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Nous pouvons résumer ces belles pages dans cette pensée si forte et si fortement exprimée de Montesquieu :

<< Ceux qui ont dit qu'une fatalité aveugle a produit tout ce que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité; car quelle plus grande absurdité qu'une fatalité aveugle qui aurait produit des êtres intelligents1?

1. Esprit des lois, liv. I, ch. 1.

APPENDICE C.

LES CAUSES FINALES.

On sait à quels abus d'esprit métaphysique ont donné lieu les causes finales. Pour la plupart de ceux qui s'en sont occupés, il s'agit de soulever le voile des desseins de la Providence, et de sonder l'infini; l'orgueil humain ne s'effraie pas de ces prétentions, et croit que l'intelligence, qui est parvenue à prédire les éclipses, à calculer les conjonctions des astres, leurs masses, et leurs distances, peut découvrir aussi et démontrer la raison et la fin de toutes choses et notamment celles de la création. C'est sous l'influence de cette hallucination que l'on raisonne et que l'on déraisonne sur les causes finales.

Fr. Bastiat n'a pas de ces audaces, tout penseur hardi qu'il soit; il croit fermement en Dieu; c'est sous l'empire et sous la garantie de sa croyance, qu'il a écrit les belles pages que l'on va lire; ces pages, dans sa pensée, étaient le préambule du dernier chapitre de son livre des Harmonies économiques. Il a donné pour titre à ce chapitre : les Rapports de l'économie politique avec la morale, avec la politique, avec la législation, avec la religion. La mort l'a frappé avant qu'il ait pu réaliser son dessein.

« Un phénomène se trouve toujours placé entre deux autres phénomènes, dont l'un est sa cause efficiente et l'autre sa cause finale; et la science n'en a pas fini avec

lui, tant que l'un ou l'autre de ces rapports lui reste caché.

« Je crois que l'esprit humain commence généralement par découvrir les causes finales, parce qu'elles nous intéressent d'une manière plus immédiate. Il n'est pas d'ailleurs de connaissance qui nous porte avec plus de force vers les idées religieuses, et soit plus propre à faire éprouver, à toutes les fibres du cœur humain, un vif sentiment de gratitude envers l'inépuisable bonté de Dieu.

« L'habitude, il est vrai, nous familiarise tellement, avec un grand nombre de ces intentions providentielles, que nous en jouissons sans y penser. Nous voyons, nous entendons, sans songer au mécanisme ingénieux de l'oreille et de l'œil; les rayons du soleil, les gouttes de rosée ou de pluie nous prodiguent leurs effets utiles ou leurs douces sensations, sans éveiller notre surprise et notre reconnaissance. Cela tient uniquement à l'action continue, sur nous; de ces admirables phénomènes. Car qu'une cause finale, comparativement insignifiante, vienne à nous être révélée, que le botaniste nous enseigne pourquoi cette plante affecte telle forme, pourquoi cette autre revêt telle couleur, aussitôt nous sentons dans notre cœur l'enchantement ineffable que ne manquent jamais d'y faire pénétrer les preuves nouvelles de la puissance de Dieu, de sa bonté et de sa sagesse.

« La région des intentions finales est donc, pour l'imagination de l'homme, comme une atmosphère imprégnée d'idées religieuses.

« Mais, après avoir aperçu ou entrevu cet aspect de phénomène, il nous reste à l'étudier sous l'autre rapport, c'est-à-dire à rechercher sa cause efficiente.

« Chose étrange! il nous arrive quelquefois, après avoir pris pleine connaissance de cette cause, de trouver qu'elle entraîne si nécessairement l'effet que nous avions d'abord admiré, que nous refusons de lui reconnaître plus longtemps le caractère d'une cause finale, et nous disons: J'étais bien naïf de croire que Dieu avait pourvu à tel arrangement dans tel dessein; je vois maintenant que la cause que j'ai découverte étant donnée (et elle est inévitable), cet arrangement devait s'ensuivre de toute nécessité, abstraction faite d'une prétendue intention providentielle.

« C'est ainsi que la science incomplète, avec son scalpel et ses analyses, vient parfois détruire, dans nos âmes, le sentiment religieux qu'y avait fait naître le simple spectacle de la nature.

<< Cela se voit souvent chez l'anatomiste ou l'astronome. Quelle chose merveilleuse, dit l'ignorant, que, lorsqu'un corps étranger pénètre dans notre tissu, où sa présence ferait de grands ravages, il s'établisse une inflammation et une suppuration qui tendent à l'expulser! Non, dit l'anatomiste, cette expulsion n'a rien d'intentionnel. Elle est un effet nécessaire de la suppuration, et la suppuration est elle-même un effet nécessaire de la présence d'un corps étranger dans nos tissus. Si vous voulez, je vais vous expliquer ce mécanisme, et vous reconnaîtrez vous-même que l'effet suit la cause, mais que la cause n'a pas été arrangée intentionnellement pour produire l'effet, puisqu'elle est elle-même un effet nécessaire d'une cause antérieure.

<< Combien j'admire, dit l'ignorant, la prévoyance de Dieu, qui a voulu que la pluie ne s'épanchât pas en nappe sur le sol, mais tombât en gouttes, comme si elle

venait de l'arrosoir du jardinier! Sans cela toute végétation serait impossible. - Vous faites une vaine dépense d'admiration, répond le savant physicien. Le nuage n'est pas une nappe d'eau ; elle ne pourrait être supportée par l'atmosphère. C'est un amas de vésicules microscopiques semblables aux bulles de savon. Quand leur épaisseur s'augmente, ou qu'elles crèvent sous une compression, ces milliards de gouttelettes tombent, s'accroissent en route de la vapeur d'eau qu'elles précipitent, etc. Si la végétation s'en trouve bien, c'est par accident; mais il ne faut pas croire que Dieu s'amuse à vous envoyer de l'eau par le crible d'un immense arrosoir. >>

Ce qui peut donner quelque plausibilité à la science, lorsqu'elle considère ainsi l'enchaînement des causes et des effets, c'est que l'ignorance, il faut l'avouer, attribue très-souvent un phénomène à une intention finale qui n'existe pas et qui se dissipe devant la lumière.

Ainsi, au commencement, avant qu'on eût aucune connaissance de l'électricité, les peuples, effrayés par le bruit du tonnerre, ne pouvaient guère reconnaître, dans cette voix imposante, retentissant au milieu des orages, qu'un symptôme du courroux céleste. C'est une association d'idées qui, non plus que bien d'autres, n'a pu résister aux progrès de la physique.

L'homme est ainsi fait. Quand un phénomène l'affecte, il en cherche la cause, et s'il la trouve, il la nomme. Puis il se met à chercher la cause de cette cause, et ainsi de suite jusqu'à ce que, ne pouvant plus remonter, il s'arrête et dise: C'est Dieu, c'est la volonté de Dieu. Voilà notre ultima ratio. Cependant ce temps d'arrêt de l'homme n'est jamais que momentané. La science progresse, et bientôt cette seconde, ou troisième, ou qua

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