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Monsieur le préfet, vous m'avez demandé de vous adresser des instructions au sujet de la fermeture des tueries particulières ordonnée par le Maire de la commune de Clichy et de l'obligation pour leurs propriétaires de faire abattre leurs animaux à l'abattoir de la commune de Levallois-Perret.

Le comité consultatif des arts et manufactures, appelé à examiner le dossier de l'affaire, vient de me soumettre son rapport. Il fait remarquer que l'arrêté du Maire de Clichy vise les lois des 14-22 décembre 1789, 19-22 juillet 1791 et 5 avril 1884 sur la constitution des municipalités, les pouvoirs et les attributions des Maires, mais ne vise pas l'ordonnance du 15 avril 1838 relative aux abattoirs publics, la seule qui soit applicable dans l'espèce. L'article 2 de cette ordonnance est ainsi conçu: « La mise en activité de tout abattoir public ou commun légalement établi entraînera de plein droit la suppression des tueries particulières situées dans la localité.

Mais qu'entend-on par localité? Une décision récente du Conseil d'Etat (7 mars 1890) donne à l'expression de localité une interprétation restreinte, et cette expression ne doit pas signifier d'une façon absolue, ni une commune ni une ville, mais doit s'appliquer à une agglomération dont ferait partie la tuerie située à proximité de l'abattoir commun ou tout au moins, n'en serait distante que d'un espace convenable pour en rendre l'usage possible sans occasionner pour l'exploitant des frais trop considérables.

Or, dans le cas que vous m'avez sonmis, le comité a reconnu qu'il ne s agit même pas de tueries situées à un point quelconque de la commune où fonctionne un abattoir commun, mais de tueries situées sur le territoire de la commune de Clichy et dont on veut contraindre les propriétaires à faire abattre leurs animaux à l'abattoir de LevalloisPerret. Il s'agit de toutes les tueries de la commune quelle que soit d'ailleurs la distance qui les sépare de l'abattoir. Dans cette situation, le traité qui a été passé ne parait pas constituer un droit pour le Maire de Clichy de contraindre les bouchers établis sur le territoire de cette commune à supprimer leurs tueries. C'est une facilité qui leur est oferte à des conditions déterminées et débattues à l'avance en vue de sauvegarder leurs intérêts, mais un traité de ce genre ne saurait donner à l'ordonnance de 1838, une portée qu'elle n'a pas, ni étendre les pres criptions de l'article 2 de cette ordonnance. Le comité, se référant d'ailleurs à la décision du Conseil d'Etat, est d'avis que le Maire de Clichy n'était pas fondé à ordonner la fermeture des tueries particulieres établies dans cette commune, en vertu du traité qu'il a passé avec la commune de Levallois-Perret. J'ai adopté cet avis.

Recevez, etc.

Le ministre du commerce, signé : J. Roche.

Ne suis-je pas en droit, messieurs, de me demander pourquoi seul le comité des arts et manufactures a été consulté sur cette affaire? Pour quelles raisons les communes établissent-elles des

abattoirs publics et communs, si ce n'est pour une raison d'hygiène? Les communes ne sont pas autorisées à tirer profit des abattoirs, elles sont uniquement autorisées à établir des taxes destinées à les rembourser de leurs frais de construction et de leurs frais d'exploitation. Il y a au ministère de l'Intérieur, ministère dont dépendent directement les communes, un comité compétent dans cette question des abattoirs, c'est le comité consultatif d'hygiène publique de France. Pourquoi n'a-t-il pas été consulté? Il y a au ministère de l'agriculture un comité également compétent; c'est le comité des épizooties. Pourquoi n'a-t-il pas été consulté? Ces deux comités sont les deux plus hautes expressions de l'organisation de l'hygiène publique en France, et ils renferment dans leur sein les plus illustres sommités de la science. Quand il s'agit de construire un chemin de fer, que l'on consulte le comité des arts et manufactures, je le comprends; mais alors qu'il s'agit d'assainir les villes par la construction d'abattoirs publics et de fournir de la viande saine aux populations, je demande que l'on consulte d'abord les comités d'hygiène que le gouvernement a constitués auprès de lui pour se renseigner. Je demande également qu'il n'y ait pas deux poids et deux mesures pour les municipalités qui ont à cœur de sauvegarder les intérêts de leurs administrés.

Messieurs, s'il ne s'agissait que d'un arrêté mal conçu, mal rédigé, je ne viendrais pas vous demander votre appui. Le maire de Clichy n'a pas assez d'amour-propre pour se refuser à prendre un second arrêté strictement conforme aux lois et aux ordonnances; si ce n'était que cela il n'hésiterait pas à en signer un autre qu'il prierait un jurisconsulte, naturellement plus compétent que lui, de rédiger à sa place. Mais c'est la question de principe qui est en jeu et c'est pour cela que cette question vient naturellement se poser devant la Société de médecine publique. Des communes voisines, contigues, ont-elles, oui ou non, le droit, comme elles y ont intérêt et comme on leur a conseillé de toutes parts, d'établir, soit à frais communs, soit en s'inspirant de la loi du 22 mars 1890 sur les syndicats des communes, soit par une entente amiable, des abattoirs publics et de supprimer, par là même, les tueries particulières. Telle est la question; et cette question, on peut le dire, intéresse toutes les communes de France, de même qu'elle est du ressort de l'hygiène publique et privée.

L'article 2 de l'ordonnance du 15 avril 1838, que le maire de

Clichy a omis de citer dans son arrêté, est ainsi conçu: « La mise en activité de tout abattoir public et commun légalement établi, << entraînera de plein droit la suppression des tueries particulières • situées dans la localité ». D'après une décision du Conseil d'État (7 mars 1890) l'expression de localité, dit M. le ministre, n'a qu'une signification restreinte; et cette expression ne doit pas signifier d'une façon absolue ni une commune ni une ville, mais doit s'appliquer à une agglomération dont ferait partie la tuerie située à proximité de l'abattoir commun, ou tout au moins n'en serait distante que d'un espace convenable pour en rendre l'usage possible sans occasionner pour l'exploitant des frais trop considérables.

Avec cette interprétation restreinte, quelle sécurité reste-t-il donc aux communes ? (La ville de Saint-Nazaire, qui a un abattoir public, a été obligée, d'après cette décision du Conseil d'État, de subir une tuerie particulière sur son territoire, en dehors, il est vrai, du rayon de son octroi.) Chaque décision prendra le caractère du caprice et du bon plaisir.

Une commune d'un territoire même peu étendu ne pourra établir un abattoir public sans déranger les bouchers, mais ce n'est pas quelques centaines de mètres de plus ou de moins à parcourir qui augmenteront leurs frais, la plupart des bouchers possédant un cheval et les autres étant à même de transporter leurs marchandises sans grande dépense. L'expression de localité ne signifiant ni ville ni commune, une commune après avoir dépensé 500,000 fr., un million, à la construction de son abattoir ne sera jamais certaine qu'un ministre n'autorisera pas le rétablissement de tueries particulières dans les quartiers un peu éloignés de l'abattoir, comme à Saint-Nazaire et comme on pourrait le faire pour Neuilly malgré la décision qui lui est aujourd'hui favorable. Mais alors, à quoi bon construire des abattoirs? Il est vrai également que d'après l'interprétation du Conseil d'État, l'expression de localité ne signifiant ni ville ni commune, pourrait s'appliquer à plusieurs villes ou communes voisines de faible territoire et de population dense formant en un mot une agglomération, et c'est le cas de toute la banlieue parisienne. Sans compter Paris qui, d'après le dernier recensement a 2,344,550 habitants, le département de la Seine ou mieux la banlieue de Paris renferme 616,539 habitants, et encore la population suburbaine a-t-elle considérablement augmenté depuis le dernier recensement. Le canton de Neuilly avec les quatre com

munes dont il se compose, Boulogne, Clichy, Levallois-Perret, Neuilly est, de beaucoup, le plus petit canton du département de la Seine; il est aussi le plus peuplé; il compte d'après le dernier recensement 119,070 habitants; il doit en avoir plus de 130,000 à l'heure actuelle. Les trois communes associées à un abattoir commun, Clichy, Levallois-Perret, Neuilly, comptent 88,986 habitants d'après le dernier recensement, mais ne doivent pas en avoir moins de 100,000 actuellement. Clichy a une contenance de 285 hectares, Levallois-Perret, de 242, Neuilly de 572 hectares, mais si on décompte le bois de Boulogne qui n'est pas habité, ces trois communes n'ont pas plus de 800 hectares. Est-il raisonnable, est-il conforme aux règles d'une bonne hygiène, que ces trois communes, d'une population si dense, qui ne fait que s'accroître de jour en jour, formant bien réellement une agglomération d'après la décision même du Conseil d'État, soient dotées chacune d'un abattoir public, alors que la commune de Levallois-Perret qui possède l'abattoir commun occupe le centre de ces trois communes? Veut-on donc que les 75 communes de la Seine aient chacune un abattoir, et veut-on former autour de Paris une ceinture infecte d'abattoirs communaux? Et si on veut pousser logiquement cette fantaisie, pourquoi ne pas établir dans chaque arrondissement de Paris qui a une contenance de 7,802 hectares, un abattoir public afin de n'occasionner aucun dérangement aux bouchers et charcutiers? La décision du Comité des arts et manufactures est aussi contraire au bon sens qu'elle est dangereuse pour la santé publique. N'est-il pas plus conforme à la plus simple prudence, aux véritables intérêts de la population, à l'interprétation du Conseil d'État, de grouper ensemble plusieurs de ces grandes communes qui sont de véritables grandes villes, de leur donner même, autant que possible, un seul abattoir par canton comme le demandait M. Napias devant vous en 1885 et de déclarer, ce qui est vrai, que l'expression de localité s'applique à leur groupement. Ainsi sera respectée la décision du Conseil d'État et seront également respectées la santé et la salubrité publiques.

En ce qui concerne spécialement Clichy, qui vient de se voir enlever les avantages d'un traité équitable pour tout le monde, même pour les bouchers, on peut affirmer que cette commune forme d'une façon toute particulière avec celle de Levallois-Perret, une seule et inséparable agglomération. Ces deux communes ne sont

séparées que par la ligne du chemin de fer de l'Ouest et jusqu'en. 1867, date de leur séparation, elles ne formaient qu'une seule commune, la commune de Clichy. Les populations de ces deux communes sont en contact direct, n'ayant entre elles d'autre séparation que la ligne du chemin de fer. Leur contenance est très faible: à elles deux elles occupent un territoire de 527 hectares, et elles ont, d'après le dernier recensement, une population totale de 62,390 habitants qu'on peut évaluer à l'heure actuelle à 70,000. Elles forment en réalité à elles deux, une seule grande ville égale et même supérieure en population à Tours, Orléans, Dijon, Rennes, Limoges, Toulon, Nîmes, Brest, Angers, avec un territoire très peu étendu.

L'abattoir de Levallois-Perret est situé à un kilomètre de la limite la plus rapprochée de la commune de Neuilly qui a eu la bonne fortune d'être autorisée à se servir de l'abattoir de Levallois et de supprimer ses tueries particulières, tandis que l'abattoir de Levallois n'est distant que de 235 mètres du territoire de Clichy qui s'est vu refuser la même faveur. Le point le plus éloigné de l'abattoir de Levallois sur la commune de Clichy n'en est encore qu'à une distance de 2,375 mètres. Les tueries actuelles qui sont au nombre de 16 sur le territoire de Clichy, sont à une distance de l'abattoir de Levallois variant de 990 mètres à 2,045; elles en sont éloignées en moyenne de 1,200 à 1,500 mètres en ligne droite. Les bouchers de Clichy qui ont des tueries chez eux, se trouvent done en moyenne à une distance d'un kilomètre et demi de l'abattoir de Levallois-Perret. Peut-on raisonnablement soutenir que c'est entraver le commerce de la boucherie que de forcer les bouchers à transporter leur viande à cette courte distance qui est facilement parcourue par un cheval en moins de dix minutes? La tuerie la plus éloignée, et qui se trouve à deux kilomètres de l'abattoir est aussi la plus considérable. On y abat autant d'animaux que dans toutes les autres réunies et ce n'est qu'une très faible partie de la viande abattue dans cet établissement qui sert à l'alimentation des habitants de Clichy; la plus grosse part est vendue dans les communes voisines. Est-il juste, je le demande, d'imposer à la commune de Clichy une tuerie qui sert à l'alimentation, pour la plus grande partie, des communes voisines et même à l'alimentation des habitants de Levallois où se trouve l'abattoir? Cette tuerie est d'ailleurs installée dans des conditions déplorables et nullement faite pour

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