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crée à lui-même des ambitions supérieures. Alors l'idéal de ma vie n'est plus cet idéal vulgaire rêvé par les chercheurs d'or et les faméliques de la jouissance : travailler pour jouir, amasser pour consommer; faire sa fortune en dix ans par un opiniâtre travail, pour se reposer trente ans dans une oisiveté stérile!...

<< Riche ou pauvre, qu'importe, je travaillerai, parce que travailler est mon devoir de demain, comme mon devoir d'aujourd'hui; je travaillerai, parce que l'homme est né pour travailler, comme l'oiseau pour voler, selon le beau mot de l'Écriture... Le travail succédera au travail, comme le devoir au devoir... je travaillerai, pour ajouter, si je le puis, au progrès de l'humanité le progrès de ma propre vie.

«< Ainsi la société entière recueille jusqu'au bout les fruits de ces vies soumises à la loi du travail chrétien, vies toujours fécondes, qui produisent en toutes saisons et font éclore, à l'heure même du déclin, leurs plus riches moissons, pareilles à ces arbres forts qui versent, à un automne tardif, la meilleure part de leur séve.....

« Le travail a pour ressort, non l'égoïsme, mais le dévouement; il cède, dans son mouvement, à trois saintes et sublimes choses: la réparation, le sacrifice et la solidarité la réparation avec laquelle il se réhabilite autant qu'il peut, et l'humanité avec lui-même; le sacrifice qui est la gloire du soldat, la couronne du héros, l'auréole des martyrs; la solidarité enfin, par laquelle le travail chrétien embrasse, dans ses ambitions, par delà l'étroite enceinte de la vie personnelle et de la vie domestique, la vie de l'humanité entière1. »

1. Le Progrès par le christianisme, conférences de Notre-Dame, 1866, cinquième conférence.

Résumons-nous :

Le travail est d'ordre divin.

La liberté du travail est de droit naturel.

Le travail est une des lois suprêmes de l'humanité. Se peut-il donc que cette loi suprême contienne en germe aussi, comme on l'en accuse, la misère sociale? Les sociétés sont-elles donc si abandonnées de la Providence, si dénuées d'entrailles, si sourdes à la voix de la justice, si aveugles sur leur propre intérêt, qu'il n'y ait qu'iniquité, violence, oppression, dans leurs diverses organisations du travail? Ce monde du travail, est-ce Satan qui y règne en maître, comme le proclament ceuxlà surtout qui ne croient pas en Dieu ?

Il faudrait renoncer à la qualité d'homme et de chrétien, s'il en était ainsi.

Mais il n'en est pas ainsi; il n'y a là que de pures fictions démagogiques, que d'audacieuses manœuvres de l'esprit de révolution.

C'est ce que la suite de ce livre démontrera surabondamment.

CHAPITRE VI

LE CAPITAL.

Le capital a sa racine dans trois attributs de l'homme la prévoyance, l'intelligence et la frugalité. F. BASTIAT, Harmonies économiques, chap. VII.

Le mot CAPITAL a plusieurs acceptions.

L'usage le plus général applique ce mot à l'or, à l'argent, à la monnaie métallique comme à la monnaie de papier, en un mot, au numéraire faisant l'office principal de l'échange et de la circulation dans le commerce et les diverses relations des hommes entre eux.

Le capital ainsi considéré a, dans l'économie sociale, le même rôle que le sang dans l'économie humaine. Arrêtez, suspendez la circulation du sang, et vous causez la mort. Arrêtez, suspendez la circulation du capital, et vous amenez la ruine générale.

La seconde acception, plus étendue que la première, comprend, dans le mot capital, la propriété mobilière sous ses nombreuses et diverses formes.

Enfin, dans l'acception la plus large, le mot capital est l'équivalent du mot propriété. Tout ce qui est appropriable devient capital, et l'on arrive à ceci : que toute propriété est capital, que tout capital est propriété. Les deux mots ont, dans ce sens, la même relation avec le

travail, dont ils expriment à la fois l'instrument et le produit, l'effet et la cause, également féconds, également respectables, également inviolables à ce double titre.

Point de travail possible sans un capital antérieur; point de travail utile s'il n'est pas suivi d'un produit utile, c'est-à-dire d'un capital. Le travail le plus simple, le semis d'une plante suppose plusieurs capitaux antérieurs ou nécessaires, la terre, la bêche ou le râteau, l'engrais, la semence, la main-d'œuvre.

L'homme assis à son bureau et qui y écrit sous l'action de cette chose immatérielle qui s'appelle la pensée, que fait-il? Il fait emploi d'un capital, souvent considérable, accumulé en lui et qui est sa science, son instruction, et il produit un capital-livre, échangeable chez l'éditeur pour de l'argent.

Le magistrat, rendant la justice sur son siége, fait emploi du capital qu'il a accumulé, en étudiant les lois, et reçoit de l'État un capital, une rémunération qui est le prix du service qu'il rend chaque jour.

Entrons plus avant dans les diverses combinaisons d'emploi des divers capitaux.

Il arrive fréquemment que le capital avec lequel un travail est exécuté n'appartient pas à celui qui l'emploie. Ainsi une usine, avec son outillage, devient, par succession, la propriété d'une personne qui n'a pas les connaissances, ou les habitudes, ou les capitaux nécessaires pour la faire marcher et en tirer profit. Voici, d'un autre côté, un industriel qui a les connaissances et les habitudes nécessaires, mais n'a que peu ou point de capitaux. Un rapprochement se fait entre le propriétaire de l'immeuble et l'industriel, et ils conviennent d'un prix

annuel représentant le loyer de l'usine. Qu'est-ce que ce loyer? C'est le prix du service rendu à l'industriel par la remise dans ses mains d'une chose, d'une propriété, d'un capital qui est l'instrument immobilier, indispensable de son travail. Mais tout n'est pas fait.

L'industriel a besoin d'acheter les matières premières de son travail; il faut aussi qu'il paye ses ouvriers; c'est l'objet d'un second traité de sa part, soit avec le propriétaire de l'usine, si celui-ci a les capitaux mobiliers nécessaires à l'industriel et s'il est disposé à les lui prêter. Sinon, c'est un banquier qui les fournit, si l'industriel lui paraît offrir les garanties nécessaires de bonne conduite et de capacité. Voici donc un autre service rendu à l'industriel. De quel prix payera-t-il ce service? Du même qu'il a payé le premier, d'un loyer annuel qui, dans ce cas, s'appelle l'intérêt de l'argent. Entre ces deux rémunérations, l'une pour le capital immobilier, l'autre pour le capital mobilier, il y a similitude absolue; les noms diffèrent, mais ils expriment la même chose, le prix d'un service rendu.

Il reste maintenant pour l'industriel à trouver la main-d'œuvre, ce troisième élément de la production; comment s'y prend-il? Il n'a pour cela qu'un moyen ; la science, les mœurs, la loi, ne lui en offrent pas deux : il assure à l'ouvrier qu'il a choisi, le connaissant généralement peu et étant aussi peu connu de lui, une somme fixe pour sa peine de chaque jour. C'est ce qu'on appelle le salaire, troisième mot exprimant comme le loyer, comme l'intérêt, le prix d'un service rendu, et qui est, comme eux, tenu en dehors de la spéculation bonne ou mauvaise de l'industriel, qui peut se tromper. Ainsi l'industriel, dans la confiance du succès, commence par

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