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Les réflexions qui terminent le beau travail de M. Meyer sont trop éloquentes et dénotent des sentiments trop élevés pour que nous ne nous y arrêtions pas. M. Meyer se laisse aller à cette espérance, que sous l'influence de la loi du progrès, qui semble pousser l'humanité, comme par une force mystérieuse, vers des destinées meilleures, les grandes guerres, ce fléau détesté des mères, les terribles épidémies iront rejoindre dans la nuit des temps l'esclavage, les jugements de Dieu, les auto-da-fé et la torture. Cette espérance, il la partage avec un grand penseur de notre siècle, qui terminait, il y a un an environ, sa glorieuse carrière. On vous a cependant laissés sur cette pensée qu'il ne fallait pas moins nous préparer avec ardeur à jouer héroïquement notre rôle dans les dernières luttes armées qui présideront, en Europe, au groupement des peuples, à défendre avec amour notre noble et grande patrie!

La discussion de cet important travail est venue à une séance dont vous avez tous gardé le souvenir. MM. Monod, préfet du Calvados, Dalmbert, conseiller à la Cour de Rouen, les docteurs Dechambre, Martin, Gibert, Launay, nous avaient fait l'honneur d'y assister.

M. Meyer prit la parole et exposa brièvement l'économie générale de son rapport.

M. le Préfet Monod, dont la compétence sur ces questions d'hygiène est connue et appréciée de tous, s'empressa de déclarer qu'en ce qui concernait les réformes à introduire dans la partie de la législation sanitaire qui a pour but de nous défendre contre les épidémies étrangères, il se ralliait absolument aux idées émises par M. Meyer. Pour les réformes à apporter à la législation sanitaire de l'intérieur du pays, M. Monod estimait qu'on devait faire davantage. Il fallait, suivant lui, intéresser l'opinion publique à cette question primordiale; présenter aux Chambres un projet d'ensemble définissant net

tement les devoirs et les responsabilités de chacun; créer, en un mot, un véritable code de notre législation sanitaire à l'intérieur.

Ces idées émises avec chaleur et développées avec éloquence, firent impression sur beaucoup d'entre nous. Mais que répondre à cette réplique décisive de M. Meyer: Il est à craindre que l'on ait bien de la peine à faire voter une loi d'ensemble par le pouvoir législatif. La discussion de cette loi demandera des années; nous n'avons pas le temps d'attendre, car l'épidémie nous menace sans cesse. Entreprenons d'abord les réformes pratiques et immédiatement réalisables, ce sera un premier pas; l'avenir donnera ensuite satisfaction aux désirs de M. Monod!

M. le Préfet du Calvados fut convaincu et avec lui toute la Société qui adopta les différents articles des conclusions du rapport de M. Meyer.

Nous avons eu, je crois, la bonne fortune de rencontrer dans cette question de la police sanitaire l'idée juste et vraie. Il faut nous attacher à la faire triompher; nous ne devrons négliger aucune des occasions qui nous seront offertes de frapper bien fort à la porte des pouvoirs publics, pour qu'on introduise dans notre législation les réformes que nous avons adoptées dans l'intérêt de la santé publique et de la prospérité du pays.

Pendant les mois de l'été, la Société n'a peut-être pas eu une vie aussi active qu'aux débuts de l'année. Nous devons cependant à M. Joyau, membre correspondant et professeur de philosophie au Lycée d'Angoulême, le plaisir d'avoir occupé une de nos séances, en fixant notre attention sur un sujet dont l'intérêt ne peut échapper à aucun de nous.

La Liberté morale chez les Hindous, telle est la question que traite M. Joyau! Comment cette liberté est-elle envisagée dans une des religions les plus répandues de la

terre, le Boudhisme, qui est la religion de l'Inde? Qu'en pensent les philosophes et les sages de ce pays, où les traditions historiques et la critique moderne semblent devoir placer le berceau de l'humanité? Autant de questions qui gagnent à être traitées et élucidées par un homme de la valeur de notre membre correspondant.

La métaphysique des Hindous est panthéiste dans son ensemble, fait remarquer M. Joyau. Les explications qu'ils donnent sur l'origine et les destinées du monde semblent avoir pour conséquence logique et irréfutable la négation de la liberté morale. C'est Brahma, affirment leurs prêtres, qui vit et se développe en tous; les apparences contraires sont passagères. Toutes les âmes vont se confondre et s'abîmer dans lui, il est le commencement et la fin. Et comme on vous l'a dit, là où la réalité des existences individuelles est niée à priori, on ne saurait trouver une théorie de la liberté morale.

Gardons-nous de croire, toutefois, que leurs livres ne soient point remplis de très beaux préceptes, qui supposent admise cette liberté morale. Ils contiennent mème d'admirables maximes. La lutte qu'il faut soutenir pour s'y conformer, pour triompher de ses passions, les récom penses qui attendent les bons, les châtiments réservés aux méchants dans une suite de migrations, tout cela est analysé et décrit.

Leurs doctrines métaphysiques, conclut M. Joyau, ne sont point d'accord avec leurs doctrines morales.

Faut-il s'en étonner? Quand il s'agit de pénétrer le mystère de nos origines et de nos destinées, de saisir l'ensemble du plan divin, notre esprit s'égare facilement, comme s'il était transporté dans une région lointaine et confuse, où les lumières vacillantes de la raison ne peuvent plus le guider sûrement! D'illustres voyageurs ont tenté cependant d'explorer cette région! Vous citerai-je Platon, St-Augustin, Descartes, Spinoza, Kant,

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Spencer. Ils en sont revenus avec des idées opposées, des systèmes différents, et leurs disciples ont discuté et discutent encore sans qu'il y ait apparence qu'on puisse les concilier.

Et puis, quand ces grands génies qui n'avaient pu se rencontrer sur le terrain de la métaphysique traitent de morale, ils tombent d'accord comme par enchantement. Ne serait-ce point que la notion du bien et du mal s'éveille dans le cœur de tout homme, grandit et se développe avec lui, sans pouvoir jamais s'effacer entièrement? Oui, quand les actes dévient trop souvent, cette notion s'altè: e; les souillures du cœur projettent toujours une ombre plus ou moins épaisse sur l'intelligence ; jamais, cependant, la nuit n'est assez complète pour qu'on n'en puisse plus reconnaitre les traces. Les Hindous ont pu errer quand il s'est agi de métaphysique; quand ils ont traité de morale, ils ont été ramenés à la réalité, comme les philosophes de toutes les écoles, par je ne sais quelle force qui s'empare de la conscience humaine, la dompte et la maitrise et ne lui permet point de s'égarer à la suite des erreurs de la métaphysique.

Je suis peut-être quelque peu téméraire de vouloir même esquisser de pareilles questions. Un de nos plus spirituels académiciens disait, il n'y a pas bien longtemps, qu'elles sont si délicates et si peu tangibles, qu'il ne concevait pas qu'on en pût parler autrement qu'en beaux vers.

C'est ce que fait l'un d'entre nous, Messieurs, à qui la Société doit déjà plusieurs œuvres poétiques, qui font l'ornement de ses annales. M. Boucquillon, vous l'avez tous nommé, nous a donné cette année encore une de ses petites méditations poétiques où il excelle. C'est l'âme humaine exhalant ses plaintes amères, et consolée par la pensée de Celui qui veille là-Haut!

Pendant l'année 1885 vous avez aussi entendu la lec

ture d'un charmant travail de M. Vallée sur l'Influence de l'Education des Femmes à travers les âges. A une époque où l'on s'occupe tant d'instruire celles qui constituent la plus belle moitié du genre humain, il n'est pas sans intérêt de rechercher le rôle joué dans la société par les femmes qui ont su joindre aux grâces de la beauté physique et de l'imagination les solides qualités de l'intelligence. M. Vallée vous ja montré le rôle joué par ces femmes illustres qui s'appellent Mme de Staël, Mme Roland, Mme de Sévigné, et par tant d'autres dont les noms se pressent en foule dans votre mémoire et qui ont exercé la plus heureuse influence sur leurs contemporains. Notre collègue exprime le souhait que le côté esthétique soit particulièrement développé dans l'éducation qu'on se propose de donner aux jeunes filles. C'est là un souhait auquel on doit s'associer de grand cœur : les femmes ont besoin de plaire, elles y réussissent déjà; il faut tout faire pour qu'elles deviennent plus agréables et plus aimables encore.

Je ne veux pas oublier, en rendant compte de vos travaux, que sur l'initiative de la Société, et particulièrement de M. Letellier, le nom d'Edmond Morin, un aquarelliste distingué, a été inscrit sur la table des illustrations havraises qui figurent à l'Hôtel-de-Ville. Que mon collègue me permette de rappeler aussi qu'au cours de cette année 1885 les palmes d'officier d'Académie lui ont été décernées par M. le Ministre de l'Instruction publique première et juste récompense de ses nombreux travaux et de son utile dévoûment aux progrès de l'art et de la science.

Vous avez, de plus, jeté les bases d'un concours scientifique et littéraire, qui doit coïncider avec notre Exposition Maritime de 1887. Les questions en sont maintenant déterminées. Nous l'organiserons de façon à ce que son succès soit assuré, et n'en doutez pas, il produira des œuvres dignes de la Société.

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