Français.

Ce discours est suivi de la lecture de la déclaration que voici :

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