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APPENDICE A.

LE COMPAGNONNAGE

DES TRENTE ANS

DES MINEURS DE COMMENTRY.

La mine de Commentry est sous le patronage de saint Thibaud. J'ai trouvé cette coutume établie, quand je suis venu à Commentry, en 1840, et les plus anciens du pays n'en connaissaient pas l'origine. Les mineurs se placent généralement, en France, sous le patronage de sainte Barbe; il y a donc là une exception, et la cause de cette exception ne s'appuie sur aucun document certain. Voici ce qui me paraît probable.

Saint Thibaud, né Français, a passé une partie de sa vie, en solitaire, dans les forêts de la Souabe, où il faisait du charbon de bois; il vivait dans la première moitié du XIe siècle.

On sait que le pays de la Souabe a été un des berceaux des tribunaux secrets de la Sainte-Wehme; la redoutable société des Bons-Cousins a fait beaucoup de prosélytes, parmi les rudes ouvriers de l'industrie forestière, de la carbonisation du bois, et aussi, parmi les mineurs du Hartz et de la Bohême. Le nom populaire de la société secrète était : la Charbonnerie. Dans les cérémonies très-bizarres de l'initiation, il arrivait un moment où les membres, qui avaient subi quelques épreuves préparatoires, étaient admis à un degré plus élevé, et recevaient

communication, sous des serments formidables de silence, de quelques-uns des secrets de l'association. Ils apprenaient ainsi que saint Thibaud était le patron de la Charbonnerie.

Je suppose que, lors des persécutions sanglantes qui ont été dirigées contre les initiés, quelques mineurs, réfugiés en France, auront pénétré jusque dans le Bourbonnais, et y auront enseigné aux régnicoles l'art de tirer le charbon, qui se marquait, à Commentry, par des indices certains. Ils auront dit que saint Thibaud était le patron des charbonniers, et cet usage, une fois établi, a naturellement été respecté par tous ceux qui ont eu une action dirigeante sur la mine de Commentry. C'est ainsi que nos mineurs célèbrent, de temps immémorial, la messe de saint Thibaud, à la fin de juin.

L'exploitation du charbon, en 1840, était de quelques milliers d'hectolitres; elle est aujourd'hui de plus de six millions, et le nombre des ouvriers dépasse deux mille. La mine s'exploite par plusieurs puits; elle a des ateliers de fer et de bois, un chemin de fer, une exploitation rurale, de grandes écoles; de là, pour le jour de la fête, de nombreuses bannières, marquant chaque chantier, chaque atelier, chaque école; nous en avions trente-deux, cette année (1876).

En 1863, frappé de la constance avec laquelle nos mineurs restent au travail, j'avais réuni, pour la Saint-Thibaud, sous une même bannière, tous ceux d'entre eux qui avaient plus de vingt ans de travail continu à la mine, sans autre cause d'interruption que la maladie ou le service militaire. Cette pensée avait été très-vivement appréciée, et en réponse aux remerciments qui m'étaient faits, j'avais promis que, lorsque nous serions quarante,

ayant plus de trente ans de travail continu, nous aurions la bannière de trente ans.

Cette promesse aurait pu être tenue, dès 1871; mais l'étranger était encore en France; nous avons eu une interruption dans nos fêtes, et elles n'ont été reprises qu'à la libération du territoire. Le 28 septembre 1873, nous avons célébré la fête du Travail, et inauguré la bannière de trente ans. Elle a compté, dès la première année, cinquante-six compagnons, portant tous un brassard, où était inscrit le nombre d'années de travail continu à la mine; il y avait des brassards avec les chiffres 48, 53, 54, 56, 57.

En 1876, nous étions cent douze.

La devise de la bannière est :

AU TRAVAIL HONNÊTE ET PERSÉVÉRANT.

Les hommes de la bannière de trente ans ont fondé une confrérie pour la bonne mort. La Mine se charge des obsèques; le mort doit être accompagné, à l'église et au cimetière, par dix confrères au moins, et être enterré avec son brassard.

Cette pensée appartient aux ouvriers eux-mêmes. La confrérie a été fondée sous le nom du COMPAGNONNAGE

DES TRENTE ANS.

APPENDICE B.

LE MATÉRIALISME.

LA BRUYÈRE, GUIZOT, MONTESQUIEU.

De nombreuses et victorieuses réfutations du matérialisme ont été faites par toute l'école spiritualiste moderne, dans des écrits qui sont dans les mains de tout le monde; ce sont ceux-là surtout que l'on lit', parce qu'ils sont au courant des idées nouvelles et que, à des attaques contemporaines, il appartient à des contemporains de répondre.

En citant ici quelques pages de La Bruyère, je ne prétends donc pas apporter une réfutation précisément nouvelle du matérialisme; mais tout le monde sera frappé, je crois, comme je l'ai été, de la vigueur et de la concision de son argumentation, et de la beauté sobre et sévère de notre grande langue française du xvire siècle, dont La Bruyère, dans ses Caractères, est un des plus originaux ouvriers.

J'extrais les pages suivantes du chapitre des Esprits forts:

<«<Je ne sais si ceux, qui osent nier Dieu, méritent qu'on s'efforce de le leur prouver, et qu'on les traite plus sérieusement que l'on n'a fait dans ce chapitre; l'igno

1. Notamment ceux de MM. Caro et P. Janet.

rance, qui est leur caractère, les rend incapables des principes les plus clairs et des raisonnements les mieux suivis. Je consens néanmoins qu'ils lisent celui que je vais faire, pourvu qu'ils ne se persuadent pas que c'est tout ce que l'on pourroit dire sur une vérité si éclatante.

« Il y a quarante ans que je n'étois point, et qu'il n'étoit pas en moi de pouvoir jamais être, comme il ne dépend pas de moi, qui suis une fois, de n'être plus; j'ai donc commencé, et je continue d'être, par quelque chose qui est hors de moi, qui durera après moi, qui est meilleur et plus puissant que moi : si ce quelque chose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce que c'est.

« Peut-être que moi, qui existe, n'existe ainsi que par la force d'une nature universelle, qui a toujours été telle que nous la voyons, en remontant jusques à l'infinité des temps. Mais cette nature, ou elle est seulement esprit, et c'est Dieu; ou elle est matière, et ne peut par conséquent avoir créé mon esprit; ou elle est un composé de matière et d'esprit, et alors ce qui est esprit dans la nature, je l'appelle Dieu.

« Peut-être aussi ce que j'appelle : mon esprit, n'est qu'une portion de matière qui existe par la force d'une nature universelle qui est aussi matière, qui a toujours été, et qui sera toujours telle que nous la voyons, et qui n'est point Dieu. Mais, du moins, faut-il m'accorder que ce que j'appelle mon esprit, quelque chose que ce puisse être, est une chose qui pense, et que, s'il est matière, il est nécessairement une matière qui pense; car l'on ne me persuadera point qu'il n'y ait pas en moi quelque chose qui pense, pendant que je fais ce raisonnement. Or ce quelque chose qui est en moi et qui pense, s'il doit son être et sa conservation à une nature universelle qui

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