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blâmé. Il est vrai que Charles sut confondre et punir les factieux, au lieu que Louis en fut la victime; mais les suites heureuses ou funestes d'une action nécessaire ne peuvent motiver ni le blâme ni la louange; on est justifié dès qu'on n'a pu agir autrement.

Le roi met la tête à la fenêtre; le peuple lui voit la cocarde tricolore au chapeau; il entend les acclamations des électeurs, il y mêle aussitôt les siennes. Aux cris séditieux ont succédé ceux de vive le roi. Le tumulte fest calmé, les meneurs ont donné le signal de l'approbation le peuple, en vrai singe, applaudit et donne tous les signes d'une joie excessive, avec la même docilité qu'il eût crié à mort, si les maitres eussent cherché à exciter sa fureur. Tout Paris est dans l'ivresse, parce que le roi a changé de cocarde.

Ces vives acclamations furent suivies de compliments plus réguliers. M. Moreau de SaintMéry, le même qui a été depuis conseiller d'état lors du gouvernement consulaire, prononça un discours où l'on remarqua ce passage : « Sire, ce peuple qu'on a osé calomnier

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1 L'auteur de cette histoire a connu particulièrement M. Moreau de Saint-Méry, d'abord au Musée, et ensuite à la Société libre des sciences, belles-lettres et arts

devant vous, n'a jamais cessé de vous aimer. Votre règne sera l'époque de la liberté, et si le trône des rois n'est jamais plus solide que lorsqu'il a pour base l'amour et la fidélité des peuples, le vôtre est inébranlable. »>

Un autre électeur proposa d'élever dans Paris un monument au roi, et de le proclamer le père du peuple et le restaurateur de la li berté française.

M. de Lally-Tollendal, un des membres de l'assemblée constituante, qui se trouvait à l'Hôtel-de-Ville, prit aussi la parole: «< Le voilà, citoyens, s'écria-t-il, ce roi que vos cœurs appelaient, et que vous avez tant désiré de voir au milieu de vous. Le voilà, ce roi qui vous a rendu vos franchises nationales, et qui veut qu'elles reposent sur des bases inébranlables... C'est à vous de lui prouver, par votre amour

de Paris; il était en cette ville pendant les troubles de 1789. Il peut assurer que M. Moreau a paru toujours être attaché à la personne du roi. Il avait long-temps habité l'île de Saint-Domingue, et avait eu des relations très étendues avec les États-Unis. C'est à ces relations qu'il a dû sans doute ce vif attachement pour la liberté, qui le fit compter, en 1789, au nombre des partisans de la révolution. On peut dire que sa tête fut égarée quelques instants, mais que son cœur fut constamment ami de l'ordre et de la vertu.

et par votre dévouement, qu'il a acquis mille fois plus de puissance qu'il n'a voulu en sacrifier: et vous, sire, vous les voyez ces sujets généreux et sensibles qui vous idolatrent; examinez leur maintien, pénétrez dans leur cœur, vous n'y verrez que l'expression de l'amour et de la fidélité; il n'en est pas un seul qui ne soit prêt à répandre pour vous jusqu'à la dernière goutte de son sang. Périssent les hommes pervers qui pourraient, par des insinuations coupables, calomnier encore les sentiments d'une nation généreuse et fidèle à un roi juste et bon, qui, ne voulant plus rien devoir à la force, devra tout à ses vertus! >>

Deux fois le roi voulut parler, mais il n'était point encore revenu du saisissement qu'il avait éprouvé; la parole expira sur ses lèvres, il ne peut dire que ces mots : « J'ai toujours aimé mon peuple, et je compte sur son

amour. >>

Enfin on lui permit de se retirer; il remonte en voiture, aux cris de vive le roi. Plus de clameurs séditieuses, plus d'armes menaçantes; il retourne paisiblement à Versailles, où il rapporte, avec une nouvelle cocarde, le souvenir de tous les dangers auxquels il vient d'échapper comme par miracle.

Le parlement de Paris était tombé dans l'obscurité la plus profonde; le coup qui avait frappé la monarchie au cœur, l'avait anéanti. Ce corps autrefois si puissant, tant qu'il avait été l'organe de l'autorité royale, n'était plus, depuis son isolement, qu'un malade agonisant prêt à rendre le dernier soupir. Au bruit des acclamations des Parisiens, il parut se ranimer un instant; voici son arrêté voici son arrêté que l'on fut étonné d'entendre crier dans les rues:

« La cour, instruite par la réponse du roi, du jour d'hier, à l'assemblée nationale, de l'ordre donné aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles, a arrêté que M. le premier président se transportera à l'instant pardevant ledit seigneur roi, à l'effet de le remercier des preuves qu'il vient de donner de son amour pour ses peuples, et de sa confiance dans les représentans, dont le zèle et le patriotisme ont contribué à ramener la tranquillité publique; M. le premier président fera part de l'arrêté de ce jour à l'assemblée nationale. »

Cet arrêté excita l'indignation des amis de la monarchie, et le mépris de ses ennemis. Les premiers virent avec peine le parlement reconnaître une autorité bâtarde, dont le pre

mier coup d'essai avait été d'engloutir Paris, et de forcer les princes du sang et la meilleure partie des nobles à s'exiler du royaume; les derniers ne virent dans l'arrêté qu'un hommage dicté par la peur; d'autres trouvèrent mauvais que le parlement, tout en flattant avec bassesse l'assemblée nationale, mît une espèce de distinction entre les deux pouvoirs, en ordonnant à son président de se rendre auprès du roi, et de se borner à écrire au président de la diète souveraine. Par un aveuglement inconcevable, on vit des pairs. de France déclamer avec force contre un corps dont ils faisaient partie, et, sans lequel ils n'étaient plus que de simples particuliers. Le parlement, vilipendé de tous côtés, prit le parti de se taire tout à fait.

Necker se croyait encore l'idole de la France; on avait porté à Paris son effigie en triomphe, son nom avait été invoqué par tous les factieux, comme celui d'un dieu tutélaire; en rentrant en France, il avait joui des respects, de la tendresse et de l'adoration que des rebelles ont, dans la première chaleur de la révolte, pour leur-guide suprême ; il avait done

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On ne veut point dire par-là que Necker ait jamais

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