Page images
PDF
EPUB

trième cause, qui était restée inaperçue, se révèle à ses yeux. Alors la science dit: Cet effet n'est pas dû, comme on le croyait, à la volonté immédiate de Dieu, mais à cette cause naturelle que je viens de découvrir. - Et l'humanité, après avoir pris possession de cette découverte, se contentant, pour ainsi parler, de déplacer d'un cran la limite de sa foi, se demande : Quelle est la cause de cette cause? Et ne la voyant pas, elle persiste dans son universelle explication: C'est la volonté de Dieu. Et ainsi, pendant des siècles indéfinis, dans une succession innombrable de révélations scientifiques et d'actes de foi.

[ocr errors]

« Cette marche de l'humanité doit paraître, aux esprits superficiels, destructive de toute idée religieuse; car n'en résulte-t-il pas qu'à mesure que la science avance, Dieu recule? Et ne voit-on pas clairement que le domaine des intentions finales se rétrécit à mesure que s'agrandit celui des causes naturelles?

« Malheureux sont ceux qui donnent à ce beau problème une solution si étroite. Non, il n'est pas vrai qu'à mesure que la science avance, l'idée de Dieu recule; bien au contraire; ce qui est vrai, c'est que cette idée grandit et s'élève dans notre intelligence. Quand nous découvrons une cause naturelle, là où nous avions cru voir un acte immédiat, spontané, surnaturel, de la volonté divine, est-ce à dire que cette volonté est absente ou indifférente? Non, certes; tout ce que cela prouve, c'est qu'elle agit par des procédés différents de ceux qu'il nous avait plu d'imaginer. Tout ce que cela prouve, c'est que le phénomène que nous regardions comme un accident dans la création, occupe sa place dans l'universel arrangement des choses, et que tout, jusqu'aux effets les plus spéciaux, a été prévu, de toute éternité, dans la

pensée divine. Eh quoi! l'idée que nous nous faisons de la puissance de Dieu est-elle amoindrie, quand nous venons à découvrir que chacun des résultats innombrables que nous voyons, ou qui échappe à nos investigations, non-seulement a sa cause naturelle, mais se rattache au cercle infini des causes; de telle sorte qu'il n'est pas un détail de mouvement, de force, de forme, de vie, qui ne soit le produit de l'ensemble et se puisse expliquer en dehors de tout? »>

APPENDICE D.

J.-J. ROUSSEAU, SA VIE ET SES DOCTRINES.

Sainte-Beuve, dans une étude sur Mme la marquise de Verdelin', qui a été aimée de Rousseau, et, d'après son propre témoignage, a été grossièrement traitée par lui 2, pose cette question :

« Qu'a-t-il donc fait ce malheureux éloquent persécuté, pour que la seconde moitié de notre XIXe siècle se désintéresse si fort de lui? »>

Ce qu'il a fait? Il a fait le mal, le mal dont notre temps a plus particulièrement souffert, et, si ce siècle se désintéresse si fort de Rousseau, ce n'est ni fantaisie ni réaction contre le passé. Montesquieu et, plus encore, les grands écrivains du XVIIe siècle sont toujours en pleine possession de l'admiration de la France et du monde civilisé.

Mais Rousseau a perverti la conscience et l'intelligence publiques. Par un excès d'audace vraiment inouï, il s'est élevé à lui-même ce monument d'orgueil et d'impudence, qui suffit seul à le juger à fond, au point de vue moral : les Confessions. Il ne s'y borne pas à raconter ses procédés de laquais vis-à-vis des femmes qu'il a aimées; il y étale ce monstrueux orgueil de l'homme qui croit, par

1. Nouveaux Lundis, t. IX.

2. Les Confessions, partie II, liv. x, et passim.

l'aveu de ses turpitudes, s'élever au-dessus des autres hommes, et pouvoir dire, en parlant à l'Être éternel : «Rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur, au pied de ton trône, avec la même sincérité, et puis, qu'un seul te dise: Je fus meilleur que cet homme-là '. »

Rousseau, dans sa vie privée, a déserté les plus saintes lois de la famille; il ne s'est pas borné à commettre volontairement, et par cinq fois, le crime d'abandonner ses enfants; il a encore cherché à couvrir cette ignominie par toutes ses habiletés de rhéteur.

Il a été déplorable dans ses relations avec les femmes; aussi, regardez-y de près; excepté Claire d'Orbe dans la Nouvelle Héloise, il n'a pas créé un seul vrai caractère de femme, dans ses romans.

Dans ses Confessions, comment traite-t-il celles qui l'ont aimé? En les livrant sans pudeur et sans retenue à la malignité publique. Ses panégyriques ont dit qu'il avait vraiment aimé Mine de Warens; mais de quel cœur l'aimait-il donc? La seule pensée de trahir cette douce créature qui croyait l'élever jusqu'à elle en s'abaissant jusqu'à lui, ne devait-elle pas lui inspirer de l'horreur pour ce projet d'étaler sa vie au grand jour, sans souci de secrets qui n'appartenaient pas qu'à lui?

Et Mme d'Houdetot, il dit l'avoir passionnément aimée; qu'est-ce que cette passion ardente, dont l'insuccès s'accompagne d'une trahison? Il met ces paroles dans la

1. Les Confessions, partie I, liv. 1.

bouche de celle qu'il adore : « Votre ami Saint-Lambert nous écoute, et mon cœur ne saurait aimer deux fois. » Le secret de Mme d'Houdetot était-il celui de Rousseau 1?

Il ne s'est pas borné à ces trahisons; celui qui comprenait si peu les devoirs d'un galant homme ne pouvait pas sentir davantage les sentiments, les tendresses, les liens de la famille; mais il ne lui a pas suffi de ne pas les sentir. Il a voulu les calomnier, et il a donné, de la famille, ce tableau révoltant :

« La plus ancienne de toutes les sociétés, et la seule naturelle, est celle de la famille; encore les enfants ne restent-ils liés au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui, pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, ce lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l'obéissance qu'ils devaient au père, le père, exempt des soins qu'il devait aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance. S'ils continuent de rester unis, ce n'est plus naturellement, c'est volontairement; et la famille elle-même ne se maintient que par convention.

« Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l'homme. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation; ses premiers soins sont ceux qu'il se doit à lui-même; et, sitôt qu'il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à le conserver, devient par là son propre maître2.

[ocr errors]

Ainsi, selon Rousseau, le lien de famille n'a d'autre raison d'être que l'utilité réciproqne, et cette liberté commune serait la conséquence de la nature de l'homme ! Le contraire seul est vrai; c'est méconnaître et outrager

1. Les Confessions, partie II, liv. IX.

2. Le Contrat social, liv. I, ch. 11.

« PreviousContinue »