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tout lieu de se croire tout puissant; l'encens qu'on avait brûlé partout en son honneur lui avait tourné la tête, et son vertige était excusable. Il lui eût fallu plus de génie et d'expérience qu'il n'en avait, pour approfondir le changement qui s'était déjà fait dans l'opinion publique à son sujet, et pour connaître que les Français ne le regardaient plus que comme une vieille poupée, un favori suranné.

L'enthousiasme que sa présence avait inspiré dans l'assemblée nationale, les applaudissements qu'avait reçus le discours qu'il y avait prononcé, épaissirent encore le voile qu'une vanité excessive avait mis sur ses yeux.

Après avoir reçu les plus grands honneurs à Versailles, Necker voulut aller compléter son triomphe à Paris. Cette ville cherchait,

été à la tête d'un parti. Il n'a jamais travaillé qu'en sous-ordre; il était alors le grand visir d'un sultan inconnu, qui se tenait caché dans l'ombre, et dont il récevait l'impulsion plutôt que les ordres directs. La cabale mystérieuse qui préparait tout pour une régénération politique, l'avait interposé entre elle et le peuple, pour cacher la main qui conduisait la trame; c'était un favori que l'on donnait au peuple plutôt pour l'amuser que pour le gouverner.

depuis quelques jours, à se tirer du chaos révolutionnaire, et à donner quelques formes aux autorités qu'elle s'était créées au sein du désordre. Un maire et un chef de la force armée avaient été nommés, ainsi que nous l'avons dit. On avait ensuite distribué la ville en soixante districts, qui avaient nommé chacun deux députés; tous ces députés réunis à l'Hôtel-de-Ville s'étaient constitués les représentans de la commune, et les tyrans de tous ceux qui voulaient leur disputer l'autorité. Le comité électoral avait reçu l'ordre de se, dissoudre, mais il mettait tant de lenteur dans l'exécution de cet ordre, qu'il était facile de voir qu'il obéirait le plus tard possible, et qu'il était soutenu par un parti secret.

Ce fut devant ce comité électoral que Necker parut d'abord. Énivré des acclamations populaires, il prononça un long discours où il prêchait l'oubli des injures et l'union de tous les Français. Il demanda en outre au peuple souverain la grace du baron de Bezenval, alors détenu à Nogent, et dont tout le crime était d'avoir, par ordre de la cour, recommandé au gouverneur de la Bastille de se défendre avec vigueur. Tout ce qu'il demanda fut accordé à l'unanimité, et l'on envoya de

suite un courrier pour délivrer l'infortuné baron. Enchanté de sa puissance, étourdi du bruit des acclamations, l'orgueilleux Suisse se montre au balcon; les cris, les applaudissements redoublent. Rassasié d'encens et d'adorations, Necker reprenait le chemin de Versailles, lorsqu'il apprit que la capitale était de nouveau en proie aux troubles et à la discorde. Les districts de Paris, mus par un agent invisible, venaient d'improuver tout ce qui s'était passé, de dire anathème à Necker, et d'ordonner que le baron de Bezenval resterait en prison jusqu'à ce qu'il fut définitivement jugé. L'assemblée nationale confirma, par un décret, les décisions des districts de Paris; le grand visir est renversé du piédestal où l'engouement et le délire l'avaient élevé. Surpris comme d'un coup de foudre, il cherche en vain à rallier des partisans qui n'étaient que ceux de sa fortune; sa popularité, son crédit, s'évanouissent et ses autels sont déserts; et ses flatteurs les plus empressés sont les premiers à couvrir son nom d'opprobre.

La tranquillité de Paris ne pouvait que déplaire aux factieux qui avaient besoin de séditions continuelles seconder leurs propour jets. On sema de l'argent, on augmenta le

nombre de ces brigands en haillons, dont on comptait déjà plus de vingt-cinq mille dans Paris. Ces hommes à figure sinistre semaient la terreur dans les faubourgs dont ils rançonnaient les habitants. Ils ne cessaient de demander du pain, et l'on voyait leurs mains remplies de pièces d'or et d'argent. Pour calmer leur fureur, le maire de Paris, depuis quelque temps, leur faisait donner par jour, à chacun, trente sous. Ils en devinrent plus hardis, et se mirent à piller les boutiques. L'alarme est générale; on court à la municipalité pour demander que ces bandits soient renvoyés chez eux; le maire fait de prudentes observations, les districts se prononçent avec fermeté. Trente mille jeunes gens, l'élite de Paris, s'offrent pour les chasser de la capitale; on accepte leurs services, ils marchent vers Montmartre où ces brigands s'étaient retranchés. Ces derniers veulent se défendre, il était évident que la faction qui les avait appelés cherchait à les protéger. Une légère escarmouche s'engage, trente brigands mordent la poussière; les autres capitulent. On décide qu'ils sortiront de Paris par bande de quinze cents hommes. On avait pris cette précaution pour ne pas exposer les provinces au pillage,

elle était fort sage; mais il fallait donner une escorte à ces bandits, et cette négligence la rendit inutile.

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