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déclin, quand le mari parvient à la force de l'âge. En second lieu, le chef de la famille néglige sa compagne surannée, et abuse de l'influence qu'il exerce sur la femme de son fils, trop jeune pour jouir de ses droits et les faire respecter. Il s'établit ainsi une promiscuité incestueuse...» (page 35).

Nous étonnerons-nous qu'il en soit ainsi? Du moment qu'il y a collectivité, il faut une direction, et, dans le régime patriarcal, elle appartient, sans conteste et sans contrôle, au chef de la famille; mais un pouvoir non contestable et non contrôlé risque fort d'être despotique, et du despotisme à l'immoralité, il n'y a malheureusement pas loin.

M. de Laveleye, on le voit, fournit des arguments très-forts et très-variés contre la pensée qui a inspiré son livre; mais ils prouvent du moins sa conviction et sa bonne foi. Les inconvénients économiques et moraux de la propriété collective ne lui échappent pas; elle empoisonne dans ses sources l'esprit de famille; appliquée aux nations civilisées, elle y produirait immédiatement la famine et toutes les horreurs qu'elle traîne à sa suite; cela paraît être préférable, dans l'esprit de l'auteur, aux lois qui régissent actuellement la propriété individuelle, familiale et héréditaire.

La thèse présentée par M. de Laveleye n'est soutenable, ni historiquement, ni économiquement, ni socialement. Le livre d'ailleurs ne conclut pas. Il semble que l'auteur a simplement voulu appeler l'attention des penseurs sur la collectivité, pour leur en faire plus mûrement peser les avantages et les inconvénients.

J'ai entendu reprocher à M. de Laveleye la sympathie qu'il témoigne, dans son livre, à M. Huet, auteur du

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Christianisme social; M. Huet s'intitule résolûment dans ce livre catholique socialiste, et, très-résolûment aussi, demande l'abolition de la propriété immobilière - par des mesures révolutionnaires dont il indique le détail. Je n'ai pas cru, au chapitre : De la propriété, devoir mentionner et combattre les théories sociales et mystiques de M. Huet; non pas que je conteste ses convictions, mais je me permets de douter de son esprit de justice et de son sentiment du droit et de la liberté.

Je ne veux demander qu'à M. de Laveleye lui-même la preuve qu'il ne pactise pas avec les rêveries socialistes.

La Revue des Deux Mondes (1er septembre 1876) contient un article de M. de Laveleye sur le Socialisme en Allemagne. Les grands théoriciens fondateurs du socialisme allemand, Weitling, Winkelblech, sous le pseudonyme de Marlo, Carl Marx, y sont passés en revue avec une vigueur sévère et une parfaite solidité de principes; Carl Marx surtout, et son livre: le Capital, sont analysés à fond; l'auteur est jugé pour ce qu'il est, un démagogue nuageux et subtil, dont la seule arme est l'outrance en tout et sur tout. Mais je n'ai pas ici pour but d'analyser le sectaire allemand, et si j'en ai parlé, c'est pour arriver à la conclusion de l'article de M. de Laveleye. La voici :

« Combien le christianisme, même considéré seulement au point de vue d'une réforme sociale, est supérieur à tous ces systèmes, où manque tantôt l'appréciation juste de la réalité, tantôt la véritable charité. Dans l'Évangile, règne partout une tendresse infinie pour les déshérités, en même temps qu'un sentiment sublime de justice sociale. La vérité capitale qui ressort de tous les enseignements du Christ, c'est que nulle amélioration n'est

possible, si l'on n'a pas d'abord rendu l'homme luimême meilleur. La rénovation morale, voilà la source de tout progrès véritable. Ce n'est, ni par la critique des doctrines économiques quelque subtile qu'elle soit, ni par une forme nouvelle d'association, fùt-ce le phalanstère ou la société coopérative, que l'on guérira les maux de la société actuelle; c'est en répandant dans toutes les classes de la société plus de lumières et plus de moralité. C'est uniquement par des influences morales que le christianisme a brisé les chaînes de l'esclavage. Ainsi pourra cesser la misère. Il y aura sans doute toujours des pauvres parmi nous, parce qu'il y aura toujours des paresseux incorrigibles et que, comme dit saint Paul, celui qui ne travaille pas ne doit pas manger; mais que les classes supérieures apprennent à mieux connaître et à mieux remplir leurs obligations; que les ouvriers, plus moraux, plus instruits, moins esclaves des sens, arrivent à la propriété par le travail et l'épargne; que la science continue à accroître la productivité de l'agriculture et de l'industrie, et le paupérisme, le dénûment disparaîtront, en tant qu'ils atteignent toute une catégorie de familles et qu'ils constituent une des plaies de notre ordre social. »

Je n'aurai garde de noter, dans ce passage, les nuances sur lesquelles j'aurais à faire des réserves; ceux qui m'auront lu les reconnaîtront facilement; je suis trop heureux de constater ce qui est essentiel. L'appel de M. de Laveleye à l'esprit chrétien comme ressource suprême, c'est le fond même de mon Étude. Qu'importent donc les nuances! Charité réciproque, justice égale pour tous, respect de tous les droits, ainsi le veut l'esprit chrétien, et celui qui le croit, et qui le dit, n'est pas un socialiste.

Je ne perdrai pas cette occasion de mentionner une excellente étude de M. Maurice Block, sur le livre de M. Carl Marx; on y trouvera une très-vigoureuse réfutation de ses doctrines (Journal des économistes, juillet et août 1872).

APPENDICE F.

LA CHINE CONTEMPORAINE.

Nous avons vu, dans le chap. v, comment nos livres saints comprennent et encouragent le travail. Où en sont, à cet égard, les nations non chrétiennes? Nous avons assez de documents pour faire cette étude sur la nation la plus considérable de l'Extrême-Orient, sur la Chine, dont la population, évaluée à plus de trois cents millions d'habitants, dépasse ainsi celles de toutes les nations européennes.

La Chine a un livre sacré, le Chou-king. Ce livre a été écrit par un savant, qui a été premier ministre, et qui vivait 500 ans après David, 550 ans avant JésusChrist. Il s'appelait Kong-fou-tseu, dont nous avons fait Confucius.

Le Chou-king est la réunion des traditions religieuses et morales de la Chine, et Confucius y fait parler, soit les divers souverains qui ont laissé des règles pour les peuples, soit les sages qui les ont conseillés. Dans toutes ces traditions, le souverain a le double caractère de pape et d'empereur. En voici un exemple :

« Peuples, ne suivez pas une voix écartée et inégale; Imitez la doctrine et l'équité de votre Roi.

1. Dans le mot Chou-King, Chou signifie livre, et King doctrine certaine et immuable. Le Chou-King est donc le livre sacré de la Chine.

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