Page images
PDF
EPUB

fiècle; le pouvoir que les états-généraux avoient femblé confier aux parlemens (1), l'habitude qu'avoient prife les peuples de les regarder comme les défenfeurs de leurs droits, l'ufage utile qu'ils en avoient fait quelquefois; la nature même de ces corps, qui fubftitués aux vrais repréfentans de la

nation avoient nécessairement moins de force

[ocr errors]

qu'eux, & oppofoit moins de réfiftance au pouvoir des miniftres, qui s'élevoit infenfiblement fur les débris de l'ancienne conftitution; le foin de ceuxci de couvrir leur administration d'épais nuages, & de gêner par de continuelles entraves la liberté des difcuffions publiques ; toutes ces circonftances avoient contribué à retenir la nation dans un engourdiffement que la province de Dauphiné avoit partagé avec les autres. Elle avoit fouvent murmuré fans ofer rentrer dans l'exercice de fes anciens droits, parce qu'il faut plus de temps à un peuple pour faire ufage de fes forces que pour apprendre à les connoître.

Mais les lumières qui mènent toujours après elles la liberté, avoient jetté fur cette province un germe qui s'étoit lentement fécondé. A l'inftant où elle avoit entendu prononcer le mot d'adminiftration provinciale, elle avoit fait, mais fans fuccès, des efforts pour le rétabliflement de fes états. Une feconde fois elle avoit renouvellé la même tentative & n'avoit obtenu qu'une adminiftration particulière, qui n'avoit fervi qu'à la mettre aux prifes avec fon parlement.

Tout à coup une fecouffe violente, in attendue, a ébranlé le royaume d'un bout à l'autre. Au même inftant, en un feul jour, les peuples ont été fans juftice, fans tribunaux, fans défenfeurs, fans liberté (2). Tous les intérêts à la fois ont été bleffés & ont forcé tous les intérêts à fe réunir dans ce péril de la chofe commune; la province rentrant dans fes droits originels par la violation du pacte entre elle & le monarque, s'eft aflemblée pour lui demander la protection qu'il doit à tous les fujets de l'état, & plus particulièrement à ceux qui ne fe font donnés qu'à des conditions. Elle en avoit le Fouvoir par la propre conftitution, par le droit des nations contre lequel on ne preferit jamais, par la néceflité des choles qui commandoient qu'on éclairât promptement la juftice du monarque, avant

que les miniftres euffent confommé leur œuvre d'iniquité.

En jettant les yeux fur fes capitulations, elle a vu', 1°. que par le tranfport qui fut fait du Dauconditions effentielles fut qu'il ne pourroit être réuni phiné à la couronne par Humbert II, une des feul cas où l'empire y feroit uni; que depuis lors il & incorporé au royaume de France, que dans le a toujours formé une province féparée (3); que cette province a fon feeau particulier, & que nos rois, dans plufieurs actes de légiflation générale ont ajouté au titre de roi de France celui de dauphin de Viennois.

2°. Que le tranfport du Dauphiné à la couronne ne s'eft effectué que du confentement des différens ordres de la province.

3°. Que par les conditions de ce tranfport, les rois de France devoient garder inviolablement fes coutumes, libertés & franchifes; que le dauphin Humbert qui les avoit confirmées avant le tranfport, avoit lui-même ftipulé que fi lui ou fes fuccefleurs refufoient de les obferver, fes fujets à leur tour pourroient lui refufer le ferment d'obéiffance.

4°. Qu'un de fes droits les plus précieux a toujours été de pouvoir fe réunir en corps de province dans des affemblées formées par le clergé, la nobleffe & les communes, qu'elle avoit joui de ce droit fous la domination de fes anciens dauphins & l'avoit confervé depuis le transport à la cou

ronne.

5°. Que par un ftatut folemnel, le dauphin Humbert avoit aboli toutes les redevances créées

:

depuis la mort de fon aïeul, & décidé qu'à l'avenir les habitans du Dauphiné ne feroient foumis à aul'utilité des lieux de leur habitation qu'après la cun impôt envers lui ni fes fuccefleurs, que pour ceflion du Dauphiné, quand les rois de France avoient voulu obtenir des fubfides, ils avoient convoqué à l'exemple des dauphins les trois ordres de la province.

Elle a vu que fes états avoient ceflé d'être convoqués fans être jamais détruits; que Louis XIII lui avoit promis de l'affembler en corps des trois ordres toutes les fois que des affaires preflantes & & le bien public l'exigeroient, & que dans la fub

(1) On dit forble confier, parce qu'il eft évident que les états n'étant que des délégués de la nation, n'ont pu nommer d'autres délégués: ce droit n'appartient qu'à leurs commettans.

(a) H eft question de la révolution occafionnée par le lit-de-juftice du 8 mai 1788, & à la fuite de la fuppreffion des tribunaux & création de la cour plénière, qu'on nomma dans le public, fort judicieufement, cour martiale. C'étoit le chef d'ouvre du defpotifme & de la fotife.

(3) Quoique par fes capitulations, le Dauphiné foit véritablement un pays féparé, cette province a folemvellement déclaré qu'en voulant conferver fes chartes pour le foutien de fes droits & de fa liberté, elle étoit bien éloignée de refufer de concourir avec le refte de la nation à tous les facrifices & à tous les efforts qui auront pour objet le bien public & l'avantage commun; on le verra par l'article de la conftitution de cette province, relatif aux fubfides.

Toute province représentée dans l'affemblée des représentans d'une nation, doit reconnoître l'impôt & la loi confentis dans cette même affemblée ; autrement l'anarchie maîtroit & l'état fe diviferoit.

3

verfion générale des droits & des chofes, elle de- | profiter pour affoiblir le parti national en le divivoit faire retour à fes principes conftitutionnels.

a

Mais en même temps elle a été affez éclairée ne pas fe diffimuler les abus de fon ancienne conftipour tution, & affez courageufe pour les réformer. Elle fenti les élections devoient étre libres, que que la balance des intérêts ne pouvoit naître que de Légalité, & fur-tout que le défaut de convocation fixe & périodique avoit donné à fes anciens états une marche incertaine & une langueur qui avoit très fouvent nui à la chofe publique. C'eft dans l'affemblée la plus nombreufe & la plus impofante, où chaque ordre, chaque ville, chaque communauté, a eu fes repréfentans immédiats, qu'après un travail de dix-fept jours, elle a dressé le plan de fa conftitution, qui rédigé avec célérité, a des défauts fans doute que le temps & l'expérience apprendront à corriger, mais qui eft du moins le plus fage & le plus parfait qu'aucun de ceux des autres pays d'états (1).

C'est cette conftitution que nous allons faire connoître, & pour donner plus d'ordre à nos idées, nous confidèrerons ce nouveau régime fous le rapport de fon organisation & fous celui de fes fonctions, fans nous aftreindre à rapporter littéralement le réglement qui l'établit.

1. Organisation des états. La proportion dans les ordres, la formation des élections & les qualités néceflaires pour être électeur & éligible, font les premières bafes d'une organisation nationale.

Quant à la proportion dans les ordres, le tiersétat en Dauphiné, de même qu'en beaucoup d'autres pays d'états, avoit toujours été mal & incomplètement représenté. L'autorité du clergé & le pouvoir féodal, quoique plus reftreint dans cette province que par-tout ailleurs, avoient laillé prendre aux deux premiers ordres une prépondérance, non moins funefte qu'injurieufe aux droits des

communes.

L'intérêt des privilèges contribuoit à entretenir cette inégalité; de là une oppofition continuelle qui avoit produit deux effets également nuisibles l'un de priver la province par ce défaut des avantages qu'elle auroit pu retirer de fes états; l'autre d'ouvrir à l'autorité des moyens dont elle auroit fu

fant (2).

La province a fenti vivement ces inconvéniens, & les deux premiers ordres n'ont pas balancé à voter pour une parfaite égalité de voix entr'eux & le tiers-état ; ç'a été le premier pacte de la coalition: qu'ils en ont demandé la confirmation dans chaque il leur a paru fi fondamental fi conftitutionnel, affemblée générale; & c'est d'après ces vues de juftice & de concorde qu'a été rédigé le premier article compofés de cent quarante-quatre députés, dont de la conftitution, qui porte que les états feront ving-quatre du clergé, quarante-huit de la nobleffe & foixante-douze du tiers-état, ce qui aflure à ce dernier ordre une balance égale dans les opinions ; & pour que cette balance ne puiffe être rompue, il a été arrêté, par un article précis, que les eccléfiaftiques & les nobles ne pourront être admis pour repréfentans du tiers-état, ni affifter aux affemblées qui feront tenues pour nommer les députés de cet ordre (3).

La conftitution fixe ainfi, pour le clergé, la répartition des députés : trois parmi les archevêques, ou évêques, trois commandeurs de Malthe, un député de chaque cathédrale, un de chaque collégiale, deux curés propriétaires, deux députés des abbés, prieurs & autres bénéficiers, deux députés pour les maifons religieufes, les mendians exceptés: chaque claffe de cet ordre nomme fes représentans.

Les quarante-huit députés pour la noblefle font répartis dans chaque diftrict ou arrondiffement choifis & établis par la nobleffe de chaque diftrict affemblée devant un fyndic qu'elle nommera.

Pour être électeur dans cet ordre, il fuffira d'apropriété dans le district. voir la noblesse tranfmiffible, & de pofféder une

Les foixante-douze du tiers, feront fournis, favoir cinquante-cinq par les communautés divifées par diftrict, & dix-fept par les villes, dans la proportion de trois pour la ville de Grenoble, deux pour chaque vilie du fecond ordre, & un pour les

autres.

municipalité, à laquelle feront appellés un fyndic de Les députés des villes feront nommés par chaque chaque corporation du tiers- état & les propriétaires

(1) Voyez-en un exemple au mot ARTOIS. Comme la conftitution des états provinciaux fera la même, quant à l'effentiel, pour toutes les provinces, & qu'elle ne differera guère de celle du Dauphiné, nous rapporterons feulement les difpofitions de celle-ci, nous omettrons les autres, en renvoyant à cet article, ou à celui d'états-provinciaux, pour puiler des connoiffances fur cette matière,

(2) J'écris ceci dans un moment où tout tend à une réforme générale dans la conftitution. Les difpofitions de l'affemblée nationale, celles de la France entière annoncent que les diftinctions d'ordres s'anéantirour avec tant d'autres anciens ufages, & que tous les raifonnemens à cet égard ne feront peut-être plus que de fimples abftractions dans un an

d'ici.

(3) On fent, encore une fois, que fitôt que les affemblées quelconques cefferont d'être des affemblées d'ordres, mais des affemblées de citoyens, ces précautions deviendront nulles, & la confiance des votans fera la règle de l'éligibilité.

[blocks in formation]

Les communautés d'un diftrict s'affembleront féparément, & nommeront un député par cinq feux ; ces députés formeront l'affemblée de l'arrondiffement qui élira enfuite le nombre de repréfentans fixé pour chaque district.

Pour être électeur, il faudra avoir une propriété qui fupporte impofitions royales ou foncières; favoir pour la ville de Grenoble, 40 livres, pour celles du fecond ordre, 20 livres, & dans les autres 10 livres; il fuffira que les impofitions foient de 10 livres dans les communautés qui ont des corps municipaux, & pour les autres 6 livres.

Toutes les élections, quelles qu'elles foient, feront faites par la voie du fcrutin.

Quant aux qualités néceffaires pour être repréfentant dans les états, la conftitution exige, 1°. Qu'on ait administration de fes biens, & qu'on foit âgé de vingt-cinq ans ; 2°. qu'on ait une propriété foumife à so livres d'impofitions royales foncières, à l'exception du Briançonnois, & de la vallée de Queyras, où il fuffira de payer 25 livres, différence introduite à caufe de celle des propriétés qui font plus modiques (1).

50

Pour être éligible dans l'ordre de la nobleffe, la conftitution exige qu'on faffe preuve de quatre générations & de cent ans de nobleffe; condition qui, comme tant d'autres, s'anéantira par le progrès des lumières.

Les officiers fifcaux, les fubdélégués d'intendans, leurs commis & les perfennes aux gages des feigneurs & propriétaires, ne peuvent également être élus dans l'ordre du tiers.

Un des points importans de cette conftitution, eft la maniere dont elle règle la forme des délibérations elles feront toujours prifes par les trois ordres réunis, foit dans les états, foit dans la commiffion intermédiaire; elle réserve néanmoins à l'un des ordres, le droit de faire renvoyer jufqu'au jour fuivant, une délibération propofée. Cette efpèce de veto momentanée a pour objet, dans le cas où une délibération deviendroit trop orageufe, de laiffer aux efprits le temps de fe calmer par le renvoi au lendemain.

Nul ne pourra être élu de nouveau membre des états, qu'après un intervalle de quatre ans, depuis qu'il en fera forti.

novembre la convocation fera faite par le préfident, & à fon défaut par l'un des procureursgénéraux fyndics.

Les députés des différens ordres fans aucune diftinction, recevront fix livres par jour, fans que ce paiement puiffe continúer pendant plus de trente jours, y compris le temps néceffaire pour leur voyage, quand même la tenue des états feroit prorogée au-delà de ce terme.

Les états choifiront leur préfident parmi les membres du premier & du fecond ordre de la province (2); ils nommeront auffi deux procureursgénéraux fyndics; l'un du fecond ordre, & l'autre du tiers; ils choifiront dans cet ordre, un fecrétaire révocable à volonté, & n'ayant que voix inftructive, ils choifiront encore un tréforier domicilié dans la province, ainfi que fes cautions; il fera révocable, & non membre des états.

Ils éliront encore parmi leurs membres, deux perfonnes du clergé, quatre de la noblesse, & fix du tiers-étát, y compris les deux procureurs-généraux-fyndics: ces douze perfonnes, avec le fecrétaire, formeront la commiffion intermédiaire. Toutes ces nominations fe feront par fcrutin, & à la moitié des fuffrages.

La commiffion intermédiaire nommera fon préfident dans l'un des deux premiers ordres. La commiffion intermédiaire s'aflemblera au moins une fois par femaine. Il ne pourra y être pris aucune délibération, qu'au nombre de fept.

Les membres des états resteront en place pour la premiere fois pendant quatre ans, Tans aucun changement. Après ce terme il fera élu un nouveau préfident, & la moitié des députés dans chaque . ordre & dans chaque district, fortira par la voie du fort. Deux ans après, l'autre moitié fe retirera, & enfuite tous les deux ans, la moitié fortira par ancienneté, de manière qu'à l'avenir aucun des représentans ne refte dans les états, plus de quatre

à l'exception des procureurs-généraux-fyndics, qui pourront être continués par une nouvelle élection, pour quatre années feulement, & ne pourront néanmoins être changés tous les deux en même temps; à cet effet, pour la première fois, l'un des deux procureurs-généraux-fyndic fe retirera par le fort, à l'expiration des quatre premières années, & l'autre fix ans après.

Tels font les articles principaux de la conftitution des états du Dauphiné; paffons à leurs

Les états fe raffembleront chaque année le quinze fonctions.

(1) C'eft une erreur introduite par M. Turgot & les économistes, de croire qu'il n'y a que les propriétaires qui aient droit d'être repréfentans nationaux ou provinciaux. Tout citoyen domicilié doit être éligible, & la mesure du d.oit à cet égard eft la confiance des votans.

(2) C'est une chofe affez inconftitutionnelle que ce droit exclufif de préfider accordé aux deux premiers ordres. Cer article fera infailliblement réformé; il éterniferoit la diftin&tion législative des ordres.

II. Fonctions & pouvoirs des états. La confftitution porte: art. 45. Les états veilleront au maintien des droits & des privilèges du Dauphiné, & notamment de celui qui ne permet pas que les dauphinois foient diftraits du reffort des tribunaux de la province; ils feront la répartition de toutes les impofitions foncières ou perfonnelles, tant de celles qui feront destinées pour le tréfor royal, que de celles qui feront relatives aux befoins de la province; ils ordonneront la confection de tous les chemins, ponts, chauffées, canaux, digues, & autres ouvrages publics, dont ils pafferont les adjudications, par eux ou par d'autres délégués. Art. 46. Les états ordonneront encore la diftribution des revenus, les récompenfes, indemnités, encouragemens pour l'agriculture, le commerce & les arts; ils furveilleront & approuveront par eux ou par la commiffion intermédiaire, toutes les dépenfes relatives, aux réparations des églifes, prefbytères, & autres dépenfes quelconques, particulières aux communautés. Ils furveilleront également l'adminiftration de tous les établissemens publics, les frais & le tirage des milices ; ils vérifieront les comptes des officiers des villes & communautés, même ceux relatifs à leurs biens patrimoniaux, ils feront à sa majesté, toutes les repréfentations qu'ils croiront néceffaires, & généralement feront chargés de tous les objets qui peuvent intéresser le bien de la province. Art. 47. Les états ne pourront accorder aucun fubfide, ni établir aucane taxe directe ou indirecte, ni confentir à aucune prorogation d'un impôt établi à temps, ni faire aucun emprunt pour le compte du gouvernement, que lorfque les repréfentans de la province en auront délibéré dans les états-généraux du royaume. Art. 48. Les états pourront néanmoins impofer & emprunter, après en avoir obtenu la permiffion de S. M., mais feulement pour les befoins particuliers & effentiels de la province, & fous la condition qu'ils ne feront aucun emprunt, qu'en deftinant préalablement les fonds néceffaires pour le paiement des intérêts & le remboursement des capitaux, à des époques fixes & déterminées. déterminées. Art. 49. Toute loi nouvelle, avant fon enregistrement, fera communiquée aux procureurs-générauxfyndics, afin qu'il en foit délibéré, conformément au privilège de la province. Art. 5o. Les procureurs généraux-fyndics pourront prefenter des requêtes, former des demandes devant tous juges compétens, & intervenir dans toutes les affaires qui pourroient intéreffer la province, après y avoir êté autorifés par les états ou la commiffion intermédiaire. Art. 1. Les états nommeront chaque année, une commiffion particulière pour recevoir les compres que le tréforier aura rendus à la commiflion intermédiaire, & pour examiner ceux qui ne l'auroient pas été, & d'après le rapport du commissaire, ils arrêteront tous les comptes de l'année.

ont le droit de faire tous les réglemens qu'ils jugeront néceffaires, pourvu qu'il n'aient rien de contraire aux articles ci-deffus; mais ils ne pourront faire aucun changement à leur conftitution, fauf quelques diftributions locales pour la tenue des aflemblées de diftricts, qui leur font abandonnées.

Voilà la première conftitution politique & conforme à bien des égards, aux droits des citoyens. qui ait eu lieu en France. C'eft elle qui eft devenue le fignal de la régénération du royaume. La fermeté, la fagetle, les démarches du Dauphiné ont enhardi les autres provinces & la nation entière, en forte que fi depuis, nous avons eu de grandes obligations à la capitale, nous devons la première aux dauphinois, & fur- tout à l'activité avec laquelle ils ont donné naiffance à leur conftitution, au courage avec lequel ils fe font défendus, au fuccès de leurs mefures combinées. Le temps perfectionnera leur ouvrage, en réformant quelques défauts qui s'y trouvent encore.

DÉBAUCHE, f. f. Excès dans la bonne chère & l'ufage des femmes.

On a donné affez mal-à-propos le nom de femmes de débauche aux proftituées ; il n'eft cependant pas vrai qu'elles foient les feules avec qui l'on faffe des excès, foit de lit, foit de table. Cette erreur vient de ce qu'on a appellé très-improprement, débauche, la fréquentation de ces miférables; il y a loin de l'une à l'autre cependant.

La débauche de table eft quelquefois plus nuifible à la fanté, que celle des femmes, fur-tout fi l'on y fait excès de vins, de liqueurs & de viandes affaiffonnées d'épiceries. C'étoit fur-tout le genre de débauche de nos pères. Les cabarets & les maifons retentiffoient des chants des buveurs ivres, & l'on paffoit des nuits entières dans les excès d'une chère auffi mal-faine que peu favorable aux développemens des facultés raifonnables de l'homme.

Nos repas font devenus infiniment plus tranquilles, plus décens; l'on n'y fait plus gloire de s'y gorger de vins & de viande, fans fujet ni raifon; les convives n'ont plus cette voracité, cette ardeur bachique, ces folies qui préfidoient à nos anciennes tables; tout cela eft difparu avec la gêne, la contrainte & la débauche ; il n'y a guère que dans les provinces, qu'on trouve encore des veftiges de ces usages bêtes & fatiguans.

La débauche des femmes a changé aussi. On est devenu plus délicat dans tous les plaifirs, & un homme ne fe tue plus aujourd'hui, pour avoir la gloire d'être vanté comme un héros de virilité.

La débauche même avec les courti fannes n'a plus ce caractère de luxure groffière & brutale, dont nous avons déjà cité plufieurs exemples. Sur-tout l'abus des fexes eft infiniment rare, & n'accomPar le dernier article de la conftitution, les états pague plus ce que nous appellons des parties de

plaifirs. C'étoit un des grands affaiffonnemens de fa débauche de nos pères, comme on peut le voir dans Brautome & dans d'autres écrivains du feizième & dix-feptième fiècle.

La débauche, fous quelque point de vue qu'on l'envifage, eft une caufe deftructive des moeurs raifonnables, elle leur donne une teinte bête & crapuleufe, elle diminue les forces morales, & fur

tout rend les individus qui s'y livrent, incapables d'aucun fentiment de vertu publique & de patriotifme. C'est le propre des grands baveurs, d'être égoïftes & froids dans les affaires publiques.

Il eft plufieurs moyens de détruire l'habitade de la débauche dans un peuple: 19. Les fpectacles; 2o, la fréquentation des fexes ; 3°. les fêtes publiques; 4°. l'inftruction, & tout ce qui peut faire naître & entretenir le goût des arts d'agrément.

[blocks in formation]

d'un air magiftral, appuyées de quelques maximes Il n'en étoit pas moins vrai que ces fotifes débitées arbitraires & vuides d'objet, produifoient un effet merveilleux fur les efprits. Des hypocondres vous répétoient gravement qu'il y a des cas où l'homme, même innocent ne doit pas être libre, que fouvent un petit mal produit un grand bien, qu'il eft des moyens violens en adminiftration comme en médecine, & qu'on doit facrifier quelque chofe au maintien de l'ordre. Avec une pareille logique, on conclucroit qu'on doit tenir tout le monde à la

DÉCLARATION, f. f. Énonciation d'un chaîne, parce qu'il est sûr, qu'ainfi, tout feroit

fait ou d'un droit.

tranquille, & chacun en sûreté. Ces impertinences font encore le fonds de la plupart de nos réglemens de police.

Nous n'entendons point parler ici des loix connues fous le nom de déclaration du roi, c'eft des déclarations en matière d'administration de police Sur-tout elles fervent de bafe à la doctrine des & de juftice, que nous avons à traiter; & fur cet déclarations fecretes; prouvons que celles-ci font objet nous n'examinerons que la queftion des dé-10. dangereufes; 2°. injuftes ; 3°. oppreflives, comme clarations fecretes; nous prouverons qu'elles font un moyen de corruption, d'injuftice & d'oppreffion.

C'étoit principalement à Paris, & pour foutenir l'échafaudage de la police inquifitoriale, que les déclarations fecrettes étoient autorifées (1). Cette adminiftration ténébreufe, non-feulement autorifoit les délations fecrettes, qu'elle qualifioit du titre de déclarations, mais encore elle foudoyoit une foule d'agens obfcurs, qu'on défignoit fous le nom de moucharts, pour efpionner la conduite, les mœurs & les occupations des citoyens, les trahir & les

vexer.

Pour juftifier ces défordres, pour autorifer les déclarations fecrettes qui les produifoient, on alJéguoit, & des écrivains imbécilles répétoient que dans les monarchies, la publicité de la procédure ne fauroit avoir lieu, qu'on ne doit pas s'y conduire comme dans les républiques, que la police furtout qui fait fouvent les fonctions du ministère public, doit admettre les déclarations fecrettes, les accueillir précieufement, & cent autres impertinences femblables, comme fi la juftice & la vérité

nous venons de l'annoncer.

Dans un état de fociété très-compliqué, où les délits font mal caractérisés, les loix imparfaites leur application fouvent arbitraire, où la jurifprudence eft abfurde dans bien des points, où l'homme n'eft point jugé par fes pairs, où même on lui refufe un confeil, & où l'on le prive toujours provifoirement de fa liberté; dans un tel état de fociété, rien d'avoir un n'eft plus dangereux que accufateur fecret qui noircira, altérera les faits, qui, fi fon intérêt eft de vous perdre, détruira les preuves que vous pouricz donner de votre innocence, & ne vous déclarera que lorfqu'il fera sûr que vous n'aurez aucun moyen de repoutler fa calomnie. Tout au plus dans un état libre où l'homme ne peut être détenu prifonnier, qu'il ne foit interrogé dans les vingt-quatre heures, où aucun pouvoir ne peut faire arrêter un homme que la loi à la main, où grand nombre de délits font cautionnables; tout au plus dans un pareil état la déclaration fecrette feroit moins dangereufe, moins funefte à la liberté individuelle ; mais dans tout autre, & fur-tout là où un feul a une puiffance qui contrafte avec une bonne conftitution la déclaration fecrette eft dangereufe, & le juge

(1) Je mets ce fait au paffe, parce que dans le moment où j'écris, toute l'administration de Paris eft changée : une révolution fubite en a détruit la burociarie politique; la police eft rendue au magiftrat municipal, on travaille à établir l'édifice de la liberté fur des bafes folides & refpectables.

Ce changement a fait heureufement vieillir plufieurs articles de mon travail; mais quand je n'en regarderois pas la partie déjà lue du public comme ayant influé fur cette grande opération, il n'en feroit pas moins vrai que les raisons les réclamations qui s'y trouvent, tiendront la postérité en garde contre le retour des défordres que j'ai dévoilés, & lui seront d'autant mieux défendre fon bonheur & fa liberté,

« PreviousContinue »