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les électeurs, sans leur demander compte de leur usurpation coupable. On exalta le triomphe des Parisiens, sans exprimer l'horreur que tant de scènes sanglantes devaient naturellement inspirer; on vanta le patriotisme des gardes françaises, sans songer que tout pays, où le militaire viole l'obéissance et la discipline, tombe nécessairement sous le despotisme du sabre..

Cette assemblée, formée de l'élite de la nation française, et qui prétend la représenter toute entière, oublie ce qu'elle doit au royaume, ce qu'elle se doit à elle-même, Aucune parole de paix n'est proférée, aucune remontrance n'est faite aux violateurs des lois, aucune menace ne vient intimider les factieux. On ne pense pas même à envoyer une députation à Paris, pour calmer un peuple irrité, et lui parler, au nom de la nation, le langage de la raison et de l'humanité. On dirait que l'assemblée a conseillé tous les crimes qu'elle vient d'apprendre. Un de ses membres, Mirabeau, se lève, et prononce un discours véhément, dans lequel il semble approuver toutes ces horreurs et en provoquer de nouvelles. Ce discours fut applaudi, par les partisans de l'orateur, avec cette espèce

de rage que témoignent les sauvages de l'Amérique, lorsqu'ils s'apprêtent à dévorer leurs prisonniers. Les autres députés gardaient un morne silence; la terreur les avait glacés. Prélats, nobles, simples bourgeois, tous craignaient le sort des de Launay, des Flesselles; tous songeaient, en eux-mêmes, aux moyens de s'isoler d'un trône qui tombait en ruines, et qui pouvait les ensevelir sous ses débais. Deux députations sont envoyées au roi, pour demander des gardes nationales, et se plaindre des militaires qui avaient, disait-on, maltraité des Parisiens. « Il n'est pas possible, répond le monarque, que les ordres qui ont été donnés aux troupes aient amené les troubles dont vous vous plaignez. » Le roi se trompait; car on peut dire que des soldats, qui se bornent à être les témoins de rixes et de séditions qu'ils pourraient empêcher en se servant de leurs armes, sont eux-mêmes cause des malheurs qui en résultent.

Les deux électeurs que l'on avait envoyés en députation à Paris, ne cessaient de demander à l'assemblée une réponse. Leur but était de faire reconnaître leur autorité usurpée, et de se mettre à couvert des poursuites judiciaires que méritaient leurs attentats. Ils vou

laient, dans le cas où l'ordre se rétablirait, pouvoir dire à leurs juges et au public: Nous avons agi par l'ordre des représentants de la nation; ils nous ont reconnus d'une manière formelle, et leur reconnaissance est pour nous un brevet d'impunité.

Voici la réponse que l'assemblée remit à ces deux députés :

« L'assemblée nationale, profondément affectée des malheurs qu'elle n'avait que trop prévus, n'a cessé de demander la retraite entière et absolue des troupes extraordinairement rassemblées dans la capitale et aux environs ; elle a encore envoyé dans ce jour deux députations au roi sur cet objet, dont elle ne cesse de s'occuper nuit et jour. Elle fait part aux électeurs des deux réponses qu'elle a reçues; elle renouvellera demain les mêmes démarches, elle les fera plus pressantes encore, s'il est possible; elle ne cessera de les répéter et de tenter de nouveaux efforts, jusqu'à ce qu'elle eût eu le succès qu'elle a droit d'attendre, et de la justice de sa réclamation et du cœur du roi, lorsque des impressions étrangères n'en arrêteront pas les mouve

ments. >>

La France entière fut surprise de voir une

assemblée souveraine chercher à se justifier aux yeux d'une bande de factieux qu'elle auraît dû punir; mais ceux qui étaient dans le secret ne s'étonnèrent point du ton humble et amical qui régnait dans cette réponse. Un bon nombre de ces prétendus souverains n'étaient que les complices d'une faction; d'autres, par crainte, s'en étaient faits les valets. Le roi seul n'était craint de personne; aussi avait-on la lâcheté de le dénigrer aux yeux du peuple, et de le désigner pour victime aux poignards des bandits.

Paris était toujours dans l'ivresse de sa victoire. La prise d'un fort que l'on n'avait ni assiégé ni défendu, et où l'on était entré par trahison et sans coup férir, paraissait aux badauds un magnifique exploit. On envoya dans toute l'Europe des plans de la Bastille, avec la relation controuvée de ce siége, où la va leur parisienne s'était montrée, disait-on, dans tout son éclat. Cet impudent mensonge réussit, malgré sa grossièreté, à un tel point que l'architecte Palloi, après avoir démoli la Bastille, vendit une partie des pierres aux étrangers, qui les gardèrent avec soin comme des monuments précieux; ils n'eussent pas conservé plus religieusement les pierres du temple de Salomon.

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Il faut ajouter que le peuple français n'avait pas plus à redouter la Bastille que les sept tours de Constantinople. Exclusivement consacrée aux criminels d'état, les prisonniers y étaient bien soignés et bien nourris, et son régime intérieur, que Linguet nous a peint sous des couleurs si sombres, n'était pas plus rigoureux que celui des autres prisons du royaume. On peut dire même que cette forteresse, comparée aux cent mille bastilles que la philosophie triomphante éleva depuis, pour renfermer tous les Français suspects d'aimer Dieu, le roi et la vertu, était un lieu de paix et de délices.

La prise de la Bastille avait épouvanté la cour, mais la nouvelle des mauvaises dispositions de l'armée et de la révolte du régiment de Vintimille, qui s'était presque entièrement réuni aux parisiens, produisit sur elle l'effet de la tête de Méduse. Elle perdit dès lors tout ce qui lui restait de courage et d'énergie. Des bruits sinistres circulaient dans le château; on voulait, disait-on, proclamer lieutenant-général de la couronne le duc d'Orléans; on voulait mettre à prix la tête du comte d'Artois. Quelques vrais amis du roi 'Les factieux, pour perdre ce prince, dont ils redou

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