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comprimer les scélérats et les factieux. En << suivant une marche opposée, ajoute-t-il, << vous n'aurez plus de constitution à faire que « pour le peuple des cimetières. » Cet avis ne fut point goûté, et l'assemblée nationale, semblable aux filles de Pélias qui firent bouillir le corps de leur père pour le rajeunir, décida qu'il fallait régénérer la nation.

Une nouvelle question s'élève, et excite une vive et bruyante discussion. Fera-t-on précéder la constitution d'une déclaration des droits de l'homme, ou ne s'en occupera-t-on que lorsque l'ouvrage sera terminé? Quelques militaires, imbus des idées révolutionnaires qu'ils avaient apportées d'Amérique,soutinrent l'affirmative avec chaleur: « Il faut, disaientils, transporter le genre humain sur le haut de la montagne, d'où il pourra découvrir toute l'étendue du domaine de ses droits. On a adopté cette base en Amérique, où elle a fait des merveilles. Pourquoi la rejetterionsnous en France? L'ignorance des droits de l'homme a corrompu les gouvernements en abrutissant les peuples; il est temps que l'homme connaisse sa dignité et que les tyrans pâlissent. >>

Ces déclarations démagogiques étaient com

battues par des hommes sensés, qui représentaient à l'assemblée que, dans la triste position où se trouvait la France, il fallait parler au peuple moins de ses droits que de ses devoirs ; que c'était un somnambule qui marchait au milieu des précipices, et qu'il était dangereux de réveiller; que l'état, en proie à toutes les fureurs et à toutes les folies qui tirent leur source de l'orgueil et de l'intérêt, tendait à une dissolution prochaine; qu'il fallait raffermir ses bases, au lieu de les ébranler; que l'Amérique, placée près du berceau de sa société, ne pouvait être comparée à la vieille France, où les passions les plus îrascibles et les plus actives étaient en fermentation, depuis qu'une ténébreuse philosophie avait désenchanté ses habitants, en les dépouillant de la croyance et des vertus de leurs pères: 'qu'en Amérique la classe des prolétaires était presque nulle, tandis qu'en France elle formait la partie la plus redoutable de la nation; que c'était donc une imprudence extrême de jouer à pair ou non le sort de la vieille monarchie, pour plaire à quelques étourdis, et mériter les éloges de quelques brouillons décorés du nom de philosophes.

Ces sages représentations furent combat

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tues à leur tour par ceux qui voulaient s'attacher les novateurs, ou qui partageaient leurs principes; la discussion devint très ani mée. On entendit successivement parler pour ou contre, MM. d'Entraigues, Malouet, de Noailles, de Levis, Mounier, Sièyes, de Lau dine, Mirabeau, etc. Un bon curé, mauvais plaisant, termina: la discussion en disant: <«qu'un chrétien n'était pas en trop bonne compagnie dans une pareille assemblée, et qu'il demandait que parmi les trois cents ec+ clésiastiques qui en faisaient partie, on en choisit un pour le charger de sa conversion, comme aussi de chanter le De profundis au décès de chaque député. » Des éclats de rire interrompirent la discussion, qui fut renvoyée à une époque assez éloignée. Chacun garda son opinion, et l'on peut dire que de si longs débats n'eurent pour le moment d'autre résultat, que d'augmenter l'émigration.

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Il y eut, à cette époque, un changement dans le ministère. L'archevêque de Bordeaux fut nommé garde des sceaux, celui de Vienne eut la feuille des bénéfices, M. de LatourDupin-Paulin eut le département de la guerre, le maréchal de Beauveau fut appelé dans le conseil. Il paraît qu'en choisissant ces nou

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MM. Necker, de Montmorin, de la Luzerne, étaient

veaux ministres, le roi avait cherché à plaire à l'assemblée. Il lui annonça ses choix par une lettre flatteuse, et l'assemblée en témoigna hautement sa satisfaction.

...Plus la révolution prenait une tournure sinistre, plus les esprits de ses partisans s'enflammaient, et plus les deux premiers ordres faisaient de sacrifices, pour tâcher d'appaiser la faim insatiable de l'hydre dévorante qui menaçait de les engloutir. La journée du 14 juillet avait jeté sur la France un crêpe sanglant, celle du 4 août va être consacrée aux folies d'un patriotisme en délire et d'une terreur vraiment aveugle. Le colosse féodal va y être attaqué par ceux qui en étaient les soutiens; ils vont le détruire, parce qu'ils ont vu chancelant, et parce qu'ils craignent d'être ense velis sous ses ruines.:

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Des ducs, des comtes, des marquis, des magistrats, des privilégiés, se présentent à la tribune, le 4 août, la hache à la main; on'les voit renverser la féodalité et les priviléges, qu'ils avaient défendus, én 1787, avec tant d'égoïsme et d'acharnement. La peur ou l'es

restés dans le conseil. Le premier dirigeait les finances, le second les affaires étrangères, le troisième la marine.

prit de parti viennent d'en faire des révolu

tionnaires.

L'un demande que l'on abolisse les droits de servitudes personnelles, les terrages, les champarts et les lods et ventes; l'autre ne veut plus de fuies et de colombiers. Un autre renonce aux droits exclusifs de la chasse et au droit de garenne. On demande la suppression de toutes les justices seigneuriales, celle des dîmes ecclésiastiques, laïques et inféodées.Un curé ne veut plus de casuel, plus de pluralité de bénéfices, plus d'annates payées à la cour de Rome. Tous les priviléges quelconques, réels, personnels et pécuniaires, sont abolis. On renonce aux priviléges et aux états particuliers des provinces, des villes, des principautés, etc., etc. Toutes ces motions, dictées par l'enthousiasme et la frayeur, sont aussitôt décrétées; et, pour couronner l'œuvre, on donne au roi le titre de restaurateur de la liberté française.

Tel fut le résultat de cette fameuse séance, où les députés du tiers virent, avec étonnement, leurs adversaires courir au-devant des chaînes qu'on leur tendait, et s'acharner sur le squelette de la monarchie que la faction populaire avait tuée.

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