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fondement le sang et la nature? Non. C'est le lien civil de la puissance qui unit ses membres et maintient leur agrégation. C'est ce lien d'emprunt qui est leur signe de reconnaissance et leur point de ralliement. On n'est pas dans la famille parce que l'on est fils, ou épouse, ou parent, mais parce que l'on est fils en puissance, épouse en puissance, parent par la soumission à une puissance actuellement commune... En un mot, la famille romaine, création singulière d'un peuple né pour le pouvoir, n'est pas autre chose que l'ensemble des individus reconnaissant la puissance d'un seul chef... »

« Aussi voyez les conséquences de ce droit; le mariage, de lui seul, n'est qu'un lien insuffisant pour faire entrer l'épouse dans la famille de son mari; elle reste donc dans sa propre famille, sous le nom de matrona; elle y reste étrangère à celle de ses propres enfants. Mais si les noces sont suivies d'une année de possession de la femme par le mari... alors la femme passe sous la puissance du mari; elle devient mater familias : cette puissance (le mot est arrivé jusqu'à nous sans la chose) frappe surtout l'esprit par son caractère de hauteur sévère, car le mari est le juge de son épouse; il peut, seul dans les premiers temps, plus tard dans un tribunal domestique où ses proches sont appelés, la condamner à mort; il est le maître de sa personne et de ses biens; à peu près comme si la conquête l'avait mise dans ses mains; terrible réminiscence du rapt des vierges sabines.

Et plus loin : « Le cri du sang trouve Rome sourde et impassible. »

Après ces tableaux, on comprend aisément le sénat romain, la hauteur et la dureté de sa domination, la

suite et la profondeur de sa politique. Elles sont l'effet inévitable de cette constitution de la famille, où tout est fait pour la grandeur et le pouvoir; mais quelle a été la fin de ce régime où la nature humaine était si profondément méconnue? L'Empire, Tibère, Néron, Caracalla, Domitien, Héliogabale, les orgies du despotisme devenu fou, les Barbares, Rome saccagée trois fois, et ses ruines s'amoncelant, et formant un sol épais de débris, sous lequel s'exerce depuis des siècles la science des antiquaires. La Rome ancienne, cette Niobé des nations, a parcouru, plus qu'aucune autre cité du monde, la série complète des grandeurs et des misères humaines, jusqu'à ce qu'elle soit venue aux mains de la papauté.

Le christianisme a exercé sur la famille cette action profonde et sociale qui appartient à la vraie notion de Dieu, de sa puissance et de sa bonté. La famille a été transformée.

Le mariage est devenu indissoluble. Les droits de la femme ont été reconnus et consacrés; dans la famille, elle est l'égale du mari; la loi civile lui donne tout ce qui est nécessaire à sa dignité d'épouse et de mère. L'égalité des enfants est consacrée par la loi; aussi le respect et la tendresse sont-ils devenus le lien le plus fort des familles. Ce progrès, qui s'est ainsi accompli chez nous, à travers et malgré la féodalité, dont les mœurs étaient encore dures et violentes, à travers la Renaissance et malgré son penchant vers le passé, à travers le grand siècle, et malgré les exemples déplorables et le double adultère du roi, à travers le xvIIIe siècle et malgré ses incertitudes, ses bizarreries et l'abandon apparent fait par la bourgeoisie de ses bonnes et fortes mœurs et à

travers la Révolution 1, et malgré ses crimes; ce progrès, dis-je, est un des signes les plus consolants, les plus rassurants de notre temps et une des preuves les plus indiscutables de la marche en avant de l'esprit chrétien parmi nous.

La femme chrétienne n'a pas seulement gardé les vertus qui vivaient à l'ombre des gynécées grecs ou romains, et continué à mériter l'éloge que Xénophon a mis dans la bouche de Socrate; son rôle dans la famille et dans la société s'est, comme je l'ai dit tout à l'heure, agrandi, et ce rôle est considérable.

L'épouse chrétienne, la mère chrétienne sont, dans la famille, les colonnes de l'ordre, du respect de la hiérarchie, du maintien et de l'affermissement des croyances religieuses.

L'épouse chrétienne veille à la dignité et à l'ordre moral de la maison conjugale. Tolérante pour tous, mais ferme dans sa foi, elle donne l'exemple de la prière et de l'accomplissement des devoirs religieux. Chaque matin, chaque soir, son mari la voit, simple et modeste, agenouillée et priant pour les siens : enseignement silencieux et fort qui, comme la goutte d'eau tombant sur le rocher, finit sûrement par traverser le roc si dur de l'apathie religieuse chez le sceptique ou le libre penseur.

1. On sait les audaces de J.-J. Rousseau contre la famille. J'en remets l'examen à l'appendice D.

2. « Je pense, dit Socrate, qu'une bonne ménagère contribue autant que le mari au succès des affaires; c'est ordinairement par les labeurs de l'homme que les gains entrent au logis; ils se consomment, le plus souvent, par les mains de la femme. »

« Quand ces deux points vont ensemble, les maisons réussissent; quand ils vont mal, elles tombent en décadence. »>

Et nos mères? N'est-ce pas sur leurs genoux que nous avons appris les rudiments de la prière? En nous initiant à ces actes de foi et d'obéissance, elles nous ont appris le respect et l'amour de Dieu, et quand nous sommes passés de leurs douces mains dans les mains viriles, nos âmes et nos esprits avaient été préparés, inclinés par leur tendresse et leur simplicité de cœur, à la soumission devant les mystères, à l'obéissance aux lois du devoir et de la morale.

Quel est l'homme qui ne se rappelle avec un attendrissement profond sa mère le suivant du regard et de toute son âme le jour de sa première communion? Ces germes ne périssent pas; quelque jour, ils se retrouvent vivants, puissants, si l'on a eu le bonheur d'avoir une bonne mère.

Les sceptiques s'étonnent devant la vitalité indestructible du christianisme; ils en cherchent le secret, et vont bien loin, font bien des efforts pour le trouver. Ne cherchez pas si loin; regardez autour de vous, chez vous peut-être. L'esprit chrétien est là, gardé par l'épouse et par la mère.

Les familles tenues, sous l'inspiration de l'esprit chrétien, dans l'ordre, dans le respect des enfants pour le père et la mère, dans le respect du père et de la mère pour l'honneur et le travail, sont la force et la vraie richesse de l'État. La femme, et c'est son honneur, en même temps que son devoir, y exerce un rôle au moins égal à celui du mari. C'est l'honneur de la chrétienté; rien de pareil chez les nations non chrétiennes.

CHAPITRE III

LA PROPRIÉTÉ.

L'homme a deux grands mobiles de sollicitude et d'amour ce sont les affections; c'est la propriété. »

ARISTOTE, la Politique, t. II, ch. II.

La propriété est d'ordre divin; si l'on veut user seulement de la langue scientifique, elle est de droit naturel. je ne parle ni des utopistes, ni

Tous les penseurs des révolutionnaires

tère1.

- lui ont reconnu ce double carac

1. « On cherche si l'origine du droit de propriété est humaine ou divine; question de mots; ceux qui croient que cet univers est l'œuvre d'un Être suprême, doivent dire sans hésiter qu'elle est à la fois divine et humaine. » THIERS, Discours sur le droit au travail, 13 septembre 1848.

« La propriété est d'origine divine. » GLASSON, Eléments du Droit français, t. I, p. 236. Cet ouvrage, de publication très-récente, mérite d'être lu et médité. Les origines morales, les nécessités sociales des grands principes de justice, y accompagnent toujours l'exposé de chacune des parties essentielles de la science. C'est la réponse, et une réponse courageuse, aux doctrines révolutionnaires avec lesquelles on essaie d'empoisonner aujourd'hui l'étude du droit.

« Nous pensons que la propriété est d'institution divine. » F. BASTIAT, Sophismes économiques, t. I, Propriété et loi.

<< Dans notre civilisation chrétienne, la propriété est un droit divin. » Général AMBERT, l'Héroisme en soutane, p. 108.

« La conscience humaine a toujours regardé la propriété comme un droit naturel, par cela seul qu'elle a toujours regardé comme une obligation morale le devoir de la respecter. » BAUDRILLART, Études de philosophie morale et d'économie politique, t. II, p. 59.

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