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inusitée; c'est le programme des socialistes garantistes1, publié dans la période électorale de 1876. Ce document est anonyme, quoiqu'on reconnaisse facilement la main. qui l'a écrit; mais, en se cachant, l'auteur a oublié qu'il donnait droit de douter de sa sincérité et de son courage.

Je citerai donc seulement quelques lignes du début :

« Le parti socialiste a accompli, depuis quelques années, une évolution analogue à celle que l'on a vu se produire chez le parti républicain, dont il est une fraction. Il est sorti, lui aussi, de la période purement théorique; pourquoi ne dirait-on pas le mot utopique? 11 croit que le moment est venu d'appliquer la méthode scientifique à l'organisation sociale et à ses modifications. Il ne réclame plus, comme autrefois, une refonte complète et immédiate de l'organisation sociale; il se borne à demander que la loi accorde aux citoyens, en tant que travailleurs, les garanties dont elle les entoure en tant qu'individus ou propriétaires.

1. Le mot garantiste n'est pas français, mais on ne peut pas s'étonner que ceux qui veulent de nouvelles lois sociales ne se fassent pas faute de mots nouveaux, surtout pour exprimer des idées nouvelles ou qu'ils croient telles. Mais celui-ci n'est pas heureusement choisi.

Si le mot garantiste n'est pas accepté encore dans la langue, le met garantisme y a été admis, non, il est vrai, par l'Académie française, mais par M. Littré. Or, voici la définition qu'il en donne dans son grand dictionnaire:

« Garantisme: Dans le langage de l'école fouriériste et sociétaire, système de féodalité industrielle qui doit suivre notre anarchie et précéder l'association définitive. »

Ainsi les garantistes sont les sectateurs d'un état de féodalité industrielle, intermédiaire entre la société actuelle et la société de l'avenir.

Ce n'est certainement pas là le sens que le rédacteur du programme socialiste de 1876 attachait au mot garantiste. Il devra en chercher un autre. 2. L'on voit percer ici, sous une forme très-réservée, et d'une telle modestie qu'elle a presque l'air d'une banalité, la prétention qui s'affichera

«Le parti socialiste a, d'autre part, appris par l'expérience que les sociétés humaines ne se transforment point du soir au lendemain, que les progrès s'accomplissent successivement et que le temps ne respecte pas ce qui s'est fait sans lui.

« Le parti socialiste est composé d'honnêtes gens, et tout homme honnête doit reculer devant l'application de projets de transformation brusque de la société, lorsqu'il en vient à comprendre que cette application pourrait provoquer d'incalculables désastres et des maux sans nombre si l'on s'était trompé. ET IL FAUT TOUJOURS CRAINDRE DE SE TROMPER! »

Et c'est à la suite de cette déclaration, d'une modestie si peu commune en socialisme, qu'après une série de propositions, les unes inoffensives et banales, les autres pleinement radicales, pour qui sait lire à travers les artifices de style, on conclut par une adhésion entière au programme électoral des intransigeants, et à la demande de « l'amnistie immédiate pour les malheureux qui supportent encore les conséquences de la guerre civile ».

Ce programme, qui, sous le couvert de l'anonyme, mêlait ensemble de telles contradictions, ne pouvait pas avoir d'action sensible sur les élections, et, en fait, n'en

a eu aucune.

Mais il ajoute un élément à la situation que j'ai constatée plus haut; il demeure certain que l'opinion publique est, vis-à-vis du radicalisme et du socialisme, à l'état décidé de méfiance; qu'il est des choses qu'on n'obtiendra d'elle qu'en l'endormant; que les meneurs de la

si hautement au congrès ouvrier d'octobre 1876, celle d'un droit nouveau, d'un droit à part pour l'ouvrier, le droit commun étant déclaré insuffisant et hostile au progrès.

révolution sociale s'en rendent compte, et que, pour dissimuler leur petit nombre, ils se font petits et modestes jusqu'à la banalité.

La Fontaine a dit, il y a deux siècles, comment finit la comédie des loups devenus bergers.

APPENDICE 0.

LA PRODUCTION NATIONALE ET LES VOIES

NAVIGABLES.

(Extrait d'un discours prononcé par l'auteur au Corps législatif.)

Nous avons vu, dans le cours de cette Étude, les progrès importants et rapides de la production nationale, dans toutes ses branches. L'agriculture, l'industrie qui produit ou élabore aux premiers degrés les matières premières, et qu'on appelle généralement la grande industrie, et celle enfin qui leur donne leurs transformations successives, pour arriver jusqu'aux arts industriels les plus délicats, ont toutes marché en avant, mais d'un pas inégal. L'industrie fine l'emporte encore, dans ses progrès, sur ceux de la grande industrie et de l'agriculture, et la raison en est simple et manifeste.

Indispensable à l'agriculture et aux grandes élaborations de matières premières, l'économie des transports n'est que d'une utilité secondaire pour l'industrie fine, et celle que lui assurent les chemins de fer qui y ajoutent la rapidité, lui suffit entièrement. Or les grands efforts financiers des vingt-cinq dernières années se sont portés sur les chemins de fer, avec un engouement qui a rompu l'équilibre dans les voies de transport et, par suite, dans le travail national.

Le premier besoin pour l'agriculture, c'est un réseau

complet de chemins vicinaux et départementaux, puis de grandes lignes navigables.

Pour la grande industrie, les lignes navigables sont de première nécessité, non-seulement parce que, par elles-mêmes, elles transportent avec plus d'économie que les chemins de fer, mais parce qu'elles offrent le seul moyen d'obtenir et d'assurer la réduction des tarifs des chemins de fer.

Ce défaut d'équilibre dans les moyens de transport, et le mal certain qui en résulte pour la production nationale, ont été une de mes constantes préoccupations dans les trois années pendant lesquelles j'ai siégé au Corps législatif. L'accueil que ces idées y avaient reçu me porte à croire que quelques extraits d'un de mes discours, à ce sujet, seront lus avec intérêt.

DISCUSSION GÉNÉRALE DU BUDGET

6 AVRIL 1869.

<< L'inconvénient majeur de l'insuffisance des ressources affectées aux canaux, c'est que cela pousse l'industrie française, prise dans son ensemble, dans une voie où ses grandes aptitudes s'altèrent.

« Il y a, messieurs, deux genres d'industrie: celle que j'appelle la grande, qui comprend l'agriculture et l'industrie des matières premières et des élaborations du premier et du second degré.

« Il y a l'autre industrie; je ne veux pas l'appeler la petite, car elle est considérable en France; mais ce n'est pas enfin l'industrie de premier ordre; c'est celle qui

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