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Le roi fit, à cette époque, un changement dans son conseil. Il nomma M. de Ségur pour remplacer M. Duportail, que les jacobins avaient en horreur, depuis surtout qu'il les avait confondus; la seule idée de partager le sort et les opprobres de ce dernier, empêcha M. de Ségur de donner suite à son acceptation du portefeuille de la guerre. Il dit au roi qu'il ne se sentait pas plus que M. Duportail le courage de s'exposer aux avanies des jacobins, et aux invectives des tribunes. Dans l'épouvantable ouragan qui bouleverse le vaisseau de l'état, on ne pourra plus trouver de pilotes; il faudra confier le gouvernail à des matelots inexpérimentés.

La vente des biens du clergé catholique avait enrichi tant de zélés patriotes, et avait eu tant de vogue, que l'on craignait qu'il n'y en eût pas pour tout le monde. Un membre de l'assemblée, dans la séance du 20 octobre, proposa tout simplement de déclarer nationaux les biens fonds que le clergé protestant possédait dans les provinces et particulièrement en Alsace. Il fut honni, vilipendé, rappelé à l'ordre, et l'on s'empressa de déclarer qu'il n'y avait pas lieu à délibérer. Les jacobins ne se croyaient pas encore assez puissants

pour se passer de leurs anciens auxiliaires. Dans quelques années, ils confondront le sang des ministres avec celui des prêtres; mais il ne vendront pas leurs biens; ils seront trop adroits pour commettre une pareille gaucherie.

Quoique le décret rendu contre les frères du roi n'eût point encore reçu d'exécution, ces princes crurent devoir se laver des imputations que des rebelles s'étaient permis de leur faire. Salis plutôt qu'offensés par les injures grossières des sans-culottes, ils firent imprimer la proclamation suivante:

PROMULGATION DES SENTIMENTS DES PRINCES, FRÈRES

DU ROI DE FRANCE.

« Indignés des calomnies par lesquelles on s'efforce de rendre suspects notre amour pour un frère, et notre soumission pour un roi que ses malheurs ne nous rendent que plus cher et que plus respectable, nous croyons qu'il ne suffit pas de livrer les calomniateurs au mépris qu'ils méritent; mais que notre honneur nous engage à publier hautement une profession de foi qui fut et sera toujours la nôtre. Rétablir le respect dû à la religion catholique et à ses ministres, rendre au roi sa liberté et son autorité légitime. Aux différents ordres

de l'état leurs droits véritables, fondés sur les lois de la monarchie, à chaque citoyen ses propriétés, au royaume son antique et immuable constitution, à tous les Français et particulièrement aux habitants de la campagne, la sûreté, la tranquillité et l'administration de la justice dont on les a privés; c'est l'unique but que nous nous proposons, et pour lequel nous sommes prêts à verser, s'il le faut, jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Jamais aucune ambition personnelle ne souillera des vues aussi pures. Nous l'attestons ici, sur notre foi de gentilshommes, et nous donnons en même temps le démenti le plus formel à toute allégation contraire. »>

«Le 30 octobre 1791.

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Signé, LOUIS-Stanislas-Xavier ;

« CHARLES-PHILIPPE. »

Cette proclamation fit alors peu d'impression sur le parti dominant; mais les zélés royalistes en reçurent une grande consolation. Ils commencèrent à espérer le rétablissement de l'antique monarchie, en voyant leurs princes prendre des engagements si formels, ils se bornèrent pour le moment à presser de leurs vœux le retour de l'ordre; bientôt ils tireront

l'épée pour frayer, aux frères de leur roi, la route qui doit les ramener sur le trône de Hugues-Capet.

Les traitements indignes auxquels le roi de France était en butte, avaient soulevé contre les rebelles, non seulement les rois de l'Europe, mais encore les souverains des autres parties du monde auxquels la révolution ne devait paraître qu'une peste lointaine qui ne pouvait les atteindre. L'assemblée apprend avec surprise, dans sa séance du 30 octobre, que le dey d'Alger vient de lui déclarer la guerre; il ne lui donne que quarante jours pour remettre Louis sur son trône et changer sa. constitution. Passé ce délai, tous ses corsaires vont courir sur les bâtiments français et s'en emparer. Quelques membres firent d'assez mauvaises plaisanteries sur la prétendue extravagance du prince Algérien, et tournèrent en ridicule son don quichotisme. La question fut envisagée par d'autres sous un autre point de vue. On regarda cette levée de boucliers, comme le signal d'un soulèvement général des potentats de l'univers, et le prélude de l'extermination du jacobinisme en France. D'un autre côté, le commerce des Français dans le Levant allait être interrompu,

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ou du moins contraint à des frais d'escorte qui enlèveraient la moitié des profits. Il fallait équiper de suite une escadre, ce qui, dans l'état d'épuisement où se trouvait le trésor, et la désorganisation où l'émigration des officiers avait mis la marine, ne pouvait éprouver que de grandes lenteurs. Ces sombres réflexions firent taire les rieurs.

Le roi qui avait été chargé par l'assemblée d'appaiser l'indignation du dey, lui députa MM. de Missiessy et Dommergue. Ces ambassadeurs étaient chargés d'une lettre que Louis écrivait au despote africain. Leur négociation eut un heureux résultat; on fit croire au prince tout ce que l'on voulut; la paix fut faite. Le commerce rassuré, et la sociétémère reprit sa bonne humeur.

Le dey fit asseoir M. de Missiessy à sa gauche, et lui dit : « Faites savoir au roi que je vous ai fait asseoir comme un ami, ce que je ne fais pour aucun envoyé. Je fais présent de trois chevaux au roi. Mandez lui que j'ai pris beaucoup de part aux troubles de France, et que si mes secours pouvaient être utiles à la tranquillité de votre royaume, rien ne m'aurait coûté pour prouver mon attachement à votre nation et surtout à votre roi. »

Ce barbare aurait pu dire aux sages de l'assemblée :

Barbarus hic ego sum quia non intelligor illis.

On ne doit pas omettre que l'ordre de Malte, dès qu'il

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