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nous avons à lutter contre l'ivresse poussée à son dernier degré, contre l'ivresse qui ravale l'homme au-dessous de la brute, ruine les familles, ôte le pain des petits enfants, provoque la prostitution des mères. C'est à des remèdes énergiques qu'il faut recourir, c'est à des mesures quelque peu radicales qu'il convient de s'arrêter.

Vous vous souvenez qu'au moment où ces questions étaient étudiées parmi nous, M. Alglave, professeur à la Faculté de droit de Paris est venu, sur l'initiative de la Société, exposer dans une conférence publique, au Cercle Franklin, son ingénieux et séduisant système qui monopolise, au profit de l'Etat, la vente de l'alcool, en surélève considérablement le prix, de façon à servir à la fois la cause de la tempérance et celle du budget. Les théories émises par l'éminent professeur ont, comme on peut s'en rendre compte, quelques analogies avec celles qui ont inspiré le projet de M. de Bismarck au parlement allemand et ceux de M. Jules Roche au parlement français. Vous n'avez pas cru cependant devoir les adopter dans leur ensemble, et M. Levarey vous en a parfaitement donné les raisons.

Pratiquement, il paraît extrêmement difficile d'établir le système de M. Alglave, de façon à déjouer les calculs de la fraude, d'autant plus intéressée à se produire que les bénéfices en seraient considérables. On ne peut pas songer non plus, en mettant aux mains de l'Etat la vente en gros ou en détail de l'alcool, à supprimer l'une de ces deux branches de notre activité commerciale, à tarir ainsi une des sources importantes de la richesse publique et privée. En quoi d'ailleurs le monopole proposé par M. Alglave pourrait-il servir la cause de la tempérance? L'Etat chargé de la vente de l'alcool n'est pas, comme l'a dit judicieusement notre collègue, l'Etat tenté, forcé peut-être d'en accroître et d'en favoriser la consommation; l'Etat sacrifiant la cause de la tempérance à celle de l'équilibre budgétaire; l'Etat, en un mot, allant contre le but que nous nous sommes proposé!

Aussi, vous vous êtes arrêtés à une résolution qui, pour être moins radicale, ne me semble pas moins devoir être d'une efficacité réelle pour combattre les progrès de l'alcoolisme. Frappés de la différence qu'il convient de faire entre les débits d'alcool et de boissons distillées d'une part, et de l'autre de tous les débits de boissons simplement rafraîchissantes, vous avez voulu provoquer et faciliter l'établissement de ces derniers en surélevant considérablement le droit de licence de ceux de la première catégorie. Il n'y a pas à se dissimuler, en effet, que la réunion au cabaret est entrée dans nos mœurs; que vouloir la supprimer est une utopie, et que ce qu'il convient de faire c'est de la moraliser dans la mesure du possible.

L'un d'entre nous, M. Letellier, ne s'est cependant pas rallié à l'ensemble de ces idées; il est opposé à toute surélévation des droits sur l'alcool, et il faut convenir que ceux qui existent déjà sont considérables.

Aussi, pas plus que M. Levarey, M. Letellier n'admet le système de M. Alglave. Le monopole au profit de l'Etat, vous a-t-il dit, c'est un pas de plus de fait dans la voie du collectivisme, et cela au mépris des avertissements donnés par les plus grands économistes de notre époque. Il croit aussi que nous avons eu tort de transformer l'ivresse publique en un fait délictueux : elle est assurément blåmable en morale, elle ne doit pas être un délit puisqu'elle ne nuit point directement à la liberté d'autrui. C'était l'avis de beaucoup de ceux qui, en 1873, ont fait à l'Assemblée nationale la plus vive opposition à l'établissement d'une loi tendant à réprimer l'ivresse publique.

La bienfaisance, vous a dit aussi notre collègue, de la façon dont elle est pratiquée n'est que trop souvent un encouragement au vice et à l'oisiveté. C'est le travail qu'il faut organiser et assurer, autant que faire se peut,

à ceux qui n'en ont pas. Dans ce but, l'Etat et les Communes devraient réserver celui dont ils disposent pour les temps de chômage; le faire exécuter par nos nationaux à un taux sensiblement inférieur à celui qui est déterminé par la loi ordinaire de l'offre et de la demande, de façon à ce que les ouvriers puissent donner la préférence à celui qui leur est offert par les particuliers. Assurer ainsi le travail serait le remède le plus efficace contre l'alcoolisme et les autres vices.

Quoique le travail de M. Letellier ne s'inspire point des idées qui ont prévalu parmi vous, vous avez ordonné son insertion dans nos annales, à la suite du rapport de M. Levarey. C'est justice. L'étude de M. Letellier est de celles qui méritent la publicité. Et puis, je le dis à notre honneur, dans la Société havraise d'Etudes diverses on respecte le droit des minorités.

La peste est, avec l'alcoolisme, un des fféaux qui dévastent l'humanité et contre lequel les efforts de la science et de la législation doivent se coaliser. La science, de nos jours, a fait de grandes et bien belles choses: elle a fait notamment que la vie humaine se trouve dans des conditions plus hygiéniques que par le passé! Trop souvent, hélas, ces prescriptions restent lettre morte: notre législation sur la police sanitaire, qui remonte à une époque déjà lointaine, est insuffisante et n'est plus, dans tous les cas, en harmonie avec les données actuelles de la science. Compléter cette législation, la mettre en harmonie avec les récentes découvertes de la science, telle est, si je ne me trompe, la pensée qui a inspiré le remarquable travail de M. Meyer sur la police sanitaire et les réformes urgentes à y introduire.

M. Meyer vous a exposé que, d'après la loi de 1822 et le décret de 1876, qui régissent cette matière, les provenances des pays étrangers sont divisées en deux catégories, suivant que ces pays sont sains ou contaminés.

Admises facilement, dans le premier cas, à la libre pratique lorsqu'elles arrivent aux frontières de terre ou de mer, elles sont, dans le second, soumises à des quarantaines plus ou moins longues. Ces précautions sont complétées par une foule de mesures sanitaires, que l'on vous a fait connaitre avec une clarté parfaite et qui, pour la plupart, ont pour but de nous défendre contre l'importation d'une maladie sévissant à l'étranger.

L'observation de ces mesures et de ces quarantainės est garantie par une pénalité tellement sévère, tellement draconnienne, qu'on n'ose pas l'appliquer, au grand détriment de la santé publique. La rigueur du législateur qui condamne à chaque instant à mort ou à la transportation s'est retournée contre le but qu'il avait voulu atteindre Il n'a pas été obéi.

Pour combattre la peste, lorsqu'elle sévit à l'intérieur du pays, la loi autorise les municipalités à prendre les mesures que comporte la salubrité publique, à la condition, toutefois, de ne point porter atteinte à la liberté individuelle et de respecter les propriétés, les principes, en un mot, de notre droit public. Réduite à cela, notre législation, en ce qui concerne la police sanitaire de l'intérieur du pays, est toute entière à organiser. Il faut le faire sans retard pour que la Patrie des Claude Bernard et des Pasteur ait une législation sanitaire à la hauteur de celles qui existent dans la plupart des contrées de l'Europe.

M. Meyer estime, et vous avez pensé avec lui que les quarantaines maritimes devaient être maintenues, et qu'il convenait d'adopter l'ensemble des dispositions du décret de 1876, sur les mesures destinées à nous préserver d'une épidémie étrangère. Il y a lieu, toutefois, d'abaisser encore dans la limite du possible la durée de ces quarantaines. Dans beaucoup de cas, leur durée pourrait remonter au jour où le navire a quitté le point contaminé au lieu de ne la dater qu'à l'arrivée au port de débarque

ment, si certaines conditions prescrites par les réglements à intervenir avaient été observées. Il faut surtout abaisser les rigueurs de la pénalité, remplacer la mort et la transportation par de simples peines correctionnelles, variant de 6 jours à 5 ans d'emprisonnement. Les pénalités ainsi réduites seront appliquées sans hésitation, et elles assureront plus efficacement le respect de la loi que n'ont pu le faire les anciennes, restées presque toujours lettre morte.

Lorsque l'un de ces trois fléaux, le choléra, la fièvre jaune, la peste proprement dite, ont pénétré parmi nous, convient-il de laisser au soin des municipalités, qui n'ont pas toutes à leur tête des hommes distingués, le soin de nous défendre contre une contagion qui s'étend facilement et envahit avec une extrême rapidité une contrée toute entière? Ne convient-il pas de charger de cette mission le pouvoir central, l'autorité préfectorale, nécessairement plus éclairée que beaucoup de maires de nos campagnes et même de nos villes, et plus à même de prendre les mesures indispensables à la conservation de la santé publique ?

A l'instar de ce qui existe au Havre, ne faut-il pas créer dans les grandes villes, dans les chefs-lieux de département, un bureau d'hygiène chargé de provoquer ces mesures indispensables et de guider l'autorité dans leur application? Ce serait une dépense! Oui, en vérité! Mais comme l'a si bien dit M. Meyer, la vie humaine ne peut se mettre en parallèle avec un peu d'argent. D'ailleurs même, au point de vue financier, ne doit-on pas tout faire pour arrêter l'invasion d'une épidémie? Qu'on calcule seulement les pertes que causerait, au Havre, lá mise en quarantaine, pendant un mois ou deux, des proyenances de notre port, on peut alors se faire une idée de ce que coûte à la France une épidémie, et on n'est plus tenté de lésiner sur les dépenses à faire pour l'empêcher de sévir parmi nous.

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