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Je voudrais répondre maintenant à quelques-unes des objections faites contre la propriété et qui ont survécu aux attaques générales dont elle a été l'objet. Il y en a quatre principales :

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1o. L'on comprend le droit du travailleur sur son travail; qu'il en devienne propriétaire, rien de mieux, ni de plus juste. Mais ses héritiers, quel droit y ont-ils? 2. La possession du sol est un monopole.

3.

La possession du sol donne lieu à un bénéfice illicite, attendu qu'il est obtenu sans travail.

4°. Si la propriété est d'ordre divin et de droit naturel, tous les hommes doivent être propriétaires.

tions ingénieuses, ait été accomplie. Il faut que des Américains aient produit du coton, des Indiens de l'indigo, des Français de la laine et du lin, des Brésiliens du cuir; que tous ces matériaux aient été transportés en des villes diverses, qu'il y aient été ouvrés, filés, tissés, teints, etc.

« Ensuite il déjeune. Pour que le pain qu'il mange lui arrive tous les matins, il faut que des terres aient été défrichées, closes, labourées, fumées, ensemencées; il faut que les récoltes aient été préservées avec soin du pillage; il faut qu'une certaine sécurité ait régné au milieu d'une innombrable multitude; il faut que le froment ait été récolté, broyé, pétri et préparé; il faut que le fer, l'acier, le bois, la pierre, aient été convertis par le travail en instruments de travail; que certains hommes se soient emparés de la force des animaux, d'autres du poids d'une chute d'eau, etc.; toutes choses dont chacune, prise isolément, suppose une masse incalculable de travail mise en jeu, non-seulement dans l'espace, mais dans le temps.

« Cet homme ne passera pas sa journée sans employer un peu de sucre, un peu d'huile, sans se servir de quelques ustensiles.

« Il enverra son fils à l'école pour y recevoir une instruction qui, quoique bornée, n'en suppose pas moins des recherches, des études antérieures, des connaissances dont l'imagination est effrayée.

« Il sort il trouve une rue pavée et éclairée.

« On lui conteste une propriété il trouvera des avocats pour défendre ses droits, des juges pour l'y maintenir, des officiers de justice pour faire exécuter la sentence; toutes choses qui supposent des connaissances acquises, par conséquent des lumières et des moyens d'existence.

« Il va à l'église : elle est un monument prodigieux et le livre qu'il y porte est un monument peut-être plus prodigieux encore de l'intelligence humaine. On lui enseigne la morale, on éclaire son esprit, on élève son

La première objection, qui comprend, tout à la fois, le droit à l'héritage et les lois successorales, fera l'objet du chapitre suivant. Elle comporte des développements tout à fait spéciaux, notamment sur le droit de tester.

La seconde objection est celle-ci : La possession du sol est un monopole, et cela est si vrai que Rossi l'a dit. Oui, Rossi l'a dit, et l'a dit avec raison. Mais comment l'a-t-il dit?

Dans les premières leçons de son Cours d'économie politique, t. Ier, 5me et 7me leçons, cherchant à fixer les bases de la science avec cette rigueur didactique qui a

âme; et, pour que tout cela se fasse, il faut qu'un autre homme ait pu fréquenter les bibliothèques, les séminaires, puiser à toutes les sources de la tradition humaine, qu'il ait pu vivre sans s'occuper des soins de son corps.

« Si notre artisan entreprend un voyage, il trouve que, pour lui épargner du temps et diminuer sa peine, d'autres hommes ont aplani, nivelé le sol, comblé des vallées, abaissé des montagnes, joint les rives des fleuves, amoindri tous les frottements, placé des véhicules à roues sur des blocs de grès ou des bandes de fer, dompté les chevaux ou la vapeur, etc.

« Il est impossible de ne pas être frappé de la disproportion, véritablement incommensurable, qui existe entre les satisfactions que cet homme puise dans la société et celles qui pourrait se donner, s'il était réduit à ses propres forces. J'ose dire que dans une seule journée il consomme des choses qu'il ne pourrait produire lui-même en dix siècles.

« Ce qui rend le phénomène plus étrange encore, c'est que tous les autres hommes sont dans le même cas que lui. Chacun de ceux qui composent la société a absorbé des millions de fois plus qu'il n'aurait pu produire; et cependant ils ne se sont rien dérobé mutuellement. Et si l'on regarde les choses de près, on s'aperçoit qu'il a payé en services tous les services qui lui ont été rendus. S'il tenait ses comptes avec une rigoureuse exactitude, on se convaincrait qu'il n'a rien reçu sans le payer au moyen de sa modeste industrie; que quiconque a été employé à son service, dans le temps ou dans l'espace, a reçu ou recevra sa rémunération.

« Il faut donc que le mécanisme social soit bien ingénieux, bien puissant, puisqu'il conduit à ce singulier résultat, que chaque homme, même celui que le sort a placé dans la condition la plus humble, a plus de satisfactions en un jour qu'il n'en pourrait produire en plusieurs siècles. >>

fait de ce cours une œuvre classique, Rossi montre que les monopoles, en général, sont contraires à la liberté du travail et du commerce; mais il y a des monopoles que la loi ne peut détruire, attendu qu'ils résultent de la nature même des choses. Le génie est un monopole, et l'auteur cite un tableau de Raphaël.

Les plus courtes distances sont un monopole pour ceux qui en profitent, à l'encontre de ceux qui sont plus éloignés, et l'auteur cite les jardiniers des environs de Paris au regard de ceux qui ont de grandes distances à franchir pour apporter leurs produits à Paris.

« C'est encore un monopole, dit-il, que la propriété des maisons dans une ville dont l'enceinte est déterminée; à plus forte raison, si, comme cela arrive pour les places de guerre, il est défendu d'élever aucune construction solide, dans un certain rayon hors de la ville. » Puis il passe à la terre :

« Le monopole de la terre est permanent et général ; il tient à la nature même des choses. Rêvez l'égalité absolue des partages, la mise en commun de tous les fonds de terre; détruisez la propriété particulière pour ne reconnaître qu'un seul propriétaire, l'association générale. Enlèverez-vous à la terre ses propriétés économiques? En ferez-vous un instrument de production autre que la nature n'a voulu nous la donner? son étendue serat-elle jamais illimitée ? sa substance homogène également productive, également facile à exploiter? »>

Ainsi le monopole de la terre consiste en ce qu'elle est inextensible, et en ce que la différence des mauvaises terres aux bonnes ne peut être combattue que par un plus fort emploi de travail et d'argent.

L'on voit que tout ceci est de la pure discussion

scientifique. Lorsque les adversaires du droit de propriété ont essayé de faire passer Rossi pour un de leurs adhérents, ils ont donc singulièrement compté sur la complaisance de leurs lecteurs1.

La troisième objection peut se comprendre de deux

manières.

On peut l'appliquer au propriétaire qui perçoit un produit de sa terre, par le loyer payé par le fermier, qui seul la travaille. Nous ne sommes pas encore en mesure de répondre à cette objection. Il faudrait anticiper sur les chapitres suivants; il vaut mieux y renvoyer.

Le second sens est celui-ci.

A quelles conditions produit la terre? A la condition sans doute du travail qui y est appliqué, du fumier, des irrigations, etc.; mais à la condition aussi de la chaleur et de l'humidité; combien coûte au cultivateur et au propriétaire la chaleur du soleil qui réchauffe la terre, qui mûrit les grains et les fruits? Combien la pluie qui donne, sous la forme la mieux appropriée, l'eau indispensable à toute végétation? Combien la neige, ce manteau protecteur des céréales en herbe? Rien, absolument rien; donc, lorsque le cultivateur vend ses récoltes, lorsque le propriétaire y prend sa part en nature ou en argent, ils se font un bénéfice de ce qui ne leur a rien coûté. Une société bien réglée peut-elle supporter, tolérer un pareil abus?

1. Les citations de cet écrivain éminent, faites à la page 38, démentent suffisamment cette allégation; j'y ajoute ces quelques lignes :

« Pourrions-nous de bonne foi mettre la question de la propriété individuelle du sol au nombre des controverses sérieuses? Au fond, la propriété n'a jamais été attaquée que par des rêveurs, ou pour l'éclat du paradoxe.» T. II, 1re leçon.

L'objection, je me hâte de le dire, n'est pas originaire d'un cerveau français; elle est anglaise, et plusieurs économistes de ce pays l'ont admise et soutenue; il est bien vrai que quelques économistes français les ont suivis. Il faut se rendre compte qu'en présence de la constitution presque féodale de la propriété en Angleterre1, la science elle-même s'est laissé entraîner à des arguments spécieux, s'est laissé dominer par une illusion, et aussi par les besoins de la lutte; tous les arguments ont paru bons. Admettons, si l'on veut, que ce soit une excuse historique; l'erreur n'en est pas moins manifeste.

L'intervention des forces naturelles n'est pas particulière à la culture de la terre; elle se retrouve dans la presque totalité des travaux humains; elle ne crée pas plus de bénéfices illicites et gratuits à l'industriel qu'au cultivateur. Elle n'est un privilége pour personne; elle est un bienfait pour tout le monde; c'est, en un mot, une des plus belles harmonies sociales.

Quand nous mettons du combustible sous une chaudière pleine d'eau, mais ouverte, l'eau se transforme en vapeur qui s'échappe dans l'atmosphère sans y produire autre chose qu'une action hygrométrique; mais l'industriel survient; il ferme hermétiquement la chaudière, sauf sur un point où il ajuste un tuyau métallique au moyen duquel il conduit la vapeur sous le piston d'un cylindre, et le piston s'élève devant elle; quelle est cette force motrice? Est-elle de main d'homme? Non, l'homme a produit la vapeur, et son art se borne là; mais pourquoi la

1. La surface territoriale du Royaume-Uni (l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande) est de 29,186,000 hectares, sur lesquels 23,160,000 appartiennent aux propriétaires de plus de 200 hectares, au nombre de 25,840. Le nombre total des propriétaires est de 1,173,600.

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