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Nous pourrons ainsi plus utilement, ce me semble, dans la deuxième partie de notre travail, examiner les questions qui en sont l'objet principal.

PREMIÈRE PARTIE

DE LA LÉGISLATION ACTUELLE

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SECTION PREMIÈRE. La Législation sur les provenances étrangères par voie de mer ou de terre.

I.

Au bon vieux temps, dont il n'est point de bon goût de médire, mais qu'il faut cependant savoir ne pas laisser trop exalter, de nombreuses et terribles épidémies n'en venaient pas moins souvent troubler la tranquillité si vantée de nos pères.

L'histoire a conservé avec terreur le souvenir des pes tes du moyen-âge et même de quelques-uns de ces fléaux plus rapprochés du XIXe siècle.

Les Marseillais ne parlent encore qu'avec effroi de la peste de 1720, où s'illustra le dévouement de l'évêque Belzunce.

Si nous nous reportons par la pensée au milieu des villes de cette époque, dont quelques spécimens sont encore debout dans le Midi, à la grande joie des archéologues qui les visitent avec le plus grand intérêt, ces faits n'ont rien qui doive nous étonner.

Les plus grandes villes, comme les plus modestes villages, étaient enserrées dans une enceinte de hautes murailles. Les maisons, aux ouvertures exiguës, pour laisser moins de prise aux assaillants dont leurs habitants avaient fréquemment à repousser les attaques, se pressaient le long de rues étroites et souvent mal entretenues. On con

çoit que les populations entassées dans ces demeures, où l'air et la lumière étaient parcimonieusement mesurés, aient fourni à la contagion une proie facile. Beaucoup de nos villes se ressentent encore trop à cet égard de leur antique origine.

D'autre part, les lois de l'hygiène, qui, devançant la thérapeutique proprement dite, a fait, de nos jours, de si grands progrès, étaient à peine soupçonnées. On ne demandait guère qu'à la superstition les moyens d'arrêter ces fléaux.

Le journal d'un bourgeois d'Avignon, publié dans le 1er bulletin de l'année 1884 du comité des travaux historiques, qu'a eu l'obligeance de me communiquer notre excellent collègue M. Charles-Quin, rapporte qu'au milieu de la peste, qui enleva en 1580 et 1581 près de dix mille personnes dans cette ville, on enterra toute droite une femme, morte heureusement, parce qu'une femme ayant été enterrée de cette façon en Italie par révélation de quelque sainte personne, la peste qui y régnait, incontinent cessa. Le chroniqueur enregistre ce fait sans avoir l'air de croire beaucoup à son efficacité. Ce devait être sans doute un esprit fort de son époque! Le fait est que le lendemain son journal contient cette mention concise qui rend tout commentaire superflu; « Beaucoup de morts. »

Dans ces conditions, on comprend que ce n'est point dans le passé que nous devons aller chercher la lumière. Des réglements pour préserver les côtes de la Méditerranée sont cependant intervenus de bonne heure. Un arrêt du parlement de Provence, en 1639, les cite comme étant en pleine vigueur.

Ils furent suivis d'un réglement du roi, du 25 août 1683, ayant le même objet, d'une déclaration royale du 26 novembre 1729, d'une ordonnance du 28 janvier 1748, d'un arrêt du conseil royal du 14 novembre 1762, d'une ordonnance du 27 août 1786. Tous ces documents, spéciaux à la Méditerranée, imposent aux navigateurs qui viennent de l'Orient certaines quarantaines, les soumettent à la nécessité d'une patente de santé, créent des lazarets ou

font allusion à des lazarets déjà existants, établissent des pénalités sévères pour leurs infracteurs.

L'opinion publique paraît avoir tenu à ce que, malgré certains relâchements à certaines époques, ils fussent assez soigneusement appliqués.

Sur l'Océan, le danger étant moins grand à cause du climat et aussi de la longueur des traversées pour venir des pays contaminés, on paraît s'en être moins préoccupé.

On avait bien parfois, nous dit M. Dalloz, par suite de circonstances particulières, ordonné quelques précautions, mais elles avaient été oubliées avec le cas particulier qui les avait fait naître. On prescrivit ainsi certaines mesures sanitaires, en 1705 et 1706, pour les vaisseaux venant d'Amérique, en 1713 pour les provenances du Nord. On fit même, le 21 octobre 1721, une espèce de réglement, destiné à une exécution continue, exigeant la patente, la quarantaine et établissant des peines. Mais toutes ces ordonnances tombèrent en désuétude, et malgré quelques mesures administratives prises en 1804, à l'occasion d'une fièvre jaune, importée d'Amérique en Italie et en Espagne, il n'y avait pour l'Océan aucune législation sanitaire.

La crainte de la fièvre jaune, qui fit en Espagne et en Portugal de si terribles ravages en 1821, détermina l'ordonnance du 27 septembre de cette année, qui prescrivit, entr'autres mesures, la formation d'un cordon sanitaire de troupes sur la frontière d'Espagne, s'appuyant pour les pénalités sur les ordonnances que nous venons de citer, qui furent publiées à nouveau à sa suite dans le bulletin des lois.

Cette même crainte provoqua la loi des 3-9 mars 1822, qui la première s'étendit à toute la France, aussi bien aux côtes de l'Océan qu'à celles de la Méditerranée, et posa les bases du régime qui nous régit encore aujourd'hui.

Cette loi étant encore en pleine vigueur, nous vous en devons l'exposé et le commentaire au moins succinct.

II.

La loi des 3-9 mars 1822 se divise en vingt articles, répartis sous quatre titres, traitant, le premier de la police sanitaire en général; le deuxième des peines, délits et contraventions en matière sanitaire; le troisième des attributions des autorités sanitaires en matière de police judiciaire et de l'état civil; le quatrième contient une disposition générale.

Le titre premier renferme six articles:

1. Le premier détermine les attributions du pouvoir exécutif.

Il délégue au roi, qui en était alors investi, le droit:

1o De déterminer par des ordonnances les pays dont les provenances doivent être habituellement ou temporairement soumises au régime sanitaire; 2o de prescrire les mesures à observer sur les côtes, dans les lazarets et autres lieux réservés; 3o de prescrire également les mesures extraordinaires que l'invasion ou la crainte d'une maladie pestilentielle rendrait nécessaires sur les frontières de terre ou dans l'intérieur; 4° enfin de répartir entre les diverses autorités du pays les pouvoirs nécessaires pour l'exécution de ces mesures et, au besoin, en cas d'urgence, leurs prescriptions à titre temporaire et provisoire.

Comme on le voit, cette délégation donne au Gouvernement des pouvoirs assez étendus. Cela est assez naturel. Le Gouvernement seul, par ses nombreux agents, a les moyens d'information et d'action suffisamment rapides pour pouvoir prendre à temps les mesures nécessaires et les faire exécuter.

Cet article n'en rencontra pas moins, cependant, à la Chambre des Députés, une vive résistance qui nous étonne aujourd'hui. Les oppositions, quoique quelquefois bien

avisées, ne le sont pas toujours. L'opposition d'alors craignait que le Gouvernement n'abusât de ses pouvoirs. discrétionnaires pour séquestrer ses ennemis ou les expulser du territoire. Le temps n'a point justifié ces craintes.

Nous pouvons dire, à l'honneur des gouvernements qui se sont succédé en France, que malgré la tendance que nous avons quelquefois à considérer comme des pestiférés les gens qui ne sont pas de notre avis, aucun d'eux n'a paru songer aux lois sanitaires pour se débarrasser de ses adversaires. Il est vrai qu'il en est qui ont eu recours à des moyens tout aussi expéditifs, sinon moins détournés.

Le dernier paragraphe de l'article Ier soumet à la nécessité d'une publicité spéciale dans chaque commune, par affiche et publication, toutes les ordonnances, aujourd'hui les décrets, du pouvoir exécutif, ainsi que les actes administratifs qui se réfèrent à ces matières.

Les dispositions pénales qui vont suivre ne sont applicables qu'après l'accomplissement de cette formalité, qui comprend l'affichage et la publication du texte même. de la loi.

Cette publicité, toute spéciale, est très sage en présence de prescriptions aussi exorbitantes du droit commun que celles que nous aurons à étudier.

2.

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Les art. 2 et 3 ont trait à la classification qui peut être donnée par le pouvoir exécutif aux pays dont les provenances sont apportées en France.

Ces pays sont, tout d'abord, divisés en deux grandes classes les pays habituellement et actuellement sains, les pays qui ne sont pas habituellement sains ou qui se trouvent actuellement infectés.

Les provenances des pays habituellement et actuellement sains doivent être admises immédiatement à la libre pratique après de simples formalités d'arraisonnement, si elles n'ont point été contaminées en route par des communications suspectes.

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