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guerre civile, et pour se retirer ensuite de peur de l'étouffer. Avec des ordres tels que ceux qu'il avait reçus, il eût mieux fait sans doute de rester dans les faubourgs. La plus grande faute que le gouvernement fit en cette circonstance, ce fut d'attaquer les mutins, et de reculer devant eux. Il mit en oubli cette maxime, qu'en révolution le peuple qui cesse de trembler, fait bientôt tout trembler luiméme. Après la retraite du Royal Allemand, les factieux vont dans tous les quartiers de Paris chanter leur victoire. Le duc du Châtelet parcourt en vain les casernes, où se trouvent les divers détachements de gardes qui sont encore restés fidèles. La populace le reconnaît et le poursuit à coups de pierres; les gardes ne savent s'ils doivent le défendre ou l'abandonner; le parti le plus généreux l'emporte à la fin, ils l'environnent le sabre à la main, et le reconduisent au quartier général.

Après avoir sauvé leur colonel, ils se rendent au Palais-Royal, au nombre de mille, et se mettent à la disposition des factieux. On les comble d'éloges, on les caresse, on leur donne des liqueurs et de l'argent.

Cependant la bande en haillons se répand dans Paris, insulte les citoyens paisibles qui

ne veulent pas se joindre à leur horde infernale, enfonce les boutiques des armuriers et des marchands; sous le prétexte d'y chercher des armes, elle se livre au pillage et à la violence. Les bourgeois, effrayés, ne savent quelle autorité protectrice implorer; quelques-uns sortent armés pour défendre leur propriété; le désordre est au comble. La nuit survient, l'épaisseur de ses voiles sombres ne peut rendre le calme aux passions déchaînées. On entend dans le lointain des hurlements, des coups de fusil, des cris plaintifs, les vociférations des brigands, les accents lugubres des victimes. Tout semble retracer cette nuit horrible où Paris, livré par la perfidie au duc de Bourgogne, en 1418, vit ses rues teintes du sang de plusieurs milliers d'armagnacs, dévoués au poignard d'une faction ennemię 1.

'Ce fut le 12 juin 1418 que se fit cet horrible massacre. Le connétable d'Armagnac, sept évêques, le chancelier, les membres du Parlement, et plus de douze cents gentilshommes, furent immolés par la populace, soudoyće par un prince du sang. Les assassins se portèrent ensuite sur les prisons, où ils massacrègent, sans jugement, tous les prisonniers. Dans la cour du palais on marchait dans le sang jusqu'à la cheville; il n'y eut point de rue dans Paris, qui ne fût le théâtre de quelques meurtres. On éventra des femmes enceintes, et l'on perça à coups de couteau les enfants palpitants sortis de leur sein. Un des assassins du connétable se fit une bandoulière

La journée du 13 fut encore plus orageuse que celle qui l'avait précédée. Les électeurs de Paris se rassemblent, et, sans ordre de la cour, usurpent l'autorité municipale, prennent des arrêtés, et dirigent les mutins, sous prétexte de les contenir. Ils ont cependant soin d'écarter les hommes en haillons, dont ils font même désarmer les plus insolents. Des compagnies de bourgeois se forment, et prennent bientôt après le nom de gardes nationales.

Cependant les bandits, repoussés du centre de la capitale, se portent aux barrières qu'ils incendient; les commis sont outragés, battus et chassés de leurs postes. On pille tous les bureaux, et tout ce qui appartient aux agents du fisc. De là, la bande se porte au couvent de Saint-Lazare, en criant: du pain, du pain. Les religieuses se présentent, et aperçoivent une foule immense, armée de piques et de bâtons; tous ceux qui la composent paraissent être dans l'ivresse. On leur fait distribuer

des entrailles de sa victime, et fut applaudi par les bourreaux. Nous verrons, en 1792, les mêmes horreurs se renouveler à Paris, par ordre d'un gouvernement philosophique, pour cimenter le règne de la liberté et de l'égalité, et pour mettre le complément aux brillants avantages du siècle des lumières.

tout le pain qui se trouvé dans le couvent, mais ce n'était pas du pain que ces brigands voulaient.

Sous le prétexte de chercher des armes, ils enfoncent toutes les portes, bouleversent et pillent les greniers, la cave, l'église, mettent les fous et les prisonniers en liberté, et, après avoir volé tout ce qu'ils jugent propre à leur usage, ils mettent le feu aux bâtiments. Dès le commencement du tumulte, le supérieur avait envoyé prévenir le commandant de la force armée, au Champ-de-Mars, de ce qui se passait dans son couvent. Celui-ci déclare qu'il n'a point d'ordre, et qu'il ne peut aller à son

secours.

Cependant le feu se communique aux maisons voisines; tout ce quartier de Paris va être incendié. Les bourgeois éperdus vont se jeter aux pieds de quatre mille gardes-françaises, qui étaient casernées dans le voisinage, et les supplient de sauver Paris. Ces soldats, émus à l'aspect des flammes, prennent leurs armes, et mandent les pompiers; ils repoussent les bandits, mais sans les combattre : on parvient à éteindre le feu, qui avait déjà causé un dommage de 200,000 fr.

Les factieux, repoussés de Saint-Lazare, se

rendent dans plusieurs couvents qu'ils pillent et rançonnent; de là, ils se portent au GardeMeuble, où l'on conservait les joyaux de la couronne, pour s'enrichir, disaient-ils, tout d'un coup. Ils enfoncent les portes, et prennent les armes qui s'y trouvent, et qui depuis long-temps n'étaient plus d'usage dans les combats. L'un sort armé de la lance de Henri II, l'autre a sur la tête le casque de Henri IV; un autre est vêtu d'une cotte d'armes, un autre tient à son bras un énorme bouclier. On croyait voir une troupe de masques errer dans les rues à la suite d'une orgie.

Déjà l'on se disposait au pillage des pierreries, lorsqu'un des préposés à la garde de ces meubles, déguisé en sans-culottes et tout en guenilles, s'écrie : « Arrêtez! point de pillage, nous ne sommes pas des voleurs; tout ceci appartient à la nation: nous ne demandons que la liberté. » Cette harangue produit son effet; on saisit un voleur qui emportait un riche meuble; deux hommes robustes et de haute taille croisent leurs piques, et forment une potence à laquelle on pend le brigand, tout étonné de ce retour au bon ordre, et d'être pendu par des confrères.

Ces bandits se portent ensuite vers les pri

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