Page images
PDF
EPUB

que l'on ne pouvait prendre sans un siége régulier, les mutins cherchèrent à parlementer. De Launay eut l'imprudence d'y consentir; un avocat de Paris, nommé la Rosière, entre dans la place, et se promène quelque temps avec le gouverneur, le combat est suspendu. La Rosière fait signe qu'il ne peut rien obtenir; on propose une nouvelle députation,. mais on cachait des intentions perfides. Au moment où le pont se baisse, des soldats se précipitent dans la cour; on veut lever le pont: il est trop tard, la Bastille est prise.

Quelques forcenés cherchent le gouverneur, qui a pris la fuite. L'un d'eux le trouve enfin et le saisissant au collet, il le conduit à l'Hôtel-de-Ville, malgré ses plaintes et ses réclamations. On emmène avec lui M. de Persan, lieutenant de la compagnie des invalides, et M. de Lorme, major de la place, militaire distingué, respecté et chéri des prisonniers, dont il était le père. Il serait difficile de peindre tous les outrages et les mauvais traitements auxquels furent en butte ces trois officiers pendant le trajet de la Bastille à l'Hôtel-de-Ville. Accablés de coups, couverts d'ordures et de crachats, ils eussent été mis en pièces, si les baïonnettes des gardes qui

les conduisaient n'en eussent imposé à ces furieux.

Cependant on arrive sur la place de Grève, où se trouve une foule innombrable, qui, dès qu'elle aperçoit les victimes, s'écrie : à mort, à mort. Les gardes les placent au milieu de leur escouade, et déclarent qu'ils feront feu sur les mutins, s'ils veulent leur arracher des prisonniers qu'ils ont ordre de mener devant les magistrats du peuple. Retenus un instant, ces monstres bravent bientôt toutes les menaces et s'élancent sur le malheureux de Eaunay au moment où il mettait le pied sur l'es calier de l'Hôtel-de-Ville; ils le percent dé coups et tournent ensuite leur fureur sur le major de Lörme. Ce dernier trouve deux bra ves défenseurs, MM. de Jean et de Bellepont, qui avaient été ses prisonniers à la Bastille et qu'il avait comblés de bienfaits. Leurs efforts réunis arrêtent quelque temps la rage des as sassins; enfin, épuisés de fatigue, ils tombent, et le moment de leur chute devient celui de la mort du major, qui expire sous la haché d'un boucher. M. de Persan, plus heureux, entra avec les gardes dans l'Hôtel-de-Ville; il y attendit la nuit et s'échappa sain et sauf. Deux invalides et trois Suisses furent pendus

à une lanterne, supplice qui devint à la mode, et fut employé jusqu'à l'invention de la guillotine.

-

Les deux autorités rivales, c'est-à-dire les échevins et les électeurs, étaient assemblées à l'Hôtel-de-Ville, sous la présidence de M. de Flesselles, prévôt des marchands, pendant qu'on massacrait les prisonniers au bas de l'escalier. L'horreur que de pareils forfaits ne pouvaient manquer d'inspirer à un honnête homme, se peignit sur la figure du président, il pâlit, il tremble, il chancelle; un électeur, témoin de son trouble, lui dit: «Vous ́avez trahi la patrie, rendez compte de votre conduite. Je sens qu'effectivement ma présence doit paraître déplacée, je me retiré, messieurs, répond Flesselles,» et il gagne l'escalier.. Une foule de brigands l'entourent. - Rendez compte de votre conduite. Venez chez moi, ce lien n'est pas propre à une explication.» On ne cherchait qu'un prétexte pour l'immoler; on le presse, on le pousse, on le maltraite, il tombe, près de l'arcade Saint-Jean. Un scélérat lui brûle la cervelle, en lui disant: «<Traitre, tu n'iras pas plus loin. Sa tête est bientôt portée au bout d'une pique, entre celles des officiers de la Bastille. Ainsi périt le

premier magistrat de Paris, massacré sur le reproche vague d'un électeur. Tous les honnêtes gens frémirent à cet affreux témoignage de la rage populaire; ils virent à quoi tenait la

vie d'un homme de bien 1.

Je n'entreprendrai point de suivre, dans l'intérieur de la Bastille, les furieux qui s'en étaient rendus les maîtres. Après l'avoir pillé, ils voulurent mettre le feu à cet immense bâmais la crainte de faire sauter l'arsenal les arrêta.

timent;

Au moment de la prise de la Bastille, le commandant de l'armée stationnée au Champ

Il convient de rapporter ici la mort tragique de M. Pinet, riche banquier de Paris; il avait promis au roi de lui dévoiler tous les secrets des accapareurs des grains, et de faire garnir les marchés de la capitale de manière à la garantir de la famine. De pareils services eussent été inappréciables dans la position déplorable où se trouvaient le monarque et la monarchie; les factieux, avec lesquels il avait eu d'étroites liaisons, apprirent son changement politique, et, pour lui fermer la bouche, ils lui firent brûler la cervelle par des scélérats qu'ils avaient eu l'impudeur de revêtir de la livrée de la reine. On a prétendu qu'il avait remis son portefeuille entre les mains d'un prince, et qu'au moment où il le lui avait redemandé, ce dernier l'avait fait assassiner. Ce fait n'a jamais été prouvé, mais tout porte à croire que sa mort fut l'effet d'un calcul politique et financier.

[ocr errors]

de-Mars fit un mouvement tardif pour sauver cette forteresse, que, par une imprévoyance bien coupable, on avait abandonnée presque sans défense aux factieux. Des cavaliers accourent au galop, mais la foule les arrête; on les flatte, on les caresse, on leur offre du vin en criant: la paix, la paix. Après quelque hésitation, ils s'écrient qu'ils ne tireront pas sur le peuple; on les ramène en triomphe au Champ-de-Mars; le roi n'a plus d'armée, elle est toute à la nation, c'est-à-dire aux séditieux...

Ce jour même, par une inconcevable fatalité, la reine donna un bal brillant, auquel toute la cour assista. Ainsi, tandis que Paris était livré au carnage, on dansait à Versailles.

L'assemblée nationale était depuis deux jours dans l'anxiété; elle attendait impatiemment le résultat de Pinsurrection parisienne comme l'arrêt de sa destinée. Deux électeurs de Paris viennent enfin, dans la soirée du 14, calmer ses inquiétudes en lui apprenant la victoire des factieux, la prise de la Bastille, et la mort de M. de Launay, de Lorme et de Flesselles. Cette heureuse nouvelle fit rentrer la joie dans ces coeurs coupables. On félicita

« PreviousContinue »