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sons, pour y chercher des recrues; ils sont devant l'hôtel de la Force. Cette prison était défendue par un détachement de soixante hommes, commandés par un officier. Celui-ci s'attendait à être attaqué, et avait écrit au baron de Bezenval, pour lui demander des renforts. On lui répondit qu'il n'avait qu'un parti à prendre, celui de se sauver avec ses gens, et de quitter son poste, ce que l'officier ne manqua pas de faire aussitôt.

Les brigands, ne trouvant aucune résistance, délivrent les prisonniers, au nombre des quels se trouvent quatre-vingts filles publiques. On court aux autres prisons, où l'on agit de la même manière. Les détenus au Châtelet veulent prévenir le moment de leur mise en liberté; ils s'arment de bâtons, de couteaux, des pierres et pavés de la prison, et déclarent la guerre au concierge et aux guichetiers; ceux-ci mettent la tête aux fenêtres qui donnaient sur la rue, et poussent des cris affreux. Les brigands, qui accouraient pour délivrer les prisonniers, apprennent qu'ils sont en insurrection: par un de ces mouvements subits du cœur humain dont il est impossible d'expliquer la cause, la rage des brigands se tourne contre les prisonniers. Ils entrent dans le Châ

telet, massacrent une partie des insurgés, et mettent les autres, chargés de fers, dans des cachots.

Pendant que la capitale était en proie aux plus horribles désastres, l'assemblée nationale, au lieu de s'attacher à calmer l'effervescence des esprits, et à raffermir le dernier anneau du pacte social prêt à se rompre, s'occupait à discuter une déclaration des droits de l'homme, où l'on posait en principe que l'insurrection était le plus saint des devoirs. Le duc d'Aiguillon lui fait observer l'inconvenance d'une pareille discussion; on s'occupe enfin de ce qui se passe à Paris, on arrête qu'une députation sera envoyée au roi, et qu'une autre partira pour la capitale pour inviter le peuple à la paix.

La première a pour orateur l'archevêque de Vienne : elle demande au roi le renvoi des troupes de ligne et la formation des gardes nationales dans tout le royaume. Le roi refuse les deux propositions de la manière la plus formelle. En renvoyant ses régiments, il demeurait sans défense à la merci des factieux; en établissant des gardes urbaines, il créait une armée dont ses ennemis auraient la direction, et qui serait dévouée à la faction dominante.

Le refus du roi excite l'indignation de l'as→ semblée. Elle venait d'être instruite du succès des révolutionnaires à Paris, et du mépris où étaient tombées des troupes dont on enchaînait l'activité et le courage. Désormais sûre de la victoire, elle prend l'arrêté suivant:

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« L'assemblée nationale, interprète de la nation, déclare que M. Necker, ainsi que les autres ministres qui viennent d'être éloignés, cmportent avec eux son estime et ses regrets. Déclare, qu'effrayée des suites funestes que peut entraîner la réponse du roi, elle ne cessera d'insister sur l'éloignement des troupes extraordinairement rassemblées près de Paris et de Versailles, et sur l'établissement des gardes bourgeoises.

<< Déclare de nouveau, qu'il ne peut exister d'intermédiaire entre le roi et l'assemblée nationale; déclare que les ministres et les agents civils et militaires de l'autorité sont responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l'assemblée. Déclare que les ministres actuels et les conseils de S. M., de quelque rang et état qu'ils puissent être, ou quelques fonctions qu'ils puissent avoir, sont personnellement responsables des malheurs présents et de tous ceux qui peuvent suivre.

« Déclare que la dette publique, ayant été mise sous la sauve-garde de l'honneur et de la loyauté française, et la nation ne refusant pas d'en payer les intérêts, nul pouvoir n'a le droit de prononcer l'infàme mot de banqueroute, et de manquer à la foi publique, sous quelque forme et dénomination que ce puisse être.

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Enfin, l'assemblée déclare qu'elle persiste dans ses précédents arrêtés, et notamment dans ceux des 17, 20 et 23 juin dernier. La présente délibération sera remise au roi par le président de l'assemblée, et publiée par la voix de l'impression. >>

Cette déclaration avait pour but d'intimider le roi, en lui faisant voir quels étaient le pouvoir et l'énergie de l'assemblée, et de l'avilir aux yeux de la nation en le faisant soupçonner du dessein d'une banqueroute générale. Il était manifeste qu'elle voulait se créer une armée sous le nom de garde nationale et faire prononcer en sa faveur la classe nombreuse des rentiers. Nous allons la voir réussir dans ces deux desseins, nous verrons les rentiers courir à leur ruine et à la banqueroute, en se déclarant les ennemis du pouvoir légitime qui pouvait seul les en préserver.:

A la lecture de cet arrêté séditieux, le roi ne fut pas ému; il interrompit même deux fois, avec fierté, le président, pour lui dire qu'il ne reconnaissait point d'assemblée nationale, mais bien des états-généraux. La cour avait encore quelque espoir de succès, elle pouvait encore triompher, mais il fallait agir avec vigueur, ce qui paraissait être au-dessus. de ses forces.

Quoi qu'il en soit, le roi répond à la déclaration de guerre de l'assemblée, en faisant entourer la salle par des soldats et par des canons. L'assemblée se déclare en permanence et passe la nuit dans la salle. Le moment de la crise est arrivé; le sort de la monarchie dépend des mouvements de Paris. De part et d'autre on fait partir, de deux heures en deux heures, des émissaires: mais la cour n'envoie point d'ordres pour agir; elle se flatte de vaincre sans livrer de combat. On dirait qu'un mauvais génie tient les épées de ses défenseurs clouées dans leurs fourreaux.

Cependant le prévôt des marchands et les échevins sont rassemblés à l'Hôtel-de-Ville de Paris, et veulent donner des ordres; le peuple ne veut plus entendre la voix de ses magistrats, il ne suit plus que la direction d'une

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