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Des hommes parqués du matin au soir dans les ateliers étroits, n'en possèdent pas moins, cela soit dit à leur honneur, l'instinct de la sociabilité. Ils demandent à se trouver avec leurs semblables et à échanger leurs opinions, à communiquer leurs expériences, à donner une certaine publicité à des idées qui leur paraissent dignes d'attention. Ce désir de sociabilité se retrouve dans toutes les classes de la population; seulement les uns sont plus en état de les satisfaire que les autres. Le riche a ses jours de réception, il va au club ou à la soirée. Le pauvre n'est pas aussi heureux. La plupart des ouvriers ont un intérieur bien trop peu agréable pour qu'il puisse servir à passer quelques heures en compagnie d'un ami. Ce n'est trop souvent qu'une seule petite chambre, située dans une maison malpropre, sordidement meublée, sans aucun confort, remplie de cris d'enfants, et que la femme est. trop souvent, faute d'instruction et d'éducation morale, incapable de rendre attrayante. Il éprouve donc le besoin de se créer ailleurs un centre de réunion, et ce n'est pas toujours le penchant pour l'alcool qui le mène au cabaret; c'est plus souvent l'exemple des corrompus qu'il rencontre là, qui l'amène à boire comme eux. On comprend donc quelle serait l'utilité d'établissements où les ouvriers trouveraient à leur choix du café, du thé, des sirops, mais d'où seraient bannies les liqueurs alcooliques. Ils auraient là tous les avantages et les plaisirs qu'ils recherchent dans les cabarets, sans qu'on aît à redouter pour eux la contagion des mauvais exemples.

Il existe des établissements de ce genre en Angleterre et en Suède, et l'on n'a pas tardé à reconnaître qu'ils rendaient les meilleurs services à la cause de la tempérance. «Bien loin de demander la fermeture des cabarets, disait récemment M. Raffalowich à la Société d'économie politique, je voudrais en voir ouvrir de nouveaux, où l'on débiterait du café, du thé, de la bière, où les ouvriers trouveraient les rafraichissements, le confort qu'ils ne rencontrent pas chez eux. La cause de la tempérance n'aurait pas de meilleur auxiliaire. »

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Ces divers avantages ont décidé votre comité à adopter la mesure que je viens d'expliquer et c'est celle à laquelle nous nous sommes arrêtés.

En résumé, Messieurs, voici les conclusions que le comité d'utilité publique soumet à votre examen :

» La Société havraise d'Etudes diverses,

» Confiante dans les excellents résultats de la loi du 23 janvier 1873, mais convaincue de son insuffisance;

» Rendant justice à l'heureuse influence exercée par la Société française de Tempérance, mais ne la croyant pas assez énergique ;

» Désireuse de voir mettre hors de la consommation les alcools chimiquement supérieurs, mais n'estimant pas qu'il soit indispensable, pour obtenir ce résultat, de recourir à l'établissement d'un monopole;

» Pense que le moyen le plus efficace de combattre les progrès de l'alcoolisme serait de moraliser la vente de l'alcool et la tenue des débits, et, dans cette vue, croît qu'il est urgent:

» 1° Tout en maintenant la licence à son taux actuel pour les débitants ne vendant que des cidres, vins, bière s ou toutes autres boissons rafraichissantes, d'exiger pou r ceux qui débitent des alcools une licence spéciale et dont le prix varierait entre 50 et 200 fr. suivant l'importance des villes. Resterait à fixer le degré d'alcool au-dessus duquel toute boisson serait considérée co u me boisson alcoolique ;

2o D'assimiler au point de vue de la mise en vente et de la répression pénale les alcools supérieurs aux boissons falsifiées et d'inviter l'autorité à organiser une inspection sérieuse des boissons alcooliques ;

» 3o D'autoriser l'administration municipale à faire fermer les débits qui ne rempliraient pas les conditions d'hygiène déterminées par un réglement arrêté par le Conseil d'hygiène. »

DE L'ALCOOLISME

ET

DES MOYENS DE LE COMBATTRE

PAR M. E. LETELLIER

Membre Résidant

MESSIEURS,

Le système de M. Alglave m'a semblé, au premier abord, très étudié et fort ingénieux; on sent qu'il a mis tous ses soins à l'édifier et qu'il y tient comme un bon père à son enfant. Vous avez pu voir, dans la réunion privée qui a eu lieu à la suite de sa conférence, qu'il a donné des explications satisfaisantes aux diverses questions qui lui ont été posées et qu'il est entré très avant dans les avantages qui pourraient résulter de son système non seulement au point de vue hygiènique et moral, mais encore politique et économique.

Ce serait en effet un magnifique résultat que de pouvoir, d'un seul coup, réprimer l'empoisonnement - et par conséquent arrêter l'anéantissement vertigineux de notre que cause l'abus et surtout la falsification de l'alcool, et en même temps verser annuellement dans les caisses de l'Etat une somme de 800 millions. Assurément,

race

cette somme y figurerait bien utilement pour dégrever certains impôts qui enrayent le travail national et rongent la fortune privée, -si péniblement acquise.

Mais si j'applaudis de tout coeur aux pensées généreuses et humanitaires qui guident ceux qui cherchent un remède à cet état de choses incontestablement déplorable, je suis obligé de m'en séparer sur l'application, lorsque les remèdes qu'ils préconisent reposent sur des moyens qui me paraissent irréalisables ou infructueux.

Je ne m'arrêterai pas au plus ou moins de difficultés qu'il y aurait, pour l'Etat, à monopoliser l'achat et à livrer à la consommation publique et privée l'alcool sous toutes ses formes dans des flacons disposés de manière à empêcher la fraude; ce sont là des questions d'ap plication, de détail, qui ne sont peut-être pas insolubles. Je considère que la seule difficulté réelle je dira is impossibilité si ce mot était applicable chez nous dans les frais d'exploitation et dans l'avantage pécunier dont on parle pour l'Etat.

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Le Législateur ne pourrait charger l'Etat de cette velle tâche sans créer un nouveau chapitre au budget pour faire face aux dépenses qui en résulteraient (Orga nisation, matériel et employés). De là, nécessité absolue pour l'Etat d'un bénéfice dans cette gestion, car il ne faut pas songer à prendre cet argent ailleurs, surtout dans la

situation actuelle de nos finances.

tion

Il est vrai que M. Alglave nous a dit que cette S ge rapporterait annuellement 800 millions à l'Etat, le quel donnerait seulement 30% aux Etablissements publics, (cafés, débits, etc.,) au lieu de 200 % de bénéfice u'ils font en moyenne actuellement.

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Je crois volontiers que le bénéfice brut peut bien teindre, en effet, ce chiffre de 200% et que la différence qui résulterait du 30 % qui leur serait accordé attein

drait annuellement 800 millions; mais cette somme de 800 millions appartient aux débitants; c'est leur propriété, c'est le revenu de leur fonds, de leurs frais d'installation, de leur matériel, le produit de leur travail, et il n'est généralement que suffisant pour faire face à leurs frais généraux. On ne s'enrichit pas plus vite dans ce métier que dans beaucoup d'autres.

Si donc on les réduisait de 200 % à 30 % de bénéfice, ils seraient ruinés infailliblement. Je ne pense pas que l'on puisse s'arroger le droit de disposer ainsi de la fortune des particuliers.

Lorsque pour une cause d'intérêt public on exproprie quelqu'un, on lui tient compte de la valeur de ce qu'on lui prend. On ne pourrait agir autrement dans cette circonstance, et alors, on se trouverait en présence de 4 à 500,000 intéressés réclamant le capital de ces 800 millions qu'on leur reconnait soi-même soit, à 4 %, la modeste somme de 20 milliards de francs. Je ne pense pas que l'on soit en mesure, d'ici longtemps, de disposer d'une pareille somme.

Dans un projet que M. Jules Roche élabore en ce moment, mais dont nous ne connaissons que quelques points, il proposerait d'indemniser les intéressés en leur concédant un privilège. Est-il nécessaire de répéter ici tous les justes arguments que les économistes ont accumulé contre le privilège, et ce seul mot, privilège, n'estil pas suffisant pour condamner le système dont il est le

résultat.

N'y a-t-il pas à craindre que le privilège n'ouvre la porte au favoritisme et n'est-il pas toujours une diminution de la liberté générale, de l'esprit d'initiative individuelle? Ce serait en tout cas un pas de plus fait dans la voie du collectivisme au mépris des avertissements donnés par les économistes les plus sérieux et de l'expérience acquise par les résultats antérieurs.

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