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il importe à mon bonheur de prouver au roi et à la nation française que rien ne peut ralentir un zèle qui fait depuis si long-temps l'intérêt de ma vie. »

Cependant l'insurrection parisienne recevait du pouvoir électoral une organisation plus régulière; les milices y étaient sur un pied respectable. On venait de nommer M. Bailly, le même qui avait présidé l'assemblée nationale, maire de Paris; M. de La Fayette avait été choisi pour commander la garde nationale. La scène touchante qui venait de se passer à Versailles avait fait sur les Parisiens une vive impression. Les uns voulaient que le monarque vint à Paris pour se réconcilier avec son peuple; les autres exprimaient le même vœu par des motifs bien différents. Les premiers ne voulaient que triompher de la majesté royale, en la faisant en quelque manière passer sous le joug; les autres espéraient qu'au milieu du tumulte inséparable. d'une pareille visite, ils pourraient exécuter de sinistres desseins.

Des groupes se forment au Palais-Royal, ils demandent le roi à grands cris; dix mille gardes nationaux sont à Sèvres qui expriment le même vœu, et protestent, avec menace,

que s'il ne vient pas, ils iront le chercher. Jamais la position du monarque n'avait été plus critique. Il n'avait que deux partis à prendre, celui de tâcher avec ses gardes de s'ouvrir un chemin vers les frontières, ou celui de se mettre désarmé entre les mains d'une populace furieuse, qui venait de promener dans Paris de sanglants trophées, et que l'impunité avait rendue plus audacieuse et plus barbare.

Louis XVI, fort du témoignage de sa conscience, choisit le dernier de ces partis; malgré les larmes et les représentations de sa femme, de sa sœur, de ses parents et de ses amis, il monte en voiture avec MM. d'Estaing, de Beauveau, de Villeroi, de Villequier; escorté de cinquante gardes-du-corps, il prend la route de Paris. Dès qu'il est arrivé à Sèvres, les gardes nationaux s'emparent de la voiture, désarment les gardes-du-corps, et leur défendent, sous peine de mort, de s'en approcher. Voici quel fut l'ordre du cortége.

Trois cents Parisiens armés de piques ou de fusils ouvraient la marche; quatre pièces de canon précédaient la voiture du roi, quatre autres pièces la suivaient; une foule innombrable armée fermait la marche. On voyait,

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à travers cette foule, errer quelques gardesdu-corps à cheval, mais désarmés, qui bravaient la mort pour signaler leur fidélité, et qui, malgré les invectives et les menaces d'un peuple en fureur, tâchaient de s'approcher le plus possible de la voiture du roi, pour lui faire au besoin un rempart de leurs corps.

Le cortége défilait entre deux haies de la garde nationale, dont le maintien était brusque, farouche, insolent, et qui faisait retentir les airs des cris de vive la nation. En arrivant à la barrière, on fit halte. Le nouveau maire de Paris, revêtu d'une écharpe aux trois couleurs, complimenta le roi prisonnier, et par une sanglante ironie, le compara à Henri IV faisant son entrée dans la capitale après avoir abattu la ligue. Il lui observa avec maladresse ou malignité, que Henri IV avait conquis son peuple, au lieu qu'ici c'était le peuple qui venait de conquérir son roi. Cette harangue avait été suivie du cri de vive la nation, prononcé par tant de voix et avec tant de chaleur, que le monarque en fut étourdi, et ne sut guère que répondre à un si étrange compli

ment.

Cependant le cortége continue sa route; des cris séditieux se font entendre, un coup

de fusil est dirigé sur la voiture du monarque et n'atteint personne : il était temps que l'on arrivât à l'Hôtel-de-Ville. Le roi descend de voiture, et monte l'escalier couvert d'une voûte de fer formée par les baïonnettes des gardes nationaux; le moindre ordre, le moindre signal, eût perdu sans ressource ce prince infortuné. Cet escalier était le même où MM. de Launay, de Flesselles, et autres, victimes de la rage populaire, avaient été immolés trois jours auparavant, et leur sang rougissait encore ses degrés.

Le roi, pour s'arracher sans doute à ces réflexions pénibles, monte l'escalier avec rapidité; le voilà dans la salle municipale, prêt à subir l'arrêt que vont prononcer des rebelles devenus souverains.

Au nombre des électeurs présens à l'Hôtelde-Ville se trouvaient quelques hommes plutôt séduits que pervers, aimant la liberté par système, et chérissant leur roi par sentiment; ils auraient voulu changer les bases de la monarchie, mais sans toucher à la personne sacrée du monarque. Un grand nombre de membres de l'assemblée nationale se trouvaient aussi à l'Hôtel-de-Ville; les uns avaient de bonnes intentions; les autres sentaient parfaitement

qué la moindre violence que l'on ferait au roi leur attirerait l'indignation de la France entière, et les mettrait eux-mêmes sous le joug des factieux. Ils réussirent à calmer les esprits, et à faire ajourner les sinistres desseins des ennemis du trône.

I

Le roi n'en fut pas moins exposé à une épreuve bien pénible et bien humiliante. Un nouveau Marcel lui présenta les couleurs de la sédition; il fallut que le descendant de saint Louis renoncât au lys héréditaire, pour attacher à son chapeau la cocarde tricolore. Ceux qui l'ont blàmé de cette condescendance n'ont pas réfléchi que le moindre refus l'eût exposé à une mort inévitable. Le plus sage de nos rois, Charles V, en fit autant en pareille circonstance, et jamais il n'en a été

En 1357, un factieux de Paris, nommé Marcel, eut l'insolence, dans une sédition, de s'emparer du chaperon du dauphin, qui était de brunette noire avec un orfroy d'or; il le mit sur sa tête, et donna au prince son propre chaperon qui était mi-parti. Ce signe des factieux sauva le dauphin, mais Marcel n'en fut pas moins mis à mort quelque temps après. C'est le sort qui paraît réservé à tous les chefs de factions; le même peuple qu'ils ont soulevé contre leur prince, est le premier à demander leur supplice. Que de Marcels l'ont éprouvé en 1793! Puisse cette leçon n'être pas perdue pour leurs imita

leurs!

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