Page images
PDF
EPUB

d'avance une provision de jetons; la prévoyance est si bien inhérente à cette facilité, qu'on voit aujourd'hui tel individu qui se laissait aller jadis à dissiper, en dépenses au moins stériles, son salaire aussitôt qu'il le recevait, faire provision de jetons pour un certain laps de temps; -institution de secours, car, grâce à l'union des moyens individuels, elle procure un allégement aux charges de chacun. Notons enfin que la société a dû`son succès à la sagesse de ses statuts qui déterminent son objet avec une extrême netteté. On voulait faciliter aux hommes de travail leur alimentation quotidienne; on a créé une Société alimentaire. Rien de plus. On a évité de compliquer l'entreprise en y rattachant dès opérations qui en paraissaient essentiellement distinctes. De cette façon, se sont trouvées exclues, dès l'abord, des causes de dissidence, des germes de discorde qui auraient pu compromettre le présent et rendre la dissolution probable. Un mot résume notre pensée sur cette tentative avantageusement accomplie on a su se borner. Ajoutons qu'on avait eu la hardiesse d'entreprendre. »

Je n'hésite pas à dire que c'est là une des meilleures créations et des plus utiles de notre temps. Elle n'est applicable que dans les villes, et surtout dans les villes industrielles, mais là elle peut faire beaucoup de bien. La conception est simple et pratique; l'administration facile à conduire, à surveiller, à contrôler. Les personnes qui auraient la pensée d'en établir de semblables trouveront, in extenso, dans l'ouvrage de M. Taulier, les statuts de la société et son règlement intérieur1.

1. Pages 262 à 273.

APPENDICE M.

M. LE COMTE DE PARIS PARTICIPATION

:

DES OUVRIERS AUX BÉNÉFICES.

M. le Comte de Paris a exposé dans ses deux ouvrages: les Associations ouvrières en Angleterre (1869) et la Situation des ouvriers en Angleterre (1873), les essais faits par MM. Briggs frères, exploitants de houillères et fabricants de fer, à Whitwood (South Yorkshire), pour faire participer leurs ouvriers à leurs bénéfices. Je donne le récit le plus récent, et in extenso, pour ne rien affaiblir des idées de l'éminent écrivain :

«En 1863, après des grèves violentes, M. H. Briggs transforma l'exploitation de la houillère de Whitwood en une société anonyme au capital de 2 millions et demi, divisé en 10,000 actions de 250 francs. Son frère et lui en conservèrent les deux tiers. Son but était d'amener ses ouvriers à devenir actionnaires et à acheter ces petites coupures. Le moyen qu'il leur offrait était le partage des benéfices, destiné à leur constituer une épargne.

« La base de son système est la publicité complète et absolue de tous ses comptes et des bénéfices annuels de l'entreprise. Cette entreprise est fondée sur la réunion des deux éléments qui ne peuvent rien l'un sans l'autre, l'argent des actionnaires et le travail des ouvriers. L'un et l'autre prélèvent d'abord sur les bénéfices leur juste

rémunération : l'argent, sous la forme de 10 pour 100 d'intérêt, taux calculé pour combler les déficits des mauvaises années; le travail, sous la forme de salaires absolument assurés. L'excédant des profits, après ces prélèvements, est partagé également entre les actionnaires et les ouvriers. La part de ceux-ci est distribuée à raison de leurs salaires, qui, étant à la tâche, représentent exactement la quantité de travail qu'ils ont fournie. Seulement, pour les encourager à devenir actionnaires, il a été stipulé, sur la demande des principaux ouvriers, que, provisoirement, les actionnaires ouvriers auraient, selon leurs salaires, un profit plus fort d'un tiers que celui qui serait alloué aux autres.

« Ce système fut mis en vigueur le 1er juillet 1865. La défiance des ouvriers était grande, car le nom de M. Briggs était détesté par eux. Mais, en 1867, tout était changé le complet succès de l'entreprise avait converti les plus incrédules et apaisé les passions les plus violentes. L'Union1 n'existait plus, et ses principaux chefs étaient devenus les plus zélés coadjuteurs de M. Briggs. Tandis qu'auparavant la houillère, sans cesse troublée par des grèves, ne donnait aucun profit certain, en 1867, grâce à la régularité du travail et au zèle de chaque ouvrier, le profit net se trouva être de 510,425 francs. On mit 200,000 francs de côté comme réserve, et le reste donna lieu à un premier partage. En 1868, on comptait 144 actionnaires sur 189 travailleurs. Ils avaient 178 actions, représentant 14,000 francs versés, produit d'une épargne de trois ans seulement. Les actions s'étant élevées au

1. La Trade's Union, qui avait suscité ou soutenu les plus violentes grèves du Yorkshire, les années précédentes.

dessus du pair, M. Briggs en réserva un certain nombre qu'il donna aux ouvriers, à un taux réduit et contre un premier versement de 75 francs, leur laissant de grandes facilités pour les libérer. Un grand nombre de clients se sont aussi intéressés à l'entreprise, et en 1868 ceux-ci avaient entre les mains 1,068 actions. En 1868, le bénéfice net fut de 17 pour 100, assurant ainsi aux ouvriers un profit de 3 1/2 pour 100 du capital engagé. Depuis lors, il s'est encore graduellement élevé, de sorte que, dans ces six premières années, les ouvriers se trouvent avoir reçu, à titre de profit, 40 pour 100 de leurs salaires annuels. On voit que ce profit n'est ni un leurre, ni un accident; car il a été constamment réalisé, au milieu des plus grandes variations commerciales. Le résultat moral obtenu est encore plus important; car, en peu d'années, la paix et la confiance mutuelles sont venues remplacer la haine et la guerre.

«La publicité de la comptabilité a prouvé aux ouvriers qu'ils ne pouvaient mettre leurs intérêts en de meilleures mains que celles de leurs patrons. Chacun d'eux, ne restât-il que huit jours dans la mine, a une colonne spéciale, où sont inscrits ses salaires hebdomadaires. Le total de cette colonne établit, au bout de l'an, le chiffre du profit auquel il a un droit aussi absolu que l'actionnaire au sien. Le rapport imprimé et présenté tous les ans à l'assemblée des actionnaires, qui se compose en grande partie d'ouvriers, entre dans tous les détails nécessaires pour prouver à ceux-ci l'exactitude du chiffe du profit qu'il déclare. Mais M. A. Briggs, qui a succédé à son frère aîné dans la direction, ne s'est pas contenté de ces garanties données aux ouvriers. Après les avoir intéressés aux bénéfices comme salariés, et les avoir

associés à l'entreprise comme actionnaires, il veut les élever encore en leur donnant une part dans la gestion. A la réunion des actionnaires, tenue en août 1869, il a proposé de faire nommer uniquement par les ouvriers actionnaires un des leurs pour siéger au conseil d'administration, au même titre que les autres directeurs. Naturellement approuvée, cette proposition a été aussitôt mise en pratique, et, après une réunion publique où les candidats ont discuté avec beaucoup de mesure les diverses questions qui intéressaient particulièrement leurs électeurs, un d'eux a été nommé et installé comme directeur. M. Briggs n'a qu'à se louer d'avoir donné à ses ouvriers ce nouveau gage d'entente, car il est le premier à profiter des progrès que l'expérience leur fait faire en intelligence et en modération. L'admission des ouvriers au conseil fait, de la société de Whitwood, le vrai modèle de la société coopérative, où le capital a sa juste part, et où les actionnaires et les travailleurs ne forment pas deux castes ennemies. Il n'y a de différence entre les anciens actionnaires et les ouvriers souscripteurs que dans le nombre d'actions qu'ils possèdent, différence inévitable et qui renaîtrait à l'instant, si l'égalité parfaite avait été un moment établie entre eux. M. Briggs et ses employés se considèrent aussi à la fois comme actionnaires et comme salariés, et, à ce dernier titre, ils touchent leur part proportionnelle dans le bénéfice attribué au travail.

« Malgré son succès, M. Briggs ne peut se flatter d'avoir conjuré toutes les difficultés : il aurait fallu, pour cela, à son système, une perfection surhumaine. Il est entouré de voisins qui le considèrent comme un dangereux novateur; et ses ouvriers, d'autre part, ne peuvent avoir

« PreviousContinue »