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mais la place qu'il demande exige beaucoup | agi de son propre mouvement; et c'est une au

d'expérience. S'il ne connaît pas les douanes, il faudra commencer par une place moins importante, ou suivre une autre route. Mais je ferai, d'une manière ou de l'autre, ce qui pourra être agréable à Sa Majesté. Assurezl'en, ainsi que de ma respectueuse reconnais

sance.

Je vous embrasse tendrement.

Naples, le 21 décembre 1807.

J'ai reçu, ma chère amie, votre lettre du 5, et celle dont vous avez chargé M. Cavaignac le 27 du mois passé, et, j'en suis honteux, deux ou trois autres plus anciennes auxquelles je n'ai pas répondu; il est toujours bien entendu que c'est faute de temps. Je n'ai pas oublié que, dans une de ces lettres, vous me marquez le désir d'avoir une parure de corail. J'en ai commandé une à la Torre, qui est la fabrique de ce pays; mais on ne m'a apporté que de vilaine drogue. Le corail qui reste là n'est que le reste des anciennes pêches, qui ont cessé depuis deux ans. On me fait venir de Livourne ce que je n'ai pu trouver ici. Je vous l'enverrai dès que je l'aurai reçu.

tre circonstance qui me touche profondément et m'attache toujours davantage à sa personne. Quoique je puissse me rendre cette justice que je fais tout ce dont je suis capable pour son service, je ne me dissimule pas qu'il faut du caractère au roi pour me soutenir comme il fait contre les ennemis que me fait ici la rigidité de mes principes. En revanche, la reine m'a un peu trop maltraité, et je ne sais pas trop pourquoi. Si c'est pour vous faire plaisir, j'en serai reconnaissant, au lieu de m'en plaindre. J'attends le jour de la justice avec toute la constance d'un sage et d'un juste. Je vous embrasse tendrement.

Écrivez-moi un peu plus souvent.
Mille choses à M. de Boufflers.

Naples, le 10 janvier 1808.

Enfin, vous voilà contente! Le roi vient de cite de ce nouveau témoignage de sa bonté. vous nommer dame de la reine; je vous féliDites-moi ce que nous pourrions désirer de plus qu'il n'a fait pour toute ma famille ; trouvez-moi des bontés plus constantes et qui s'étendent plus loin. Chaque jour je me dis: Il faut crever, ou réussir à bien arranger ses af

Vous vous êtes chagrinée mal à propos, je puis vous l'assurer. Il y a des raisons plus flat-faires : je réussirai, je l'espère. L'attachement teuses que chagrinantes pour qu'on diffère jusqu'à votre arrivée à Naples...

Le roi est revenu depuis trois jours à Naples, très-bien portant, enchanté de l'empereur, qu'il a trouvé plus étonnant que jamais par la grandeur de ses vues et de son esprit ; et de qui tout annonce qu'il a reçu le plus tendre accueil.

Vous savez probablement que l'empereur, sur le compte favorable que le roi lui a rendu de mes efforts pour répondre à sa confiance, s'est exprimé sur mon compte avec estime et bienveillance, et m'a nommé grand officier de la Légion d'honneur. J'ai donc reçu comme récompense ce que je n'aurais dû, il y a quatre ans, qu'à ma place dans le conseil; j'ai reçu, comme une distinction, la faveur qui alors me serait venue comme à tant d'autres; enfin je tiens ma récompense de la bonté des deux frères; il y a quatre ans, elle eût été la faveur d'un seul. Je trouve que j'ai beaucoup gagné à attendre. Je n'avais rien demandé. Le roi a

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et la reconnaissance me donneront les forces nécessaires. Je suis, je crois, en assez bon train, et je me flatte d'avoir bientôt des résultats heureux.

Roederer a été mis aux arrêts à son retour de Paris (1). Le roi lui demanda combien de jours il y avait passés; il répondit : « Six jours. » << Eh bien, » dit Sa Majesté, «vous passerez six jours dans votre chambre; allez vous coucher.» Il était alors dix heures et demie du soir, et le bal venait de commencer. C'était le jour de l'an, où il y avait un grand cercle, et spectacle au théâtre du palais. Cette petite punition était bien méritée. Le roi l'a pourtant encore abrégée de deux jours,

Je suis très-souffrant des yeux; aussi je n'écris plus guère. Je dicte, ce qui me coûte beaucoup, n'ayant jamais pu prendre cette habitude.

(1) (Note de l'éditeur.) J'en dis le motif à la p. 14 de ce volume.

Offrez en toute occasion les hommages de | je ne dirai pas non plus que j'aie passé les mon respect et de mon dévouement à la reine; je sais bien maintenant ce qui lui a donné de l'humeur contre moi. Il n'y avait, ma foi, pas de sujet.

Je vous embrasse tendrement.

P. S. J'oubliais de vous dire que je n'ai point parlé au roi de votre nomination; qu'elle est de son propre mouvement, ou plutôt sur la demande que la reine lui aura faite, à ce que je présume. Ainsi, vous devez des remercîments à Leurs Majestés, et point à moi. Je n'ai pas changé de principes sur les honneurs de cour, en ce qui regarde ma famille : c'est un grand avantage et une grande fortune que d'en être revêtu; mais c'eût été un grand ridicule que d'y prétendre, surtout dans un pays où il n'y a pas de nom qui ne soit précédé d'un titre de prince ou de duc. La bonté du roi, celle de la reine, nous auront seules élevés à ces hauts rangs, et nous tiennent lieu de haute origine : ils en ont cent fois plus de prix à mes yeux.

Naples, le 17 janvier 1808.

Je vous adresse, ma chère amie, votre brevet de nomination, avec une lettre du prince Gerace, premier chambellan, pour Votre Excellence. Vous répondrez gracieusement, selon votre coutume, au prince ; je ne vous parle pas du roi, car je m'attends à recevoir ces joursci vos remercîments pour Sa Majesté. Les paquets joints contiennent les brevets de mesdames Blaniac et Magnitot.

Je me flatte que vous apprenez l'italien de manière à briller dans ce pays-ci, et que vous répondrez en italien au prince Gerace au moins aussi bien qu'il vous répondrait en français.

nuits ainsi que les jours au travail; mais je dirai que quand les chaleurs arrivent dans ce pays-ci, tous les habitants discontinuent plus ou moins le travail, parce que tout travail épuise; au lieu que les Français conservant toute l'activité de leurs habitudes et de leur tête au milieu de cette chaleur qui suffit pour accabler, continuent à travailler comme ils font pendant les autres saisons, et que cela leur fait beaucoup de mal, surtout quand ils sont âgés comme moi. Je puis ajouter, sans exagérer, que j'ai travaillé cet été plus que moi-même je ne suis accoutumé de faire; que je n'ai jamais donné moins de dix ou douze heures par jour à mon ministère, et que le reste du temps où je ne travaillais pas aux affaires, les affaires me travaillaient. Enfin, que voulez-vous? je crois et je dis, sans m'en plaindre, qu'en été le travail me tue; et je ne trouve pas juste qu'on me réponde: Tué, soit, mais tué par le travail,non. Tout le monde ici s'est étonné que le roi ne soit pas tombé malade en été, tenant trois et quatre fois par semaine des conseils de cinq et six heures, et travaillant, en outre, avec les ministres. Cependant il est jeune et d'une force extraordinaire; mais il ne recommencerait pas impunément une seconde année. Le climat est ici délicieux huit mois de l'année, il l'est surtout en hiver; il est trop chaud pendant les quatre autres mois; mais quand on sait s'y conduire, quand on veut bien se résigner à consulter les Napolitains, et à se conformer à leurs usages pour le boire, le manger, le sommeil, surtout quand on se résout à ne pas travailler, ou à ne travailler que fort peu pendant ce court intervalle, on se porte fort bien. L'été, il faut être Napolitain à Naples, ou l'on s'y tue; voilà tout le mal que j'y vois. Il n'est pas sans remède, et pour vous autres femmes le remède est tout trouvé : votre vie habituelle est justement calculée sur la température des étés de Naples. Voilà beaucoup de commérage, ce me semble. Il faut que je finisse, comme de coutume, par vous embrasser.

Je vous prie de faire une consultation à M. Damours sur mes yeux. Cet oculiste demeure, je crois, rue de Seine, Je joins ici un petit mémoire que je voudrais bien que vous lui remissiez vous-même, afin qu'il y prit intérêt. L'été dernier m'a vieilli de dix ans, et je crois que ce mal d'yeux est un premier à-compte sur les infirmités de la vieillesse; cependant écoutons l'oculiste. Lorsque la reine m'a écrit fort sèchement qu'on n'était pas malade à Naples pour trop travailler, elle ne connaissait ni le climat, ni les Français, ni moi, ni les faits. Je ne prétends pas à la couronne du martyre; | Naples,

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P. S. Toni rêve depuis trois mois qu'il est amoureux de mademoiselle de et ne parle que de l'épouser. Ce serait une belle personne à montrer à Naples; mais je crains que cela ne déplaise au roi, qui veut qu'on se marie à

Je ne puis dire assez de bien de Failly. I n'est point encore annoncé positivement à Na

Mademoiselle Dumas se marie avec le général
Franceschi de Lonne, aide de camp du roi.

Naples, le 26 avril 1808.

ples; on ne sait même point encore officiellement le changement du roi Joseph. Mais j'ai sa promesse de ne point rester ici longtemps, même d'en partir très-prochainement.

Je ne sais si je passerai à Verceil, où l'on a saisi votre parure de corail, quoique la boîte

Il y a un siècle que je n'ai de vos nouvelles, ma chère amie; mais aussi, voilà bien long-fût cachetée du cachet du roi. Écrivez à M. Cotemps que je ne vous ai écrit moi-même. Vous lin que vous payerez tout ce qui est exigé, et avez appris l'arrivée de la reine; c'est la seule faites venir la boîte. Je crois cette parure plus nouvelle intéressante que j'eusse pu vous écrire. belle que celle que le roi a eu la bonté de me Sa Majesté se porte bien. Elle est habituelle donner pour vous. Puisqu'on demande 15 pour ment à Caserte avec ses enfants et sa famille. 100 du prix d'estimation, estimez cela 400 fr. L'air est là très bon, et un peu de liberté est La reine est toujours ici. J'ai l'honneur de nécessaire pour la reposer. Madame Dannery, lui faire ma cour tous les jours. Elle est touqui me paraît fort contente et fort attachée à jours la même, et c'est incontestablement une ses élèves, m'a dit que vous aviez été malade des personnes les plus raisonnables de ses plus sérieusement que je n'avais cru. Vous royaumes présents et passés. avez bien fait de ne pas vous hasarder par le froid, qui vous est si contraire, même quand vous vous portez bien. Et puis il faut absolument que j'aille à Paris cet été passer deux mois; j'en ai demandé la permission au roi, et c'est chose accordée. Ma santé a trop souffert pour que je ne fuie pas les chaleurs de juillet et août comme on fuit la mort. D'ailleurs, j'ai laissé toutes mes affaires en l'air. Depuis un an, il est mort quatre personnes avec qui j'ai des intérêts mêlés... Enfin, mes

enfants sont héritiers dès ce moment de leur

grand-père..... Tout cela prouve à quel point les absents ont tort. Je ne puis laisser à l'abandon le bien de mes enfants et le mien.. J'ai besoin de deux mois, et mes affaires ici (je veux dire celles des finances) ont déjà une marche assez assurée pour pouvoir se passer de moi au moins pendant deux mois; attendez-moi donc à Paris. J'irai vous chercher...

La reine a eu la bonté de me parler de vous avec intérêt.

Madame Dannery est fort heureuse; il me paraît qu'elle ne déplaît point à Leurs Majestés. Elle a des manières simples, nobles et réservées, qui me paraissent excellentes pour sa place.

Naples, le 19 juin 1808.

J'ai reçu hier, ma chère amie, votre lettre du 6 courant. J'attends d'un jour à l'autre ma permission pour partir d'ici. Le roi nouveau

Mon fils aîné part le 20 pour Bayonne et Madrid. Le roi, avant son départ. lui a donné une rente perpétuelle au grand livre de 2,000 ducats, ou 8,800 francs. Sa Majesté n'a rien prononcé encore sur Toni. On ne dit rien non plus des autres ministres français, Miot et Salicetti. Je ne sais s'ils restent, s'ils vont en Espagne, s'ils retournent en France.

Failly est nommé par le roi inspecteur général de la contribution foncière, avec 125 ducats d'appointements par mois, c'est-à-dire 550 fr., ou 6,600 fr. par an. C'est un bon sujet, trèsinstruit, très-appliqué.

Le roi m'a donné jusqu'au dernier moment des preuves de sa confiance et de son contentement. C'est un bonheur pour moi d'avoir répondu à son attente. Les résultats de son gouvernement seront très-honorables pour lui. I a eu de la fermeté dans toutes les grandes choses, de la constance dans toutes les entreprises utiles; il aura jeté ici les fondements d'une prospérité et d'une grandeur nouvelles. Son successeur aura beau jeu.

Je vous embrasserai bientôt, ma chère amie. Je voudrais sortir d'Italie avant la fin de juin, à cause de la grande chaleur; heureusement elle est supportable cette année. Amitiés à toutes les personnes qui se souviendront de moi.

Naples, le 7 juillet 1808.

La reine, ma chère amie, part dans deux heures très-probablement pour Madrid; cepen

dant, elle attendra à Lyon des nouvelles ultérieures, qui seront réglées sur le degré de tranquillité dont jouira l'Espagne.

Je compte partir le 12. J'attendrai aussi à Lyon des ordres pour aller ou à Madrid ou à Paris. Ma pauvre santé, mes pauvres yeux, mes pauvres affaires, me disent d'aller à Paris. Je souhaite que l'empereur et le roi ne disent pas autrement. Je voudrais passer en France les mois d'août et de juillet. La chaleur de ce climat-ci m'a presque tué l'an passé. Je crois que n'étant pas bien rétabli, faute de repos, ce serait bientôt fait de moi à Madrid. Si l'on m'accorde deux mois de congé, je serai content, et je retournerai avec joie partout où il plaira au roi de m'appeler, à l'empereur de m'envoyer.

Je vous embrasse, ma chère amie. Madame Dannery vous a écrit aujourd'hui.

Ne parlez à personne de l'ambassade.

Naples, le 14 juillet 1808.

Je pars le 17, ma chère amie, pour aller en France avec la permission de l'empereur et celle du roi. Naples attend son nouveau roi et ses nouveaux ministres. Je désire bien, pour la conservation de l'ouvrage du roi, que le ministre des finances soit Dauchy, ou Fréville, ou le baron de Nolli. Il y a de très-bonnes choses de commencées, mais il faut achever et maintenir....

Je passerai par la Suisse, que je n'ai jamais vue. J'irai par la Franche-Comté à la verrerie de Saint-Quirin, pour savoir où en sont mes affaires et la succession de mes fils. J'y serai peu de jours, et me rendrai de là à Paris.

La reine est partie depuis quatre jours. Madame Dannery est fort contente. Ræderer doit être à présent près du roi; Toni reste encore un mois ici.

Je vous embrasse.

Naples, le 18 juillet 1808.

Je ne sais ce que vous et Toni devenez dans tout ceci. Certainement vous n'êtes plus dame du palais de Naples, ni lui chambellan. Il ne sera ni chambellan ni administrateur des contributions directes en Espagne; je me confie aux bontés de l'empereur pour ce jeune homme, qui est actuellement rompu aux affaires les plus difficiles, et n'a pas un supérieur, même au conseil d'État, pour la contribution directe. Il aurait, je crois, quelques titres à devenir maître des requêtes; mais tout déJe pars décidément samedi 23, ma chère pend de l'empereur. Quant à vous, s'il arrivait amie; je vais en droite ligne à la verrerie, où je que l'empereur me nommât, comme le roi me l'a écrit trois fois, son ambassadeur à Madrid, faires. Je cours grand risque de ne pas le voir donne rendez-vous à M. Des.... pour mes afil n'y aurait pas, ce me semble, de compatibilité à ce que vous fussiez dame du palais de de longtemps, s'il n'y vient pas. Je ne prévois Madrid. Mais, je ne sais pas pourquoi, je ne me pas que je doive être à Paris avant le 20 août; mais je me dépêcherai tant que je pourrai. fais pas à l'idée que l'empereur m'accorde une si haute distinction. J'ai eu quelquefois la pré- Roederer a été fait colonel en arrivant à Bayonne si haute distinction. J'ai eu quelquefois la pré- et commandeur de l'ordre du roi. Toni est chesomption de me croire capable des places les et commandeur de l'ordre du roi. Toni est chevalier. Toni a écrit au roi pour lui demander plus difficiles, je n'ai jamais eu celle de me des ordres; il ne veut pas rester ici. Si le roi ne croire digne des plus élevées; vous savez bien le prend pas en Espagne, j'aurai recours aux que je vous parle avec vérité. bontés de l'empereur pour ce jeune homme, qui est devenu très-fort en administration. Je vous embrasse de tout mon cœur.

J'ai fait ce que j'ai pu ici; il est de fait que j'ai réussi à y mettre de l'ordre, à y préparer l'abondance, même à la faire un peu sentir. Mais si l'empereur me rend ce témoignage, comme le roi me l'a rendu; si l'on place mon second fils de manière qu'il n'ait point à envier son aîné, qui reste aide de camp du roi ; si vous n'êtes pas malheureuse, je serai très-content de ces deux ans et demi passés à Naples, et où il n'est pas passé un nuage d'une seconde entre la bonté du roi et moi.

Rome, le 26 juillet 1808. Je suis ici depuis hier, ma chère amie; j'y passe encore la journée de demain. De là, je vais passer un jour avec mon ancien camarade Dauchy, à Florence; de là, à Milan, où je serai un jour tout au plus. Je passerai ensuite le

Simplon; je verrai, en courant, quelques villes | duchesses et les princesses, ce sont les mœurs: de la Suisse....

... Je crains que le roi ne m'ait écrit à Lyon: j'ai fait savoir au courrier de l'estafette que je n'y passais pas, et qu'on vous renvoyât mes lettres à Paris.... Toni et Failly sont venus avec moi jusqu'à Rome. Ils retournent après-demain.

NOTES ÉPARSES

SUR LE ROYAUME DE NAPLES, SES MOEURS, SON CLIMAT, ETC.

FRAGMENT SUR NAPLES (1).

Boulade.

.....Gratter, cela est naturel comme d'avoir des puces et des poux : les princesses et les

duchesses viennent là s'établir à côté d'une petite table (2); elles mangent des huîtres et des oursins avec un morceau de pain, et puis Son Excellence le prince ou le duc, marchande

d'abord sur le nombre des huîtres dont on lui fait le décompte, et ensuite sur le prix. C'est là que sont les tables ouvertes de ce pays-ci. On fait des piques-niques de cette manière qui coûtent jusqu'à 48 sols ou 50 de France partête. C'est à peu près comme si les dames de Paris allaient souper sur le quai de la Féraille, non avec les racoleurs, qui étaient gens de bonne mine, mais avec les marchands de vieux tournebroches.

Voilà la grandeur de ce pays-ci.

Du reste, il y a de l'esprit et de l'instruction à l'avenant. N'ayez pas peur d'entendre jamais un mot fin ou piquant: on a des mots de mépris, qui se distribuent comme de raison de haut en bas. Une princesse du livre d'or sait bien jeter un mot de dédain sur une princesse plus moderne, et la duchesse tombe de son haut sur la marquise. En revanche, la marquise se gardera bien d'apprendre à lire, de peur d'être confondue avec une bourgeoise.

Ce qu'il y a de plus respectable dans les

(1) (Note de l'éditeur.) Cette pièce, dont le commencement manque, est mentionnée dans une lettre de mon père à madame Ræderer, en date du 20 juillet 1806. (Voir dans ce volume, page 69.)

(2) (Note de l'éditeur.) Sur le quai de San-Leucio, au bord de la mer.

chaque aide de camp du roi a, a eu, et aura... Chaque militaire logé par billet chez une dame de qualité, s'y loge de toute manière, lui et ses dépendances. Elle ne saluera pas la femme d'un citoyen, mais...

Voilà Naples, ou le beau monde de Naples comme on le voit tous les jours, et comme il est d'habitude.

Un jour de gala, tout cela est différent. On sort ce jour-là du garde-meuble des habits de livrée bien chamarrés, avec des plumets pour des chapeaux; le suisse a un baudrier superbe et une épée d'une toise (que n'a-t-il un balai plutôt, pour balayer le vestibule et la cour!) C'est à cette parade que ces gens-là dépensent d'immenses revenus qu'ils ne savent pas administrer, et dont leurs gens d'affaires mangent

les trois quarts: chaque duc a son ministre des finances et ses conseillers. Allât-il nu-pieds, il ne rabattrait rien de cela.

Je termine ce tableau en vous disant qu'un duc est commissaire de police; que d'autres

ducs sont commis des finances avec crachats et cordons; qu'un duc ne répugne à rien, qu'à être noble dans sa vie privée et dans sa conduite (1).

-

(1) (Note de l'éditeur) On ne s'étonnera pas de cette boutade, lorsqu'on saura que, dans ce royaume de cinq millions d'habitants, il y a 163 princes et 279 ducs; total, 428. Je prends ces chiffres dans un ouvrage manuscrit de l'abbé d'Expilly, intitulé Discours géographique, historique, généalogique, héraldique et chronologique du royaume de Naples, 1 vol. in-folio, 1756; je déposerai ce volume à la Bibliothèque impériale, pour en assurer la conservation. Dans la proportion des populations respectives, il y aurait en France 3,182 ducs!

Il a donc fallu descendre bien bas pour y recruter un tel nombre d'individ s à décorer de ces titres! II

n'est donc pas surprenant que la plupart de ceux qui les portent s'adonnent, pour pouvoir vivre, aux emplois les plus subalternes.

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Combien y avait-il de ducs en France, lorsque Mazarin, qui en prodiguait les brevets, disait : « J'en ferai tant, qu'il sera honteux de l'étre, et honteux a de ne l'être pas? Je n'ai pu le vérifier; mais, certes, le chiffre n'approchait pas de celui de Naples!

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Dans l'État général de la France, par le comte de Waroquier, on voit qu'en 1789, il n'y avait en France que 39 duchés-pairies;

27 ducs héréditaires non pairs;
24 ducs à brevets.

Total: 90,

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